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«Renforcer l'unité nationale par une nouvelle gouvernance territoriale»

L'accélération des changements au cours de cette dernière décennie a créé un nouveau rapport au temps et de nouveaux liens avec la société fondés sur la proximité. Il faut désormais faire avec la société, avec les citoyens, réorganiser les solidarités, réinventer l'action publique, aller vers plus de croissance, de partage plus équitable.

«Renforcer l'unité nationale par une nouvelle gouvernance territoriale»
Mohamed Souafi, membre de la Commission de la régionalisation avancée.
L'un des chemins est la régionalisation avancée qui a fait l'objet d'une rencontre passionnante, organisée récemment par l'Association des élèves ingénieurs de l'Ecole de Mohammedia, très active à travers les régions et qui regroupe nombre de hauts fonctionnaires et DG d'institutions comme Anas Alami, Abdellatif Zaghnoun et Rabie Khlie. Les intervenants à cette rencontre du 24 juin, Abdellatif Jouahri, Mohamed Souafi et Abdellatif Benchrifa, sont tous membres de la Commission chargée du projet de régionalisation avancée, présidée par M. Azziman, qui conçoit « la régionalisation comme un modèle progressif que nous avons voulu démocratique, représentatif et participatif, agissant comme un levier de développement durable, dans le cadre d'un Etat unitaire, un Etat de droit où devraient primer la concertation et la bonne gouvernance».

L'universitaire, ex-directeur de l'aménagement du territoire, Mohamed Souafi, qui ouvre la rencontre, a mis en avant les fondamentaux. Il s'agit, dit-il, d'un projet maroco-marocain: ambitieux et réaliste qui repose sur une règle, celle de renforcer l'unité nationale et approfondir la démocratie, et sur un objectif, celui d'une nouvelle gouvernance territoriale, c'est-à-dire une réforme de l'Etat qui intègre tout le système de gestion du territoire et qui permette la formation d'élites qualifiées. De ce cadrage, il y a lieu de rappeler des données de base, l'identité nationale, la cohérence du dispositif institutionnel et le couple déconcentration-décentralisation qu'il décrypte dans l'entretien qu'il nous a accordé. Pour sa part, M. Jouahri, wali de Bank Al-Maghreb, met en avant les outils, les munitions, le cadrage et rappelle que «3 régions du Maroc représentent actuellement 44% des richesses et ressources du pays. Pour remédier aux lacunes des régions et leurs déficits au niveau du développement humain, éducation, santé, habitat social, infrastructure, l'Etat doit assumer le financement des régions à hauteur de 128 jusqu'à 215 milliards de dirhams, sur une période s'étalant sur deux mandats électoraux, à travers le Fonds de mise à niveau régionale, dont les tranches seront inscrites dans les lois de finances, afin de permettre une programmation pluriannuelle et un suivi d'évaluation adéquat.

Les critères d'éligibilité et de répartition seront définis par une commission ad hoc. Un fonds de solidarité régionale de 8 milliards de DH sera également mis en place, auquel chaque région apportera une contribution à partir de ses ressources. L'Etat accroîtra de manière significative ses transferts vers les régions, dans un souci de renforcement de leur capacité d'action et d'initiative en matière de développement économique, social, culturel et environnemental». Pour ces moyens, il faut une contractualisation avec l'Etat et les partenaires privés. Tout ce qui concerne les régions ou les territoires sera donné en priorité à la deuxième chambre.
Le constitutionnaliste et le chef de l'Etat, indique M. Jouahri, ont concrétisé l'importance qu'ils donnaient à ce chantier en accordant aux régions tous les moyens matériels, financiers, humains, organisationnels et démocratiques. Ce qu'il faut maintenant ce sont des élites valables, que le politique prenne conscience de l'importance de ce chantier et se mette au travail, a conclu M. Jouahri.

Dans son intervention sur le découpage, question ayant soulevé beaucoup de passion dans les débats, le wali Abdellatif Benchrifa part du principe de l'accumulation, les régions devant être la somme de provinces et de préfectures existantes, de la solidarité interrégionale.
Pour cet universitaire, les recherches ont démontré l'existence d'une ligne de démarcation virtuelle qui traverse le Maroc de part en part et qui le scinde en deux configurations différentes, avec un Maroc ouvert aux échanges, une tradition urbaine et l'existence de grandes métropoles comme Kénitra, Rabat, locomotives du développement avec parfois des villes-régions comme celle de Casablanca, et un autre Maroc semi-désertique à saharien, marqué par un peuplement moins dense, des oasis, une économie moins développée qui doit bénéficier de la solidarité nationale.

Tenant compte de cette ligne, le découpage régional proposé repose sur les principes de fonctionnalité et d'homogénéité et de complémentarité comme pour les bi-pôles Fès-Meknès et Tanger-Tétouan pour plus d'efficience, ce qui conforte les développements stratégiques en cours dans certaines régions économiques, comme El Hoceima et Taounate, et donne lieu à 12 régions au lieu de 16 actuellement.
La grande région oasienne de Figuig à Zagora met ensemble les régions pré et sahariennes et sera ainsi éligible au fonds de solidarité.
Pour ce qui est des régions sahariennes récupérées, elles restent inchangées en attendant le processus de règlement conduit par l'ONU, a-t-il souligné.
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L'universitaire, ex-directeur de l'aménagement du territoire, Mohamed Souafi a mis en avant les fondamentaux. Il s'agit, dit-il, d'un projet maroco-marocain: ambitieux et réaliste qui repose sur une règle, celle de renforcer l'unité nationale et approfondir la démocratie, et sur un objectif, celui d'une nouvelle gouvernance territoriale, c'est-à-dire une réforme de l'Etat qui intègre tout le système de gestion du territoire et qui permette la formation d'élites qualifiées.

LE MATIN : A un Athénien à qui on demandait quel était le meilleur système d'organisation des pouvoirs? Il a répondu : «C'est pour quel peuple ? et à quelle époque ?».Vous avez rappelé ce «principe» très sage au début de votre intervention. Le projet de la régionalisation avancée est un des systèmes d'organisation qui repose sur un certain nombre de fondamentaux. Quels sont-ils ?

MOHAMED SOUAFI : Le discours Royal du 3 janvier 2010, a défini de façon nette et précise la substance de la réforme institutionnelle : il s'agit d'un projet maroco-marocain : ambitieux et réaliste qui repose sur une règle, celle de renforcer l'unité nationale et approfondir la démocratie et sur un objectif, celui d' une nouvelle gouvernance territoriale, c'est-à-dire une réforme de l'Etat qui intègre tout le système de gestion du territoire et qui permette la formation d'élites qualifiées. De ce cadrage, il y a lieu de rappeler, des données de base, l'identité nationale, la cohérence du dispositif institutionnel et le couple déconcentration-décentralisation.

Commençons par l'identité nationale qui tout au long de l'histoire n'a pas connu d'altération ?

Le Royaume du Maroc n'est pas un simple concept géographique mais un concept historique. C'est une construction, issue d'une histoire millénaire et qui passe par une succession de dynasties, animées par un même projet : unifier des populations très diverses et des territoires très contrastés, pour en faire une entité capable de s'affirmer, face aux pressions extérieures. La continuité de la volonté politique a triomphé des forces centrifuges et des particularismes tribaux – et cela a permis de faire face à des menaces extérieures majeures. Le Royaume unifié de Fès et de Marrakech a su maintenir durant des siècles le seul Etat arabe non soumis à une puissance extérieure. Cette histoire a été consacrée par le peuple et son Roi, à l'occasion de la lutte pour l'indépendance nationale. L'intermède colonial a débouché sur la montée d'un vaste mouvement populaire, englobant tous les territoires et toutes les catégories de la population, exprimé par le Mouvement National, et traduisant l'unité profonde et volontaire du pays tout entier. Le Maroc s'est donc construit comme un Etat unifié et cela constitue le socle de toute réflexion institutionnelle. Il y a évidemment beaucoup de façons de concevoir et de faire fonctionner un Etat unifié. L'exercice ne consiste pas dans la théorisation de systèmes institutionnels à l'échelle universelle ; mais au contraire de bien se placer dans la problématique spécifique du Maroc. Concrètement, cela signifie qu'il serait tout à fait déplacé d'aller faire du benchmarking dans toutes les directions, d'aller chercher des références dans les Etats fédéraux ou en Espagne ou… Le Maroc n'est pas un assemblage de provinces, agrégés par les mariages et les conquêtes, et jalouses de leurs spécificités et de leurs privilèges. Le paradigme historique marocain n'est pas l'agrégation mais l'intégration à un ensemble unifié par l'autorité d'un Souverain depuis les Almohades et approuvée par le peuple.

Abordons si vous le voulez la question de la cohérence du système institutionnel qui met en relief la complexité du rapport région-Etat ?

Le paradoxe de la Région, c'est qu'elle n'est pas l'acteur principal de la question de la régionalisation. En fait, on ne peut pas traiter de la Région en elle-même, mais comme l'élément charnière du dispositif institutionnel, entre le local, communes, provinces et le central.Un consensus s'est établi dans tous les états unifiés pour considérer que l'articulation entre le local et le national est plus efficace lorsque l'on dispose de cet échelon intermédiaire plutôt que dans une relation directe dont on a dénoncé les multiples méfaits : traitement uniforme ignorant les spécificités des territoires et encombrement de la gestion centralisée. Cela dit, il ne suffit pas d'instaurer la région pour régler les problèmes; on peut même les compliquer, en ajoutant une nouvelle tranche institutionnelle qui vient interférer avec les précédentes et créer des conflits de compétences. Cette difficulté est inhérente à la définition même de la région, comme échelon intermédiaire. Alors que les missions des échelons de base et du niveau central apparaissent clairement et se définissent par référence à des questions objectives évidentes, la Région au contraire se définit par rapport aux autres échelons; à la limite, elle n'a pas de mission propre qui s'imposerait directement. Elle intervient, pour améliorer l'action du Centre et pour conforter la gestion des échelons de base ; mais c'est précisément cette dualité qui fait l'intérêt de la mission régionale. La question clé sur la région était donc : à quoi sert la région ? La réponse de principe est simple : à améliorer l'efficacité de l'action publique. Cela dit, il serait naïf d'imaginer que la régionalisation suffirait à régler les multiples carences que connaît aujourd'hui cette action publique ; il faudra bien d'autres choses aussi. On peut même considérer que la régionalisation n'a de chance d'aboutir que si elle s'insère dans un projet plus vaste qui traite de l'ensemble des difficultés de l'Etat ; une régionalisation isolée, dans un contexte identique, pourrait avoir plus d'effets pervers que d'effets positifs.

Ce qui nous amène à aborder la question régionale qui se pose à travers la déconcentration-décentralisation ?

En fait, il faut jouer sur les deux registres, en veillant à les articuler de façon cohérente et évolutive. Il ne faut surtout pas chercher à établir d'emblée la régionalisation parfaite mais tout au contraire à définir un processus institutionnel qui devra s'étaler sur vingt ans. La régionalisation est un projet institutionnel à l'horizon 2030. L'objectif est la décentralisation : la gestion territoriale doit relever de la responsabilité des instances élues au niveau considéré. La déconcentration constitue un préalable indispensable : elle doit précéder la décentralisation et créer les conditions de son développement. L'institution régionale sera donc bicéphale, avec un Wali, sur le versant de la déconcentration et un Président du Conseil Régional, sur le versant de la décentralisation. Mais ces deux légitimités ne se situent pas au même niveau ; en tant que représentant de l'Etat et du Roi, le wali est porteur de l'intérêt national, alors que la légitimité démocratique de l'instance régionale élue se situe au seul niveau de la région. La déconcentration doit permettre au Wali d'être « l'Etat en région », afin de rapprocher l'action centrale du terrain. Cela concerne la gestion des crédits réguliers des différents départements ministériels et plus encore la mise en œuvre des grands projets nationaux (INDH, Plan Vert, Plans sectoriels…). La décentralisation apportera à l'action publique une légitimation démocratique, un complément de financement et surtout la connaissance du terrain et des acteurs ; cela permettra d'affiner les politiques publiques et de les rendre plus opératives, grâce à la participation croissante des intéressés. L'erreur à éviter dans cette affaire était d'opposer les deux axes - décentralisation et déconcentration - de les considérer comme antagoniques ; c'est la démarche inverse qu'il faudrait promouvoir et ce pour une excellente raison : si la décentralisation maximale est l'objectif final, le processus même de la décentralisation ne peut se développer qu'en appui sur la déconcentration. Les élus doivent avoir en face d'eux et à leurs côtés, un interlocuteur responsable. Le Wali ne sera pas là pour défendre les prérogatives de l'Etat mais au contraire pour promouvoir les instances élues, les aider à monter en compétences et en responsabilités, afin de créer les conditions d'une décentralisation efficace dans les meilleurs délais. La mise en œuvre d'une telle démarche suppose en préalable des changements profonds dans le fonctionnement de l'Etat au niveau central. On ne peut pas imaginer un système où le Wali serait le chef des différents services de l'Etat en région, alors que les Ministères concernés continueraient à fonctionner de manière séparée. Il nous faut initier un processus d'interministérialité, faute de quoi les grandes politiques publiques à objectifs complexes (comme la politique urbaine) seraient vouées à l'impasse. On peut aujourd'hui lancer un Plan Vert, parce que le domaine agricole (et même rural) relève d'un seul ministère. Il serait impossible d'imaginer un Plan équivalent pour la mise à niveau des métropoles, faute d'instance interministérielle compétente.

Quelles doivent être les finalités de la région marocaine ? Comment pourront être définies ses «prérogatives» ?

Deux grands domaines s'ouvrent à l'intervention de l'institution régionale : il s'agit de complémenter et appuyer l'Etat pour la mise en œuvre des politiques publiques nécessitant une adaptation précise aux conditions du terrain et une participation des acteurs concernés. Il s'agit également de promouvoir les synergies régionales en matière économique et contribuer au développement culturel du pays par l'impulsion de la création et de la diffusion.
Si l'idée de région a une légitimité, c'est dans la mesure où elle peut contribuer efficacement à atteindre ces deux objectifs. Lorsque Sa Majesté affirme très justement qu'il faut un projet maroco-marocain, cela signifie d'abord un projet en prise directe avec les problèmes, avec les difficultés que rencontre le pays. Or toutes les analyses menées sur le développement économique et social par la CCR montrent que les difficultés majeures résultent moins d'une carence des moyens financiers que d'une insuffisance méthodologique de la part de l'Etat. Ce n'est pas par hasard si les problèmes non résolus ou mal traités sont ceux qui nécessitent un ajustement territorial précis et une implication des acteurs locaux, institutionnels, économiques et sociaux. Nous retrouvons le « Nouveau Concept d'Autorité » du célèbre discours royal de Casablanca. La régionalisation n'est autre que la mise en œuvre de ce projet. Ces deux grands projets d'intervention régionale ne pourront pas être menés simultanément ; la règle de progressivité sur laquelle est revenue Abdelatif Jouahri dans son intervention impose de commencer par le plus urgent et le plus abordable. Dans la première phase de la régionalisation, c'est la dimension de complément de l'action d'Etat qui sera la plus importante, sans pour autant négliger la seconde.

La question des compétences est, dites-vous, d'une extrême complexité ; il faudrait faire intervenir au moins deux facteurs : quels sont ces facteurs ?

Complexe, parce qu'elle doit être traitée globalement en prenant en compte tous les échelons institutionnels et en sachant bien, qu'en réalité, toutes les compétences sont, plus ou moins partagées. Deux écueils sont à éviter, celui de la confusion est le plus évident, car c'est ce qui se passe actuellement ; toutes les collectivités ont en principe toutes les compétences et le partage s'effectue en fait sur la base des moyens, qui sont très inégalement répartis. Le deuxième écueil est celui de la rigidité qui résulterait d'une codification précise de « qui fait quoi », dans tous les détails – ce qui conduirait à une multiplication des conflits d'interprétation, voire au blocage du système. L'équilibre est difficile à tenir et il repose en dernière instance, sur l'intelligence des participants. D'autre part, les compétences ne se déclinent pas seulement selon les niveaux, mais aussi selon les domaines, selon qu'il s'agit des grandes infrastructures, des équipements publics structurants, des équipements de la quotidienneté, du développement économique. La nature des questions est très différente et les intervenants sont plus ou moins en situation de traiter tel ou tel type de problèmes.

Autre sujet des plus complexes, celui du statut de la région et ces compétences ?

C'est un domaine où il a fallu innover et produire des notions conformes à la réalité marocaine. Dans la tradition juridique française, la notion de collectivité territoriale est liée à celle de compétence générale. On mesure aujourd'hui à quel point cette liaison est pernicieuse et produit une confusion, elle-même source de conflictualités. On ne peut pas multiplier les compétences générales à tous les niveaux et on ne peut pas non plus fixer des grilles précises qui prétendent déterminer une fois pour toute qui construit, gère tel ou tel type d'équipements.
On propose de considérer que le modèle marocain pourrait consister en une distinction entre les collectivités territoriales, communes, et dans certaines limites les provinces, qui peuvent avoir une vocation généraliste, et la région, définie en termes de missions. Il n'y a pas lieu de se lancer dans l'exercice qui consiste à découper les compétences en autant de tranches horizontales que de niveaux institutionnels. Il ne faut surtout pas chercher à définir a priori un niveau proprement régional dans tous les domaines de l'action publique. Dans une première phase, les taches de la région sont à définir de manière purement pragmatique, à partir du bilan de la gestion, en ciblant les domaines marqués par des insuffisances comme les volets développement humain qui appellent de ce fait des réformes de structure. On engagera ensuite, sur une base contractuelle, progressivement les missions pérennes de la Région dans les champs économique et culturel.
On a diagnostiqué six domaines qui nécessitent des changements importants et qui constituent une base de départ largement suffisante pour engager une réforme régionale. La Région ainsi conçue aurait à s'occuper des ressources naturelles, en ciblant les eaux souterraines, du développement urbain, en ciblant le foncier, de la pauvreté, des équipements publics, en ciblant la scolarisation de base, de l'habitat, en ciblant le social, du développement économique, en ciblant les PMI et l'artisanat – et, bien entendu, de l'Aménagement du Territoire.
Cela couvre pratiquement tous les grands champs thématiques, mais sur des cibles précises. Cela se traduira par des programmes et des projets qui donneront lieu à négociation et contractualisation avec l'Etat d'une part, les acteurs locaux d'autre part.
Les six domaines énumérés ne constituent pas un bloc. Selon le profil de chaque région, il y aura des pondérations différentes ; certaines taches peuvent ne pas concerner certaines régions, et inversement d'autres peuvent être envisagées. En tout état de cause, les situations seront différentes dans les sept régions « métropolisées » et dans les autres. D'autre part, tout ceci doit être pensé en termes de processus étalé sur vingt ans. Il faut donc réfléchir en termes de phases ; on peut même préciser que dans ce domaine, les phases ont une durée d'un mandat et que l'on doit réfléchir en fonction de trois périodes de 6 ans…
Mais il ne suffira pas de définir les règles de partage des compétences ; il faudra aussi définir les règles d'exercice de ces compétences ainsi que les modalités d'articulation entre les instances. La région sera, par définition même, un échelon de compétences à prééminence fonctionnelle sur les autres collectivités territoriales.

L'une des préoccupations récurrentes, que l'on a retrouvée tout au long des débats, c'est celle des ressources qui permettent à la région une certaine autonomie. Qu'en est-il précisément de ces ressources ?

Le besoin financier dépendra directement des compétences attribuées à la région et du partage des responsabilités entre la wilaya et l'instance élue. La crédibilité politique de la région suppose un niveau de ressources nettement supérieur à celui qui existe aujourd'hui. L'existence politique de la région suppose obligatoirement une recette fiscale propre qui soit reconnue par le citoyen-contribuable comme la marque propre de l'institution régionale. Même si la sensation est douloureuse, elle est indispensable à la reconnaissance de l'instance et, au delà, à l'implication des citoyens dans l'affaire régionale. Non seulement il ne faut pas craindre la fiscalité, mais il faut la considérer comme un instrument indispensable ; il faut affirmer fortement que la région a un coût et qu'elle ne pourra agir efficacement qu'en fonction de la contribution des citoyens. Le budget de la Région décentralisée aura trois origines, les dotations nouvelles du budget de l'Etat, réparties sur critères objectifs( IS, IR, TVA) la possibilité ouverte aux régions d'ajouter un quota régional sur certaines taxes d'Etat, à l'intérieur d'une fourchette déterminée par la Loi (taxes sur les aéroports, sur les immatriculations des automobiles, les autoroutes…).
Cette procédure n'a rien à voir avec la distribution d'une part des recettes de TVA, telle qu'elle est effectuée aujourd'hui. Elle a l'avantage de conférer un pouvoir fiscal aux régions sans créer d'impôt nouveau ; Des recettes de ce type auraient un rendement géographique très contrasté ; le gros des revenus concernerait les régions métropolitaines.
Mais c'est précisément là que l'intervention de la Région est la plus souhaitable et qu'elle pourrait avoir des effets rapidement bénéfiques à travers le fond de solidarité. Il n'y a donc aucune contradiction, M. Jouahri l'a démontré dans son intervention.

Un dernier mot sur le découpage régional qui a suscité un grand débat ?

M. Benchrifa est revenu de manière brillante sur cette question des critères de régionalisation. Une partie de la réponse est directement liée à la question précédente, celle des compétences. La définition géographique des régions dépend des fonctions attribuées aux régions. Il est entendu que la question dite du découpage régional est en fait celle du regroupement des provinces ; les régions regrouperont des provinces entières. L'espace marocain est dual ; il y a deux formes d'organisation spatiale, celle qui est polarisée autour des métropoles, celle qui échappe à leur attraction. Cela induit deux types de régions, les régions polarisées d'une part, les régions homogènes d'autre part.
Il convient aussi d'insister sur le fait qu'il n'y a pas de gabarit régional standard. La taille économique ou démographique des régions peut varier dans des proportions considérables, surtout dans un pays comme le nôtre qui affiche des contrastes spectaculaires en matière de peuplement. Le fil directeur pour la conception du découpage doit être l'efficacité de la gestion publique, puisque c'est la raison d'être de la régionalisation et Abdelatif Benchrifa l'a démontré dans son argumentaire.
Les deux notions de métropolisation et de contractualisation constituent de bons repères. Il faut définir la carte régionale en vue de créer les conditions optimales de déploiement de la politique contractuelle, aussi bien pour les espaces démunis que pour les métropoles.
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