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Aux frontières de l'information

«Une histoire des médias» de Jean-Noël Jeanneney pose le problème des médias en temps de crise. Un livre d'actualité.

Aux frontières de l'information
La scène se passe dans un taxi. Le chauffeur, branché sur tout se qui se passe de par le monde, demande à son client son avis sur ce qui se trame du côté de Tripoli. Surpris, le client répond qu'il ne sait pas exactement, mais n'a d'idée que ce qu'il entend sur les ondes des radios et ce que transmettent les chaînes de télévision. Le chauffeur de taxi lui balance qu'il n'y a pas d'autres moyens que ces deux vecteurs. La discussion vire, sans préavis, vers la question de la crédibilité. Avec, en toile de fond, l'histoire du fils de ce «leader arabe» dont on ne sait pas quel a été le destin. Reprenons le film des évènements. Depuis quelques semaines, les chaînes de télévision suivent le feuilleton des développements que connaît le monde arabe. Après le dénouement de ceux de Tunisie et d'Égypte, deux pays passés au second plan de l'«intérêt médiatique», les caméras se sont surtout braqués sur la Syrie et la Libye, un peu moins sur le Yémen. En fait, quand une télévision n'ouvre pas sur Damas, c'est qu'elle opte pour Tripoli-Benghazi. Ou vice-versa.

La règle semble répondre à la question : «qu'est-ce qui peut tenir en haleine les spectateurs, tout en excitant leur curiosité ?» D'où, justement les aller-retour entre ces deux points chauds du monde arabe. Et accessoirement, des bifurcations sur le Yémen ou d'autres capitales. Le summum néanmoins aurait été atteint la veille de l'entrée des insurgés libyens à Tripoli. En effet, elles étaient plusieurs chaînes de télévision à avoir diffusé une intervention menaçante du «fils du leader» qui assurait que la situation était sous contrôle par le régime. Le lendemain matin, le monde est sens dessus dessous : la capitale est entre les mains des rebelles. L'information circule selon laquelle le «tribun» de la veille aurait été capturé. Sur les plateaux des télévisions, on ne parle que de cela, avec moult commentaires à l'appui. Nous sommes en plein dans le spectacle en direct. Guy Debord, dans la parenthèse 1967-1988, peut bien être utile pour mieux saisir le déroulement des choses, vues sous l'angle de l'analyse et non de la réception passive. Ce qui suivra exacerbera les questionnements sur la nature même de la retransmission de l'information et les modes de son traitement. «Breaking news..», la phrase s'est frayé un chemin dans toutes les langues. Elle ouvre un horizon, alerte et crée une attente.

Dans la foulée, les interrogations reprennent de plus belle. Le soir même de l'information sur l'arrestation annoncée, on assiste à un spectaculaire retournement de situation : «le fils du leader est visible sur une vidéo en commentant lui-même le déroulé.» Il n'en fallait pas plus pour déstabiliser bien des rédactions. Surtout celles promptes à sauter sur la toute dernière nouvelle, sans se soucier de l'impératif de réagir avec discernement. Du coup, sur certains plateaux, on est passé d'un extrême à un autre : ce qui s'est traduit par une remise ne cause de tout le dispositif discursif de toute la journée. Pourtant, il aurait été facile de faire des arrêts sur images pour passer au crible la vidéo en question. Une vidéo à l'image très nette, des projecteurs très forts, des plans serrés. Soit un «spectacle» en miniature. Faire appel à Jean Baudrillard, entre autres, dans «La Société de consommation» pourrait servir à quelque chose : comprendre, saisir, appréhender, mais surtout éviter d'être pris au piège de l'«inconsciemment manipulé».

Dans la foulée, on ne manquera pas de relever l'impact de ce genre de «tergiversations informationnelles», à la fois sur l'opinion et sur les concernés par les «informations véhiculées». Faire circuler une «information déterminée» étant une arme comme une autre, avec ses effets directs et ses dégâts collatéraux, les émetteurs galvanisant autant leurs troupes qu'ils installent le doute dans les rangs des troupes adverses.
Les sorties «sonores» du «leader déchu» de ces derniers jours, même si l'effet escompté ne semble pas atteint, participent de ce principe de la guerre des images et des ondes. Relire «Une histoire des médias», de Jean-Noël Jeanneney, donnerait à réfléchir au grand public, mais surtout aux femmes et aux hommes des médias. Revisiter l'histoire des médias, notamment sur le front des «enjeux internationaux», permet d'ouvrir grand les yeux. Tout en évitant, dans le feu de l'action, de mélanger la relation de l'information et le commentaire qu'on en fait.

Postface

« Une histoire de médias » est un livre plus qu'intéressant. Non seulement pour les «consommateurs de l'information», mais surtout pour ses producteurs. En effet, sur plus de 400 pages, J.N. Jeanneney nous renseigne, de manière pédagogique, sur le parcours de la chose médiatique. La chose est d'autant plus agréable à suivre qu'il s'agit plus du savoir d'un historien de la vie politique et culturelle que d'un praticien des médias. Du coup, le lecteur dispose d'un double prisme de vue plus qu'instructif. Cela est bénéfique pour tout le monde, il l'est davantage pour les praticiens. En fait, c'est surtout à ces derniers qu'incombe le devoir de lucidité pour ne pas induire en erreur le public. Encore faut-il avoir le choix ?
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