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«Ibn Khaldoun et Tamerlan»

Dans la troisième partie consacrée au «Roman d'Ibn Khaldoun » intitulée «Face à Tamerlan, le fléau du siècle», que publie en exclusivité « Le Matin» en plusieurs épisodes, Bensalem Himmich évoque un autre protagoniste de l'Histoire : Tamerlan, alias Timur le boiteux.

«Ibn Khaldoun et Tamerlan»
Le mardi matin de la deuxième semaine, Abdel se rendit avec son jeune serviteur à un mausolée situé entre Bâb Jâbiya et Bâb Saghîr. Il pria pour les morts, consacrant du temps à ceux dont il put lire les épitaphes, notamment celles de Bilâl, de Kaab al-Ahbâr, d'Oum Habîba et de son frère Muawiya, premier calife omeyyade. Quand il fut sur le point de partir, un vieillard ne portant qu'un simple pagne se mit en travers de sa route au milieu des tombes. Edenté et chauve, il avait le visage grisâtre, la barbe hirsute et les os saillants comme s'il sortait d'un cercueil.

-Tu as prié pour tous ces morts sauf moi ! Suis-moi que je te montre ma tombe.
Le garçon s'en prit au vieil homme voulant le chasser, mais il perdit l'équilibre et tomba à terre comme foudroyé. Abdel lui demanda son nom et pourquoi il résidait dans le cimetière.
-Ce jeune est impudent, répond-t-il. Il s'attaque à moi qui ai un corps plus faible que sa foi. Les jeunes de ces temps n'ont plus d'égards pour les vieillards comme moi… Mon nom est Ouwesse al-Qarni, Maître, ne le connais-tu pas ? J'ai vécu au temps du Prophète, mais je ne l'ai jamais rencontré, lui qui était si rayonnant et si proche. Ce fut mon crève-cœur qui provoqua ma première mort ; il était si violent que j'ai ressuscité en ce bas-monde, condamné à être le dernier à le quitter.

-Que fais-tu, homme de Dieu ?
-Je monte la garde des tombes contre ceux qui pillent, piétinent, pissent, convoitent la terre.
-Et que désires-tu ?
-Que tu pries sur ma tombe et que tu salues de ma part le sceau des Prophètes quand tu le rencontreras.
Abdel se sentit tenu de suivre l'étrange personnage jusqu'à une galerie hors du cimetière, là où il prétendait avoir sa tombe dans une grotte sombre et si exiguë que seul un reptile ou un être fantomatique pouvait emprunter.

L'homme, après moult salamalecs, s'y glissa tel un serpent dans son trou, laissant les deux témoins ahuris, pétrifiés. Leur état redoubla d'intensité quand ils virent le même homme assis au sommet d'un gigantesque palmier à la porte du cimetière, pleurant et criant : « Je vois un ouragan dévastateur se diriger vers notre cité, sa citadelle et sa grande mosquée, charrier Barada et les autres fleuves de coulées de boue, de cadavres et de sang. Je vois les gens terrorisés, enténébrés, perdus ! Qui prépare pour Damas d'autres malheurs et épreuves funestes !... »
Quand Abdel retourna à sa résidence, Yachbek en compagnie du juge hanbalite Ibn Muflih l'attendaient. Il leur souhaita la bienvenue et conta l'histoire du vieillard du cimetière.
-Il y a des fous de cette espèce, dit Yachbek, dans tous les cimetières et même dans les bosquets et les jardins, il ne faut pas t'en soucier. Mais la question grave dont je suis venu t'entretenir c'est la demande d'autoriser les militaires à boire du vin pour dissiper l'ennui que leur cause l'attente et l'éloignement de leurs épouses.

Un écrivain prolixe

Philosophe, homme de lettres et auteur prolixe, Bensalem Himmich figure parmi les plus grands spécialistes d'Ibn Khaldoun, auquel il a consacré plus d'un ouvrage explorant les multiples facettes de l'érudit, historien, diplomate, homme politique et philosophe natif de Tunis. Titulaire d'un doctorat d'Etat de l'Université Sorbonne Nouvelle en 1983 et lauréat des prix Neguib Mahfoud – 2002 – et Sharjah-UNESCO – 2003 – pour l'ensemble de son œuvre, l'auteur, déjà signataire de «Al Allama », « le Calife de l'épouvante » – Serpent à plume, - ou encore, « au pays de nos crises », - Afrique-Orient-, dresse un portrait dithyrambique d'un personnage qui le mérite amplement. Un homme du Moyen Age aussi bien sollicité par les despotes éclairés de l'époque que par les gouvernants les plus sanguinaires. C'est que les avis de cet érudit hors pair faisaient autorité au Machrek et au Maghreb et inspirèrent divers courants de pensée. Si le legs d'Abouzeid Abdurrahman Ibn Mohammed Ibn Khaldoun était placé sous le signe d'une sagesse incommensurable et d'un sens de l'équité proverbial, celui de Tamerlan a été marqué par le glaive et le sang pour assouvir une ambition démesurée et une soif de puissance inextinguible. Ibn Khaldoun sera par ailleurs porté sous peu à l'écran à travers une production d'une dimension panarabe suite à un scénario d'excellente facture rédigé par Bensalem Himmich qui prête régulièrement sa plume au 7ième Art. Une contribution en guise d'hommage à un personnage qui aura marqué l'histoire de son empreinte. Ismaïl HARAKAt
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