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«Une liberté sans responsabilité mène à l'anarchisme»

Suite à la conférence « Si la vie m'était contée » de Bensalem Himmich à la Villa des arts de Rabat, le ministre de la Culture et philosophe est revenu sur plusieurs points concernant l'histoire de la philosophie, en développant également la sienne.

«Une liberté sans responsabilité mène à l'anarchisme»
Bensalem Himmich
LE MATIN : Les philosophes ont-ils toujours été en accord avec leur époque ?

BENSALEM HIMMICH :
Les philosophes ont toujours tenu à rendre compte des évolutions de leur siècle. Leurs pensées restent en rapport avec leur époque.
Leurs pensées et questions évoluent également ou changent de termes ou de lexique. Mais en tout état de cause, la philosophie a traversé une incroyable variété, a développé un style, une forme de pensée qui consiste à s'intéresser aux choses sur le plan des fondements, c'est-à-dire aller au fond des choses,
ce que les philosophes pensent être les vrais et grands problèmes.

Ces philosophes ont-ils vraiment apporté des réponses à ces grands problèmes ?

Même si les philosophes pensent avoir apporter des réponses, d'autres viennent, par la suite, soit pour les démentir, soit pour les rectifier, soit pour les corriger. Il y a des questions auxquelles nous pouvons trouver des réponses. Cela peut s'opérer dans la pensée religieuse. Là, nous avons des réponses à toutes les grandes questions car il y a des textes, des références à l'appui. Ce qui n'est pas le cas de toutes les pistes de la philosophie qui, malgré tout, a élaboré, depuis les Grecs, le principe de la raison.
Tous les philosophes sont unanimes que les grandes questions se posaient du point de vue de la raison. Et qui dit raison dit logique, selon le mot ''Grecs logos''. Par conséquent, même les philosophes religieux (comme Descartes par exemple), quand ils ont leurs réponses par le biais de la religion, ils font des recherches par d'autres pistes et d'autres champs à explorer. C'est le cas de Spinoza du XVIIe, des philosophes des Lumières qui étaient plus ou moins anti-religieux ou anti-cléricaux (contre l'église).
Ils pensaient que la raison
doit fonctionnait pleinement pour éclairer de ses lumières le monde, les rapports humains….

Nous avons souvent constaté que la philosophie dépasse parfois les principes de la logique ou de la raison...

Non, par exemple Pascal du XVIIIe siècle était un homme incroyable, c'était un inventeur, un innovateur d'une érudition extraordinaire dans plusieurs domaines. Mais il était croyant. Son pari concernant l'existence ou l'inexistence de Dieu dit que «s'il s'avère que Dieu existe, j'ai tout à gagner, sinon, je n'aurais rien à perdre». Sartre avait répondu à cela en disant que c'était une solution de détresse.

Quelle est votre philosophie à vous ?

C'est ce que j'exprime dans ma littérature, mes aphorismes, mes romans, mes scénarios. Philosopher dans la vie, c'est apprendre à mourir. Il y a un peu de l'éphémère, de la contingence de la condition humaine.
Donc, pour le peu de temps que nous avons à vivre, il faut donner le maximum, le meilleur de ce qu'on peut. Il faut croire en la liberté de l'être humain, car sans liberté, il n'y a pas de création. Mais une liberté sans responsabilité peut se métamorphoser en anarchisme, en libertinisme. Liberté et responsabilité sont deux corrélats qui vont de pair. J'ai beaucoup enseigné l'existentialisme qu'il soit chrétien ou musulman avec feu Mohamed Aziz Lahbabi. Mais aussi le marxisme (mon premier livre «Le besoin du recours à Marx» dans les années 80 où j'étais très marxiste). C'est pour cela que dans la philosophie, il faut toujours voir les choses dans leur contexte.
Quoiqu'il faut retenir une chose, c'est que les grands philosophes ont toujours dépassé ce qui se passait autour d'eux. Ils étaient si on veut dire en avance de leur époque. Moi par contre, je me suis nourri de toutes ces philosophies qui m'ont permis une vision du monde.

Philosophie et Islam peuvent-ils aller de pair ?

Les Arabes ont toujours eu leurs philosophes comme El Kindi. D'autres qui n'étaient pas Arabes tels Al Farabi, Avicennes. Depuis, il y a eu de grands penseurs jusqu'à notre temps comme ceux qui viennent de nous quitter, notamment El Jabri et Arkoun qui ont eu des principes fondateurs pour la progression de leur société.

A quel moment le philosophe s'arrête dans son questionnement. Est-ce quand il ne trouve plus de réponse ?

Il s'arrête quand il meurt. Mais quand il arrive à un certain stade de pensée, soit qu'il fonde une école avec ses disciplines pour faire évoluer ses idées, soit il s'auto-critique lui-même pour se corriger s'il a vu qu'il s'est trompé sur certaines choses. Car le dogmatisme est l'''anti-philosophisme''.

La philosophie a-t-elle connu des moments de crise ?

Il n'y a pas de crise dans la philosophie, mais une évolution ou une contre-attaque d'un philosophe à l'égard de son prédécesseur. C'est une preuve de santé dans la philosophie.
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Quelques points biographiques

Natif de Rabat en 1949, l'écrivain et philosophe Bensalem Himmich est détenteur d'un doctorat d'Etat en 1983 (Université Paris 3 - Sorbonne Nouvelle). Il est auteur bilingue d'œuvres littéraires et philosophiques (en arabe et en français), dont plusieurs ont été traduites en plusieurs langues.
Parmi ses nombreux écrits: «Le savant», «Le Calife de l'épouvante», «Au pays de nos crises», «Ijtihad, la face voilée de l'Islam», «Être en vie et autres fragments» entre autres.
Cet intellectuel engagé, lauréat de quatre Prix, dont le Prix Naguib Mahfouz (2002) et le Prix Sharjah-UNESCO (2003) pour l'ensemble de ses œuvres, a été nommé ministre de la Culture le 30 juillet 2009.
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