Connaître l'autre, au-delà des frontières qui déterminent son être, est le propre de la culture. Le livre a toujours été et restera ce cordon aux multiples ramifications qui lie la pensée humaine dans ce qu'elle a de noble, d'intime et forcément d'authentique. Qu'un animateur-télé, chroniqueur et écrivain rebelle, soit aux commandes de la Culture en France est un peu dans l'esprit même de cette dose de liberté qu'un tel secteur est censé avoir. La voix nasillarde et nonchalante de l'animateur de «Du côté de chez Fred» n'enlève rien à sa force de caractère. Son célèbre franc-parler n'est pas totalement tombé sous le joug de la langue mitigée de la fonction ministérielle. Rencontré, samedi à Casablanca, au Salon international du livre, Frédéric Mitterrand, qui n'en est pas à sa première visite, se dit impressionné par son dynamisme.
Pour lui, le manque de moyens n'a pas empêché les éditeurs et écrivains marocains de produire et d'améliorer le rythme d'année en année. Son rapport à la culture reste positivement subversif dans la mesure où il entrevoit la tombée de tous les murs et remparts qui se dressent devant le plein accès à la culture. Ce qui ne l'empêche pas d'appeler un chat un chat en qualifiant le piratage de danger majeur pour l'épanouissement de l'acte créatif. F. Mitterrand reconnaît, toutefois, que les solutions à ce fléau sont appelées à être plus simplifiées. La carte musique pour les jeunes ne donnera pas tous les résultats escomptés tant qu'elle reste compliquée. Quant à la compétition culturelle qui s'acharne, via les téléfilms, le cinéma ou encore l'écriture, le ministre français n'y voit pas un alibi pour la défense classique contre une quelconque hégémonie.
Pour lui, la confirmation de ce qu'on est et un plus fort soutien à la création restent la meilleure tactique. Il s'agit, justement, d'une mondialisation de la culture plutôt qu'un surcroît de l'américanisation. Pour ce qui est enfin des relations culturelles entre le Maroc et la France, F. Mitterrand ne mâche pas ses mots. Il faut que la curiosité française sorte un peu de ses contours hexagonaux, estime-t-il. Il nous annonce à cet égard la proche création d'une rubrique de traduction arabe-français dans le Centre national du livre en France. Celui qui a été commissaire général de l'année du Maroc en France en 1999 reste aussi admiratif du travail effectué par les Instituts français dans plusieurs villes du Royaume. Ayant passé quelques années durant sa préadolescence au Maroc, F. Mitterrand en garde un doux souvenir et un sentiment de fidélité qu'il veut traduire en coopération culturelle encore plus poussée.
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Le Matin : Quel regard ou plutôt quelle appréciation faites- vous de ce 17e SIEL ?
Frédéric Mitterrand : Ce n'est pas la première fois que je viens au SIEL. J'y suis venu à deux reprises avant d'être ministre. J'avais été très frappé par le dynamisme du Salon, par l'intérêt qu'il y a à découvrir la vitalité des éditeurs marocains. Dans des conditions qui sont différentes de celles en Europe, ils arrivent à publier toutes sortes d'œuvres qui vont de la poésie au roman ou encore des livres politiques. J'ai été impressionné aussi par la publication des beaux livres qui traitent du patrimoine du Maroc.
Et même si les conditions matérielles ne sont pas les mêmes qu'en Europe, il y a une vitalité des écrivains et des éditeurs. L'autre aspect est de voir ce que les éditeurs européens apportent ici et à travers cela on peut toucher l'échange qui se fait entre le nord et le sud.
En parlant justement d'échange culturel, comment pouvez-vous qualifier le flux entre le Maroc et la France, est-ce qu'il évolue, stagne ou change de paradigme ?
Je ne dirais pas qu'il stagne. J'ai le sentiment que lorsque nous avons tenu l'année du Maroc en France, il y a de cela dix ans, on avait réussi à mettre un coup de projecteur très fort sur la culture marocaine. Cette manifestation a été un grand succès en France. Après, les choses sont un peu retombées, il y a eu un mouvement très puissant mais un peu différent des schémas habituels. Je pense que l'on peut faire encore mieux aujourd'hui. Certes, l'on ne va pas assez loin. Peut-être parce que la France ne se donne pas suffisamment de mal ou que la curiosité qu'elle devrait avoir reste encore trop hexagonale. Mais, en ce qui me concerne, je ne peux pas me reprocher de stagner puisque je suis passionné par tout ce qui se passe au Maroc. Tout ce qui a trait au patrimoine, à la création, au cinéma, etc. Là où je mets des grands espoirs, c'est dans les projets de création de l'Institut français qui va redonner du dynamisme aux relations bilatérales. Et l'une des raisons pour lesquelles je suis ici est de participer à déterminer les opportunités que je peux essayer de développer dans ce sens.
Est-ce que cette volonté s'inscrit aussi dans le cadre de la saison culturelle franco-marocaine qui acquière aujourd'hui un label, une sorte d'institutionnalisation ?
Personnellement, je ne suis pas pour l'institutionnalisation permanente. Vous savez, il y a une chose dont il faut se rendre compte, c'est qu'il y a un flux permanent entre la France et le Maroc. On est frappé par les éditions bilingues de livres de part et d'autres. D'ailleurs, je vais demander au centre national du livre de créer une tribune de traduction de livres en langue arabe pour qu'ils soient plus facile à percevoir en français et vice-versa. Ceci, également, pour qu'un certain nombre de classiques français soient plus faciles à lire en arabe.
Est-ce que l'on est toujours dans le schéma culturel de concurrence entre la France, l'Espagne et les Etats-Unis ? L'Amérique continue-t-elle de prendre encore plus d'espace au détriment des autres ?
D'abord, est-ce que la culture américaine prend plus d'espace? Je dirais plutôt que la culture mondialisée est en train de gagner de plus en plus d'espace. Et à travers Internet, les modèles américains qui sont vraiment dynamiques s'expriment avec leur dynamisme propre. Mais, également, avec Internet, nous assistons à un élargissement du monde. Et l'on peut accéder à la culture chinoise ou indienne alors qu'on n'y avait pas accès précédemment. Alors, d'une part, efficacité et dynamisme américain et d'autre part, élargissement du monde. Le Maroc et la France qui ont un patrimoine et une histoire n'ont pas à avoir peur. L'on ne peut que profiter, au contraire, d'enseignements encore plus grands.
Vous parliez d'Internet et cela nous amène à aborder la question sensible du piratage. Vous avez proposé des solutions qui n'ont pas été perçues comme vous l'aviez imaginé, comme la carte musique pour les jeunes…
Il y'a d'abord une instance de régulation qui s'appelle Hadopi et qui repère les pirates et les dissuade de continuer à le faire. J'ai l'intime conviction que cette solution va marcher. Parce que je vois qu'il y a une véritable inquiétude de la part des internautes anarcho-libéraux, pour lesquels j'ai de la sympathie, mais on redoute qu'ils se livrent au piratage. La pédagogie fonctionne très bien. Tout le monde sait aujourd'hui que pirater c'est du vol. Ensuite, il y a des initiatives d'accompagnement comme le fait d'avoir une gestion collective pour les droits liée à la radio qui est en train de marcher. C'est très technique, mais très important aussi. Et parmi les mesures d'accompagnement, il y a effectivement la carte musique qui ne marche pas très bien car c'est encore très compliqué. Pour avoir une carte musique, il faut cliquer une demi-douzaine de fois, ce qui n'est pas pratique. Je pense que lorsqu'on aura simplifié les choses, elle devrait marcher mieux.
Pensez-vous que le rapport au livre risque de s'essouffler avec Internet ?
Non, je pense que tout ce qu'apporte Internet est un plus. Internet ne va rien prendre à ce qui existe déjà mais va au contraire élargir les horizons. Il y aura des livres sur Internet et cela va être plus commode d'avoir une trentaine de livres sur sa tablette, mais ça va aussi élargir le désir de lecture. Le livre texte ne va pas mourir. Il n'est pas mort aux Etats-Unis même si le livre numérique représente maintenant 20% du marché. Je n'ai pas d'inquiétude à cet égard.
Pour lui, le manque de moyens n'a pas empêché les éditeurs et écrivains marocains de produire et d'améliorer le rythme d'année en année. Son rapport à la culture reste positivement subversif dans la mesure où il entrevoit la tombée de tous les murs et remparts qui se dressent devant le plein accès à la culture. Ce qui ne l'empêche pas d'appeler un chat un chat en qualifiant le piratage de danger majeur pour l'épanouissement de l'acte créatif. F. Mitterrand reconnaît, toutefois, que les solutions à ce fléau sont appelées à être plus simplifiées. La carte musique pour les jeunes ne donnera pas tous les résultats escomptés tant qu'elle reste compliquée. Quant à la compétition culturelle qui s'acharne, via les téléfilms, le cinéma ou encore l'écriture, le ministre français n'y voit pas un alibi pour la défense classique contre une quelconque hégémonie.
Pour lui, la confirmation de ce qu'on est et un plus fort soutien à la création restent la meilleure tactique. Il s'agit, justement, d'une mondialisation de la culture plutôt qu'un surcroît de l'américanisation. Pour ce qui est enfin des relations culturelles entre le Maroc et la France, F. Mitterrand ne mâche pas ses mots. Il faut que la curiosité française sorte un peu de ses contours hexagonaux, estime-t-il. Il nous annonce à cet égard la proche création d'une rubrique de traduction arabe-français dans le Centre national du livre en France. Celui qui a été commissaire général de l'année du Maroc en France en 1999 reste aussi admiratif du travail effectué par les Instituts français dans plusieurs villes du Royaume. Ayant passé quelques années durant sa préadolescence au Maroc, F. Mitterrand en garde un doux souvenir et un sentiment de fidélité qu'il veut traduire en coopération culturelle encore plus poussée.
Le Matin : Quel regard ou plutôt quelle appréciation faites- vous de ce 17e SIEL ?
Frédéric Mitterrand : Ce n'est pas la première fois que je viens au SIEL. J'y suis venu à deux reprises avant d'être ministre. J'avais été très frappé par le dynamisme du Salon, par l'intérêt qu'il y a à découvrir la vitalité des éditeurs marocains. Dans des conditions qui sont différentes de celles en Europe, ils arrivent à publier toutes sortes d'œuvres qui vont de la poésie au roman ou encore des livres politiques. J'ai été impressionné aussi par la publication des beaux livres qui traitent du patrimoine du Maroc.
Et même si les conditions matérielles ne sont pas les mêmes qu'en Europe, il y a une vitalité des écrivains et des éditeurs. L'autre aspect est de voir ce que les éditeurs européens apportent ici et à travers cela on peut toucher l'échange qui se fait entre le nord et le sud.
En parlant justement d'échange culturel, comment pouvez-vous qualifier le flux entre le Maroc et la France, est-ce qu'il évolue, stagne ou change de paradigme ?
Je ne dirais pas qu'il stagne. J'ai le sentiment que lorsque nous avons tenu l'année du Maroc en France, il y a de cela dix ans, on avait réussi à mettre un coup de projecteur très fort sur la culture marocaine. Cette manifestation a été un grand succès en France. Après, les choses sont un peu retombées, il y a eu un mouvement très puissant mais un peu différent des schémas habituels. Je pense que l'on peut faire encore mieux aujourd'hui. Certes, l'on ne va pas assez loin. Peut-être parce que la France ne se donne pas suffisamment de mal ou que la curiosité qu'elle devrait avoir reste encore trop hexagonale. Mais, en ce qui me concerne, je ne peux pas me reprocher de stagner puisque je suis passionné par tout ce qui se passe au Maroc. Tout ce qui a trait au patrimoine, à la création, au cinéma, etc. Là où je mets des grands espoirs, c'est dans les projets de création de l'Institut français qui va redonner du dynamisme aux relations bilatérales. Et l'une des raisons pour lesquelles je suis ici est de participer à déterminer les opportunités que je peux essayer de développer dans ce sens.
Est-ce que cette volonté s'inscrit aussi dans le cadre de la saison culturelle franco-marocaine qui acquière aujourd'hui un label, une sorte d'institutionnalisation ?
Personnellement, je ne suis pas pour l'institutionnalisation permanente. Vous savez, il y a une chose dont il faut se rendre compte, c'est qu'il y a un flux permanent entre la France et le Maroc. On est frappé par les éditions bilingues de livres de part et d'autres. D'ailleurs, je vais demander au centre national du livre de créer une tribune de traduction de livres en langue arabe pour qu'ils soient plus facile à percevoir en français et vice-versa. Ceci, également, pour qu'un certain nombre de classiques français soient plus faciles à lire en arabe.
Est-ce que l'on est toujours dans le schéma culturel de concurrence entre la France, l'Espagne et les Etats-Unis ? L'Amérique continue-t-elle de prendre encore plus d'espace au détriment des autres ?
D'abord, est-ce que la culture américaine prend plus d'espace? Je dirais plutôt que la culture mondialisée est en train de gagner de plus en plus d'espace. Et à travers Internet, les modèles américains qui sont vraiment dynamiques s'expriment avec leur dynamisme propre. Mais, également, avec Internet, nous assistons à un élargissement du monde. Et l'on peut accéder à la culture chinoise ou indienne alors qu'on n'y avait pas accès précédemment. Alors, d'une part, efficacité et dynamisme américain et d'autre part, élargissement du monde. Le Maroc et la France qui ont un patrimoine et une histoire n'ont pas à avoir peur. L'on ne peut que profiter, au contraire, d'enseignements encore plus grands.
Vous parliez d'Internet et cela nous amène à aborder la question sensible du piratage. Vous avez proposé des solutions qui n'ont pas été perçues comme vous l'aviez imaginé, comme la carte musique pour les jeunes…
Il y'a d'abord une instance de régulation qui s'appelle Hadopi et qui repère les pirates et les dissuade de continuer à le faire. J'ai l'intime conviction que cette solution va marcher. Parce que je vois qu'il y a une véritable inquiétude de la part des internautes anarcho-libéraux, pour lesquels j'ai de la sympathie, mais on redoute qu'ils se livrent au piratage. La pédagogie fonctionne très bien. Tout le monde sait aujourd'hui que pirater c'est du vol. Ensuite, il y a des initiatives d'accompagnement comme le fait d'avoir une gestion collective pour les droits liée à la radio qui est en train de marcher. C'est très technique, mais très important aussi. Et parmi les mesures d'accompagnement, il y a effectivement la carte musique qui ne marche pas très bien car c'est encore très compliqué. Pour avoir une carte musique, il faut cliquer une demi-douzaine de fois, ce qui n'est pas pratique. Je pense que lorsqu'on aura simplifié les choses, elle devrait marcher mieux.
Pensez-vous que le rapport au livre risque de s'essouffler avec Internet ?
Non, je pense que tout ce qu'apporte Internet est un plus. Internet ne va rien prendre à ce qui existe déjà mais va au contraire élargir les horizons. Il y aura des livres sur Internet et cela va être plus commode d'avoir une trentaine de livres sur sa tablette, mais ça va aussi élargir le désir de lecture. Le livre texte ne va pas mourir. Il n'est pas mort aux Etats-Unis même si le livre numérique représente maintenant 20% du marché. Je n'ai pas d'inquiétude à cet égard.
