LE MATIN : Dans le marketing des villes, la qualité conjuguée au développement durable joue un rôle essentiel. Comment l'expliquer et pourquoi avoir fait le choix de ce thème pour la journée de l'architecte ?
OMAR FARKHANI : En plus de la vie quotidienne des habitants, la qualité urbaine joue un rôle essentiel dans le développement durable, économique et social: aujourd'hui, il est admis que l'attractivité des villes pour les investissements est en partie tributaire de la qualité de vie et donc du cadre de vie dont peuvent bénéficier les dirigeants des entreprises qui s'installent. Le développement du tourisme, activité productrice de richesses, essentielle pour le Maroc, est lui aussi lié à la qualité du cadre de vie quotidien. Le touriste actuel ne s'accommode plus d'un îlot de confort dans l'enceinte d'un hôtel 5 étoiles, baignant dans un espace urbain global médiocre. L'organisation de grands événements sportifs, culturels ou économiques coupe du monde, salon ou exposition internationale, festivals, congrès, … nécessitent aussi une qualité minimale d'espaces urbains pour accueillir les visiteurs et usagers des manifestations. Aux enjeux économiques s'ajoutent depuis quelques années des préoccupations environnementales, limitation des gaz à effets de serre, économie d'énergie, lutte contre diverses nuisances -pollution de l'air, bruits et stress- liés à la circulation automobile, etc. Ces quelques exemples montrent que la promotion de la qualité urbaine est une nécessité vitale pour le développement durable social et économique de notre société et qu'il faut lui accorder tout l'intérêt qu'il requiert. Il est temps que dans le sillage des Hautes directives royales, la qualité de l'espace architectural, urbain et rural occupe une place de choix dans les politiques publiques centrales et locales.
Dans ce sens, conscients de l'importance de ces enjeux, les architectes, à travers leurs instances ordinales, continuent à œuvrer au développement d'une sensibilité sociale collective à la qualité de l'espace de vie des Marocains.
C'est ainsi que la thématique de « La qualité urbaine au service du développement durable » a été choisie pour la commémoration du 25e anniversaire du Discours historique royal prononcé par feu Sa Majesté Hassan II devant les représentants de la profession.
Un discours qui en son temps avait marqué les esprits mais qui posait une question de fond : Comment répondre à l'exigence du développement, durable de surcroît, en faisant émerger des formes et une qualité spécifiques ?
En 1986, feu S.M. Hassan II a prononcé un Discours devant le Corps des architectes dans lequel il rappelle l'importance sociale, culturelle et civilisationnelle de l'acte architectural. Le Discours devait prendre du recul avec l'architecture « moderne». Cependant, sa mauvaise interprétation entraîna d'autres excès, tout aussi dommageables que ceux de l'architecture internationale Il s'est traduit sur le terrain par une inflation de l'architecture pastiche où l'utilisation de la tuile verte et des ouvertures en forme d'arcs tenait lieu d'architecture marocaine « authentique » et cela pour tous les types de programmes. Avec la création de l'Ecole nationale d'architecture de Rabat en 1980, l'augmentation relative du nombre d'architectes marocains, d'une part, et le développement des nouvelles technologies de l'information d'autre part, l'exercice professionnel au Maroc, favorisé par la logique de marché, commence à gagner en maîtrise du point de vue de la technique architecturale maîtrise des formes et des vocabulaires architecturaux et urbains. L'absence d'une politique architecturale volontariste ne favorise pas le changement de cet état de fait : le nombre de livres d'architecture publiés ces dernières années au Maroc se compte sur les doigts d'une main!
Pour la plupart, les médias s'intéressent à l'architecture dans sa dimension économique et sociale. Le débat sur l'urbain et surtout sur l'architecture est absent de la scène publique. Au Maroc, comme ailleurs, le «modernisme » et le « traditionalisme », avatars des pensées progressistes et culturalistes, ont cela de commun qu'ils réduisent l'architecture à un simple répertoire de formes isolées de leur contexte historique, géographique et culturel dans lequel on peut puiser à souhait selon le goût du jour. De ce point de vue, la nouvelle préoccupation du développement durable est une chance pour l'architecture marocaine. Sa mise en œuvre se caractérise en effet par une démarche plus que par des formes, par des objectifs plus que par des images.
En quoi les implications du développement durable sont-elles une chance pour l'architecture au Maroc ?
L'architecture durable n'est pas encore associée à des formes connotées. Elle puise autant dans les ressources et le savoir-faire local que dans les sciences et les technologies les plus avancées.
Elle met l'Homme et l'usager au centre de ses préoccupations. Aujourd'hui, il faut reposer la question de l'architecture et de l'urbain avec un œil neuf : la médina avec ses ruelles étroites ombragées et ses fastueux espaces introvertis, publics et privés, servait de réceptacle approprié à une société marocaine qui n'existe plus depuis longtemps.
C'est un héritage qui doit être réinterprété à la lumière de nos besoins actuels qui ne sont pas seulement identitaires, loin s'en faut. La qualité des espaces urbains, pour un Marocain, est d'abord une qualité d'usage avant d'être une qualité d'image (dessin des façades, formes urbaines, etc.). Le confort de son espace de vie quotidien l'intéresse bien plus que les prouesses architecturales formelles.
Reste que la logique économique, la pression de l'urbanisation n'aide pas toujours dans la prise en compte de l'esthétique et de la qualité ?
Dans un pays tel que le Maroc, récemment urbanisé et caractérisé par une nombreuse population à faible pouvoir d'achat, la question de la qualité urbaine et architecturale n'est sûrement pas simple à résoudre. C'est probablement pour cela que jusqu'à présent la dimension quantitative a pris le pas sur le reste.
Il s'agit d'abord pour les pouvoirs publics de répondre à des besoins quantitatifs considérables en vue de loger dignement tous les Marocains et d'en finir avec toutes les formes d'habitat insalubre. Soutenue par une forte volonté politique, portée par la plus haute Autorité de l'Etat, une politique de l'habitat ambitieuse a été mise en place, depuis une dizaine d'années, à travers notamment des incitations fiscales, foncières et réglementaires. Elle a abouti à la structuration et au renforcement d'une promotion immobilière puissante avec des résultats quantitatifs appréciables. De larges couches de populations démunies ont pu enfin accéder à la propriété de leur logement, dans des conditions d'endettement raisonnables. Cette politique relativement efficace sur le plan quantitatif a été moins heureuse sur le plan qualitatif. Compte tenu des fortes contraintes économiques et sociales, pouvait-il en être autrement ? Les questions, dites-vous, sont posées et demandent d'être débattues.
Une certaine qualité architecturale se retrouve dans les grands projets d'équipements publics et dans les projets touristiques bénéficiant de gros investissements. La commande de qualité architecturale par les maîtres d'ouvrage se justifie dans le premier cas par un besoin de représentation du pouvoir sur la scène publique et dans le second par les exigences élevées du touriste consommateur. Ces exemples montrent que la question de la qualité architecturale ne peut pas être appréhendée uniquement sur le plan formel et artistique. La qualité architecturale et urbaine doit être restituée dans une problématique globale qui intègre d'autres facteurs, notamment socioéconomiques.
La production de la qualité architecturale est une question d'utilité publique et nécessite donc un maître d'ouvrage qui se préoccupe de qualité. Ce n'est pas un hasard si les projets d'architecture les plus intéressants sont issus de concours où les maîtres d'œuvre en compétition bénéficient de grandes marges de liberté pour traduire avec talent les programmes que leur soumet le maître d'ouvrage. Le Maroc dispose aujourd'hui de nombreux architectes talentueux et d'un véritable savoir-faire technique, artisanal en particulier, qui représentent une matière première, un gisement à exploiter pour produire de la qualité urbaine et architecturale et renouer ainsi avec la grande tradition de bâtisseurs qui nous ont légués les médinas, les kasbahs et les ksours dont nous nous enorgueillissons légitimement aujourd'hui.Pour cela, il faut que le Maroc engage une politique architecturale et urbaine volontariste et ambitieuse qui se traduit notamment par le développement de la recherche dans les écoles d'architecture et dans les universités, la démocratisation de l'accès à la commande par la compétition basée sur le talent, la multiplication des prix d'architecture et d'urbanisme et l'instauration d'un débat national sur l'architecture et l'urbanisme. Le soubassement de cette politique à venir existe de manière explicite dans le Discours royal de 1986 et dans le message adressé par Sa Majesté le Roi Mohammed VI au Corps des architectes, en janvier 2006, à l'occasion de la commémoration du vingtième anniversaire du Discours de 1986.
OMAR FARKHANI : En plus de la vie quotidienne des habitants, la qualité urbaine joue un rôle essentiel dans le développement durable, économique et social: aujourd'hui, il est admis que l'attractivité des villes pour les investissements est en partie tributaire de la qualité de vie et donc du cadre de vie dont peuvent bénéficier les dirigeants des entreprises qui s'installent. Le développement du tourisme, activité productrice de richesses, essentielle pour le Maroc, est lui aussi lié à la qualité du cadre de vie quotidien. Le touriste actuel ne s'accommode plus d'un îlot de confort dans l'enceinte d'un hôtel 5 étoiles, baignant dans un espace urbain global médiocre. L'organisation de grands événements sportifs, culturels ou économiques coupe du monde, salon ou exposition internationale, festivals, congrès, … nécessitent aussi une qualité minimale d'espaces urbains pour accueillir les visiteurs et usagers des manifestations. Aux enjeux économiques s'ajoutent depuis quelques années des préoccupations environnementales, limitation des gaz à effets de serre, économie d'énergie, lutte contre diverses nuisances -pollution de l'air, bruits et stress- liés à la circulation automobile, etc. Ces quelques exemples montrent que la promotion de la qualité urbaine est une nécessité vitale pour le développement durable social et économique de notre société et qu'il faut lui accorder tout l'intérêt qu'il requiert. Il est temps que dans le sillage des Hautes directives royales, la qualité de l'espace architectural, urbain et rural occupe une place de choix dans les politiques publiques centrales et locales.
Dans ce sens, conscients de l'importance de ces enjeux, les architectes, à travers leurs instances ordinales, continuent à œuvrer au développement d'une sensibilité sociale collective à la qualité de l'espace de vie des Marocains.
C'est ainsi que la thématique de « La qualité urbaine au service du développement durable » a été choisie pour la commémoration du 25e anniversaire du Discours historique royal prononcé par feu Sa Majesté Hassan II devant les représentants de la profession.
Un discours qui en son temps avait marqué les esprits mais qui posait une question de fond : Comment répondre à l'exigence du développement, durable de surcroît, en faisant émerger des formes et une qualité spécifiques ?
En 1986, feu S.M. Hassan II a prononcé un Discours devant le Corps des architectes dans lequel il rappelle l'importance sociale, culturelle et civilisationnelle de l'acte architectural. Le Discours devait prendre du recul avec l'architecture « moderne». Cependant, sa mauvaise interprétation entraîna d'autres excès, tout aussi dommageables que ceux de l'architecture internationale Il s'est traduit sur le terrain par une inflation de l'architecture pastiche où l'utilisation de la tuile verte et des ouvertures en forme d'arcs tenait lieu d'architecture marocaine « authentique » et cela pour tous les types de programmes. Avec la création de l'Ecole nationale d'architecture de Rabat en 1980, l'augmentation relative du nombre d'architectes marocains, d'une part, et le développement des nouvelles technologies de l'information d'autre part, l'exercice professionnel au Maroc, favorisé par la logique de marché, commence à gagner en maîtrise du point de vue de la technique architecturale maîtrise des formes et des vocabulaires architecturaux et urbains. L'absence d'une politique architecturale volontariste ne favorise pas le changement de cet état de fait : le nombre de livres d'architecture publiés ces dernières années au Maroc se compte sur les doigts d'une main!
Pour la plupart, les médias s'intéressent à l'architecture dans sa dimension économique et sociale. Le débat sur l'urbain et surtout sur l'architecture est absent de la scène publique. Au Maroc, comme ailleurs, le «modernisme » et le « traditionalisme », avatars des pensées progressistes et culturalistes, ont cela de commun qu'ils réduisent l'architecture à un simple répertoire de formes isolées de leur contexte historique, géographique et culturel dans lequel on peut puiser à souhait selon le goût du jour. De ce point de vue, la nouvelle préoccupation du développement durable est une chance pour l'architecture marocaine. Sa mise en œuvre se caractérise en effet par une démarche plus que par des formes, par des objectifs plus que par des images.
En quoi les implications du développement durable sont-elles une chance pour l'architecture au Maroc ?
L'architecture durable n'est pas encore associée à des formes connotées. Elle puise autant dans les ressources et le savoir-faire local que dans les sciences et les technologies les plus avancées.
Elle met l'Homme et l'usager au centre de ses préoccupations. Aujourd'hui, il faut reposer la question de l'architecture et de l'urbain avec un œil neuf : la médina avec ses ruelles étroites ombragées et ses fastueux espaces introvertis, publics et privés, servait de réceptacle approprié à une société marocaine qui n'existe plus depuis longtemps.
C'est un héritage qui doit être réinterprété à la lumière de nos besoins actuels qui ne sont pas seulement identitaires, loin s'en faut. La qualité des espaces urbains, pour un Marocain, est d'abord une qualité d'usage avant d'être une qualité d'image (dessin des façades, formes urbaines, etc.). Le confort de son espace de vie quotidien l'intéresse bien plus que les prouesses architecturales formelles.
Reste que la logique économique, la pression de l'urbanisation n'aide pas toujours dans la prise en compte de l'esthétique et de la qualité ?
Dans un pays tel que le Maroc, récemment urbanisé et caractérisé par une nombreuse population à faible pouvoir d'achat, la question de la qualité urbaine et architecturale n'est sûrement pas simple à résoudre. C'est probablement pour cela que jusqu'à présent la dimension quantitative a pris le pas sur le reste.
Il s'agit d'abord pour les pouvoirs publics de répondre à des besoins quantitatifs considérables en vue de loger dignement tous les Marocains et d'en finir avec toutes les formes d'habitat insalubre. Soutenue par une forte volonté politique, portée par la plus haute Autorité de l'Etat, une politique de l'habitat ambitieuse a été mise en place, depuis une dizaine d'années, à travers notamment des incitations fiscales, foncières et réglementaires. Elle a abouti à la structuration et au renforcement d'une promotion immobilière puissante avec des résultats quantitatifs appréciables. De larges couches de populations démunies ont pu enfin accéder à la propriété de leur logement, dans des conditions d'endettement raisonnables. Cette politique relativement efficace sur le plan quantitatif a été moins heureuse sur le plan qualitatif. Compte tenu des fortes contraintes économiques et sociales, pouvait-il en être autrement ? Les questions, dites-vous, sont posées et demandent d'être débattues.
Une certaine qualité architecturale se retrouve dans les grands projets d'équipements publics et dans les projets touristiques bénéficiant de gros investissements. La commande de qualité architecturale par les maîtres d'ouvrage se justifie dans le premier cas par un besoin de représentation du pouvoir sur la scène publique et dans le second par les exigences élevées du touriste consommateur. Ces exemples montrent que la question de la qualité architecturale ne peut pas être appréhendée uniquement sur le plan formel et artistique. La qualité architecturale et urbaine doit être restituée dans une problématique globale qui intègre d'autres facteurs, notamment socioéconomiques.
La production de la qualité architecturale est une question d'utilité publique et nécessite donc un maître d'ouvrage qui se préoccupe de qualité. Ce n'est pas un hasard si les projets d'architecture les plus intéressants sont issus de concours où les maîtres d'œuvre en compétition bénéficient de grandes marges de liberté pour traduire avec talent les programmes que leur soumet le maître d'ouvrage. Le Maroc dispose aujourd'hui de nombreux architectes talentueux et d'un véritable savoir-faire technique, artisanal en particulier, qui représentent une matière première, un gisement à exploiter pour produire de la qualité urbaine et architecturale et renouer ainsi avec la grande tradition de bâtisseurs qui nous ont légués les médinas, les kasbahs et les ksours dont nous nous enorgueillissons légitimement aujourd'hui.Pour cela, il faut que le Maroc engage une politique architecturale et urbaine volontariste et ambitieuse qui se traduit notamment par le développement de la recherche dans les écoles d'architecture et dans les universités, la démocratisation de l'accès à la commande par la compétition basée sur le talent, la multiplication des prix d'architecture et d'urbanisme et l'instauration d'un débat national sur l'architecture et l'urbanisme. Le soubassement de cette politique à venir existe de manière explicite dans le Discours royal de 1986 et dans le message adressé par Sa Majesté le Roi Mohammed VI au Corps des architectes, en janvier 2006, à l'occasion de la commémoration du vingtième anniversaire du Discours de 1986.
