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La kabla, «une espèce» en voie de disparition

Jadis incontournable lors des accouchements, actuellement la sage-femme traditionnelle a du mal à concurrencer les hôpitaux.

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79 ans (elle ne les fait pas) et plus de 50 ans d'expérience. À son actif : des jumeaux, des nouveau-nés en siège et des premiers accouchements, Hajja Fatna est l'une des rares «kabla» (sage femme traditionnelle) qui continuent d'exercer malgré la rareté des femmes qui continuent encore à faire appel à leurs services. «Depuis presque deux ans, les femmes qui font appel à la «kabla» sont devenues de plus en plus rares. On ne m'appelle qu'une fois tous les deux ou trois mois», se désole Hajja Fatna, se remémorant tristement les belles années où elle était appelée un peu partout à Casablanca, pour aider les femmes à accoucher.

Tellement de femmes et d'enfants qu'elle ne les compte même plus. «C'est une ancienne «kabla» très connue et très respectée, qui m'a appris le métier. Je l'ai assistée dans tous les accouchements qu'elle pratiquait pendant presque quatre ans. J'étais apprentie «kabla», c'est-à-dire que je m'occupais de nettoyer les bébés, leurs mères…», assure-t-elle. «Quand elle a senti que j'avais bien appris les ficelles du métier, elle a commencé à me déléguer quelques accouchements. C'est ainsi que les gens ont appris à me connaître et à me faire confiance», ajoute-t-elle. Hajja Fatna se souvient encore de la première fois où, seule, elle a aidé une femme à donner la vie. Elle avait très peur.
En effet, ce métier est une énorme responsabilité. «Je n'oublie jamais que j'ai le destin de deux âmes entre les mains.

Il est de mon devoir de faire tout mon possible pour qu'ils soient vivants et en bonne santé», affirme-t-elle. Pour Hajja Fatna, c'est la «Baraka d'Allah» (la bénédiction de Dieu) qui l'aide à exercer ce métier qu'elle considère comme l'une des activités les plus nobles. «C'est Allah qui me guide, sans sa «Baraka», je ne pourrais plus exercer», indique-t-elle. C'est justement l'absence de cette «Baraka» qu'elle reproche aux médecins dans les hôpitaux !
«Je n'utilise ni ciseaux, ni matériel médical. Lorsque je m'assure que la femme est arrivée à terme et peut très bien supporter l'accouchement naturel, je m'humidifie les doigts avec un peu d'huile d'olives et je dis «bismillah» (au nom de Dieu)», indique-t-elle sereinement. Hajja Fatna assure n'avoir jamais eu de problèmes lors de l'exercice de son métier. Aucun bébé ni femme n'ont trouvé la mort «entre ses mains». Après la naissance, elle reste avec la jeune mère jusqu'à ce qu'elle réussisse à s'assoir bien droite (signe de bonne santé pour une femme qui vient d'accoucher).

Elle la nettoie et la couvre bien pour qu'elle n'attrape pas froid et ne risque pas des complications. Après, elle s'assure qu'elle peut manger avant de repartir. Pour ce qui est des nouveau-nés, après les avoir nettoyés, Hajja leur fait sucer un peu de miel ou une datte. Malgré la dureté des temps, Hajja Fatna est fière de sa vocation. Mère de 14 enfants, elle essaye d'initier l'une de ses belles-filles au métier de «kabla», en mettant l'accent sur «l'ajer» (récompense divine) de cette activité. «Ma belle-fille m'accompagne lors des accouchements depuis quatre ans. Elle a appris les bases du métier et a même procédé à quelques accouchements toute seule. C'est vrai qu'il y a de moins en moins de femmes qui font appel à nos services, mais ce n'est pas une raison pour abandonner. Quelqu'un doit reprendre le flambeau», avance Hajja Fatna.

Une « kabla » expérimentée

Contrairement à ce que les gens pensent, la «kabla» est très consciente des risques et dangers que peut engendrer un accouchement, que ce soit pour la mère ou pour son bébé. C'est pour cette raison qu'elle n'accepte aucun accouchement avant d'avoir bien ausculté la femme. «Je ne prends pas de risque inutile. Si je vois que l'accouchement peut s'avérer dangereux, je conseille à la famille d'emmener la femme à l'hôpital», avance Hajja Fatna, qui dit vérifier la flexibilité de l'utérus, afin de s'assurer que la femme n'aura pas besoin d'intervention chirurgicale. Elle prend également sa décision en fonction de la quantité du sang du pré-accouchement. «Si la femme saigne plus que la normale, je ne la prends pas», affirme-t-elle. Aussi, toutes les femmes ne supportent pas l'accouchement naturel. «Les femmes d'aujourd'hui sont devenues trop fragiles. À peine ressentent-elles les contractions qu'elles perdent leur sang froid et leurs moyens», souligne Hajja Fatna.
Elle ajoute que les femmes de son «époque étaient beaucoup plus résistantes. Celles d'aujourd'hui n'arrivent pas à supporter les douleurs. Elles croient pouvoir fonder une famille sans souffrir», se moque-t-elle.
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