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«La nouvelle Charte sociale : quelles normes et quels objectifs ?»

Le projet de la charte sociale intitulée « Pour une nouvelle charte sociale : des normes à respecter et des objectifs à contractualiser » a été voté à l'unanimité lors de la dernière 9e session du CES. Le point sur cette charte.

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A côté de ce Maroc si attrayant, où tout n'est « que luxe, volupté et consommation », il y a… l'autre Maroc caché, celui de Bouarfa, ou Tinghir, celui des «Coquelicots de l'Oriental» de Brick Oussaid ou de «La colline de papier» d'Araab Issiali, chroniques de familles pauvres qui vivent dans le plus grand dénuement comme ceux des bidonvilles et que l'on gagnerait à relire... où tout manque, eau électricité, assainissement dispensaire, école… où la vie est confinée dans une grande misère sociale que nul n'entend ou ne voit.
C'est dire que tout ce qui peut apporter une amélioration dans le domaine social nous interpelle. Le projet de la charte sociale intitulée « Pour une nouvelle charte sociale : des normes à respecter et des objectifs à contractualiser » a donc été voté à l'unanimité lors de la 9e session du Conseil économique et social, au lendemain du lancement de la campagne de solidarité.

Le référentiel de cette charte ? L'inventaire de tous les traités ratifiés, de la Constitution, des lois et des normes internationales auxquelles le Maroc a souscrit a permis de formaliser ce référentiel sur la base de droits opposables» comme l'a indiqué dans sa conférence de presse le président du CES, Chakib Benmoussa. Ce référentiel dont les dispositions font appel à la responsabilité de l'Etat et de la société civile s'appuie sur 39 principes, 92 objectifs et 250 indicateurs de suivi. Il est décliné en six volets : «L'accès aux services essentiels et au bien-être social», «La formation et le développement culturel», «L'inclusion et la solidarité», «Le dialogue social et civil», «La protection de l'environnement», et «La dynamisation des entreprises et de la démocratie sociale».
Une nouvelle charte sociale donc, mais pourquoi faire, peut-on se demander ? Pour aller plus loin et comprendre les tenants et aboutissants de ce projet, nous avons interrogé Fouad Benseddik, membre de la commission permanente chargée des affaires sociales et de la solidarité et membre du groupe de travail chargé du référentiel constitué d'Amina Lamrani, Leila Berbiche, Zahra Zaoui et Abdelmaksoud Rachdi qui a présenté le projet à la 9e session.

Docteur d'Etat en Sciences politiques à Paris X, Fouad Benseddik a été inspecteur général de la CNSS et responsable des relations internationales à l'UMT.
Actuellement, il représente Vigeo, expert européen de l'analyse, de la notation et de l'audit conseil des organisations, s'agissant de leurs démarches, pratiques et résultats liés aux enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance «ESG». Dans cet entretien, il décrypte les différentes dimensions de la charte sociale, explique la notion de droit opposable «une créance, dit-il, imprescriptible du citoyen sur sa communauté» et rappelle le rôle du CES : «Faire entendre la voix de la société civile organisée, aussi bien au sujet des signaux faibles qui remontent de la société que dans les processus de décision, d'élaboration des lois et d'évaluation des politiques publiques». C'est dire que cette institution, comme d'autres, a devant elle un immense chantier et une mission : au-delà des normes et des textes, faire entendre ce Maroc d'en bas, ce Maroc profond et réel. Restera au nouveau gouvernement de répondre par des mesures concrètes à cette désespérance sociale au moment où les caisses de l'Etat sont désespérément vides
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LE MATIN : L'élaboration de ce projet de charte sociale a été le fruit d'un vaste processus d'écoute et de débat. Une question quant à la méthode de travail : concrètement, comment se sont passés cette écoute et ces débats et avec qui ?
FOUAD BENSEDDIK :
Le Conseil a auditionné soixante-dix associations et groupements professionnels ou interprofessionnels. Parmi ces acteurs, les représentants des entreprises, les syndicats, les chambres professionnelles, les défenseurs des droits de l'homme, les associations de protection de l'enfance, des opérateurs dans le domaine de la culture et de l'édition, des associations de protection de l'environnement, et j'en oublie... Deux ministres, Nouzha Sqalli et Nizar Baraka, ont également été entendus. Tous sont venus éclairer le CES sur leurs constats, leurs difficultés et leurs attentes dans les domaines qui sont les leurs. Trois points se sont dégagés de ces auditions. Le premier porte sur la nécessité pour tous de continuer à travailler à réduire les inégalités. La société marocaine est ressentie comme insuffisamment inclusive et trop inégalitaire. Le deuxième porte sur le besoin de réhabiliter l'autorité de la loi. Le défi, se sont-ils accordés à dire, n'est pas de légiférer mais de faire appliquer les textes existants. Que ce soit en matière économique, de relations professionnelles, de protection sociale et de santé, de formation, de protection de l'environnement ou d'accès aux savoirs et à la culture. Le troisième point est l'immense besoin de dialogue exprimé par la plupart des acteurs. Nous avons été frappés de constater qu'aucune des ONG ou des organisations professionnelles écoutées par le CES ne demande d'aide matérielle aux pouvoirs publics. C'est une grosse différence par rapport à ce qu'on voit par exemple en Europe. Ce que ces acteurs veulent d'abord, c'est être entendus, consultés. Ils veulent participer à la décision. Ces acteurs veulent une autre façon de construire les décisions collectives, qui soit basée sur le dialogue, qui s'accompagne de reddition sur les résultats et qui débouche sur de l'évaluation. Le débat au sein du Conseil a porté sur la signification même et la finalité de la notion de charte sociale. Plutôt qu'une énumération de principes généraux et de vœux abstraits, nous avons choisi de rapporter ces attentes à des normes de droits fondamentaux dont nous avons décliné un ensemble cohérent d'objectifs, qui répondent à des besoins légitimes adossés à des indicateurs précis qui serviront à mesurer les gaps et les progrès.

Quelle est l'ambition du projet « Pour une nouvelle charte sociale : des normes à respecter et des objectifs à contractualiser » ?

Ce projet, il faut le rappeler, s'inscrit dans l'accomplissement d'un mandat dont S.M. le Roi a solennellement chargé le Conseil dans son message d'investiture de cette institution le 21 février 2011. Le Souverain a parlé d'une « nouvelle charte sociale fondée sur des partenariats contractuels majeurs» destinés « à créer un environnement sain pour gagner les paris liés à la modernisation de l'économie, au renforcement de sa compétitivité et à la dynamisation de l'investissement productif ». Il a également parlé d'accélération de la cadence du développement pour « réaliser une juste répartition de ses fruits, dans l e cadre de l'équité sociale et de la solidarité nationale ». Tous ces termes sont liés. Les composantes du CES se sont accordées sur l'idée qu'il ne faut plus opposer la cohésion sociale et l'initiative privée créatrice de richesses mais au contraire garantir l'une pour assurer l'autre. L'ambition de la charte est de rappeler que la dignité humaine est la condition cardinale du développement et qu'elle commande le respect des droits fondamentaux, économiques, sociaux, culturels et environnementaux pour que la machine économique puisse tourner au mieux de ses capacités. Mais si le respect de ces droits est d'abord une obligation juridique de l'Etat à l'égard de ses citoyens, leur promotion est aussi une responsabilité des acteurs à qui il appartient, par la libre négociation et par la conclusion de contrats de partenariat, de concrétiser et d'améliorer le contenu de ces droits. La vocation du CES est d'impulser ce dialogue, en son sein, pour que se dégagent les convergences qui permettront aux acteurs, sur le terrain, de nouer ces nouveaux contrats. Il peut s'agir de conventions collectives ou d'accords cadres entre partenaires sociaux, d'objectifs communs à contractualiser entre des secteurs déterminés et des associations, ou des partenariats entre les pouvoirs publics, les collectivités locales et les entreprises ou les associations. C'est une ambition élevée. Elle a besoin de signaux sur le respect des droits fondamentaux des personnes et des groupes, à commencer par les catégories vulnérables. D'où le titre de ce référentiel, des droits à respecter et des objectifs à contractualiser. Cette dynamique devrait progressivement matérialiser la nouvelle charte sociale, c'est-à-dire un nouveau rapport à la loi, une nouvelle façon de délibérer entre les acteurs, de se fixer des ambitions communes, même modestes, mais de s'engager librement et réciproquement à les réaliser.

La nouvelle charte sociale est un projet voté à l'unanimité. Est-ce à dire que toutes les sensibilités l'ont votée de la droite à la gauche et que les représentants du CES sont d'accord sur des questions aussi sensibles que celles relatives à l'interruption volontaire de grossesse ?

Au CES, les gens sont assis par ordre alphabétique et non selon une distribution droite-gauche. Les différentes catégories, employeurs, société civile, syndicats, experts et membres dits de droit, sont elles-mêmes traversées par plusieurs sensibilités. L'accord s'est fait sans difficulté. Le président du CES est quelqu'un qui sait écouter les gens. Et l'ambiance de travail est bonne entre les catégories qui composent cette maison. L'idée commune est que des attentes sociétales émergent sur ces sujets importants. Nous avons convenu que le déni ne permet pas de relever le défi des dilemmes éthiques que ces attentes peuvent soulever et nous avons recommandé l'ouverture d'un débat qui devra être sereinement mené, entre acteurs représentatifs et qualifiés, dans des forums appropriés, qui peuvent être soit le Conseil national des droits de l'homme, soit un conseil en charge de l'éthique.

Qu'en est-il du contrôle d'applicabilité des mesures préconisées dans le projet de loi ?

En principe, tous les objectifs énumérés par le référentiel se fondent sur des droits fondamentaux dont le contrôle doit relever de la loi pour, précisément, en matérialiser l'effectivité. Les contrats de partenariat entre acteurs relèvent, eux, de leur libre initiative.

Qu'en est-il des recours des citoyens ?

Le CES n'est pas une magistrature. Il formule des avis. L'autorité de ses points de vue ne peut valoir que ce que valent la pertinence de ses analyses et la faisabilité de ses recommandations. Ce n'est d'ailleurs pas une faiblesse mais une grosse responsabilité.

Quel est en vérité le rôle du CES et comment va-t-il agir au niveau du gouvernement et du parlement ?

Les compétences du CES sont fixées de façon très précise par une loi organique. L'intérêt de ce Conseil est d'associer dans un forum unique les représentants des employeurs, des salariés, des associations et des personnalités qualifiées. Son rôle est de fournir des avis, de sa propre initiative ou à la demande du gouvernement ou du parlement, sur les questions économiques, environnementales, sociales ou culturelles. Sa mission est de faire entendre la voix de la société civile organisée, aussi bien au sujet des signaux faibles qui remontent de la société que dans les processus de décision, d'élaboration des lois et d'évaluation des politiques publiques.

Concernant la charte sociale, il est souligné dans le document que le CES inclut «un référentiel de normes» et des «objectifs à contractualiser» via de grands contrats. «Un inventaire de tous les traités ratifiés, de la Constitution, des lois… a permis de formaliser ce référentiel sur la base de droits opposables». Qu'est-ce que cette notion de droit opposable ? Quand on parle de droit au logement ou de droit à la santé, peut-on attaquer l'exécutif si ce droit n'est pas exercé ?

La notion d'opposabilité est essentielle. Le référentiel énumère des objectifs qui ne se fondent pas sur les préférences ou les intérêts subjectifs des membres du CES mais sur des droits énoncés par la Constitution et par des normes publiques universelles qui engagent le Maroc et l'obligent. Un droit opposable est une créance imprescriptible du citoyen sur sa communauté. Ça veut dire que l'Etat ainsi que l'ensemble des organes de la société ont la responsabilité, d'une part, de ne pas entraver le droit d'un citoyen de se loger, de se soigner, de se déplacer ou de s'instruire et, d'autre part, de réunir les conditions permettant au citoyen d'accéder à un logement décent, aux soins, à la mobilité ou à l'éducation. Ces notions peuvent paraître complexes et il faut en effet s'efforcer de les clarifier. Par exemple, le droit au travail ne signifie pas le droit automatique à l'emploi dans la fonction publique ni l'obligation pour tout le monde d'être salarié. Il veut dire que nul ne peut être empêché de travailler et que l'Etat et les autres acteurs ont pour responsabilité d'agir pour que des conditions favorables soient réunies pour permettre à chacun de subvenir à ses besoins par un travail librement choisi et décent.

« Les dispositions du référentiel engagent la responsabilité de tous », c'est ce qui ressort des déclarations qui ont suivi la présentation du projet. Tous, c'est, on l'a compris, les ONG, les institutions. N'est-ce pas là une manière de réduire l'action de l'Etat qui dans les moments de crise doit jouer un rôle important de régulation sociale ?

Le rôle de l'Etat en tant que garant de l'autorité de loi, en tant que stratège et en tant que régulateur ne saurait s'externaliser ni être sous-traité à quiconque. Par contre, la promotion des droits fondamentaux engage la responsabilité de tous. La protection du droit à la vie engage la responsabilité de l'automobiliste sur la route, de l'employeur dans ses ateliers et du médecin dans sa clinique. Le droit de négociation collective doit être garanti par la loi mais son bon exercice engage la bonne foi et la compétence des partenaires sociaux. La protection du littoral contre la pollution nécessite des lois strictes et des sanctions contre les pollueurs mais elle engage aussi la responsabilité active de toutes les parties prenantes.

Quelle est finalement l'efficacité et l'utilité d'un tel projet de charte sociale qui reprend les articles et obligations déjà contenues dans la Constitution ?

La Constitution énonce des principes et des droits. Le référentiel de la charte les décline en objectifs opérationnels, couplés à des indicateurs de mesure et de suivi. La Constitution dit le « quoi », le référentiel de la charte dit le « en vue de quoi ». Ce que le référentiel ne dit pas, c'est le « comment » qui est d'une part l'affaire de la méthode politique du gouvernement et, d'autre part, l'affaire de l'accord contractuel entre les acteurs sociaux.

Quel est dans ce projet le principe ou l'objectif qui vous parait être le plus important ?

Tous les droits et principes affirmés par ce référentiel sont interdépendants, indivisibles et complémentaires. Philosophiquement, je dirai que le principe le plus important est le droit à la vie avec tout ce qui en découle. Immédiatement ensuite vient le principe de non-discrimination et de promotion de l'égalité qui doit vraiment devenir une priorité nationale. Et, politiquement, je dirai que la priorité vitale pour le Maroc c'est désormais le respect de l'autorité de la loi, car c'est elle qui conditionne la démocratie sociale et la gouvernance responsable auxquelles les Marocains aspirent.
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