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Gouvernance des finances publiques : une approche constitutionnelle (*)

Pr Hassane El Arafi
Professeur de finances publiques à la Faculté de droit Rabat-Agdal.

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Transparence Financière
La transparence financière implique que les composantes des finances publiques ne doivent pas prêter à confusion ou conduire à des illusions, aussi bien au niveau des recettes qu'au niveau des dépenses. Trois composantes intimement liées peuvent répondre à cette exigence :
- proclamation du droit d'accès à l'information financière ;
- sincérité de la reddition des comptes publics;
- consécration de l'exhaustivité budgétaire.
Proclamation du droit d'accès à l'information financière
A titre indicatif, d'après les résultats de l'Indice du Budget ouvert (OBI) 2010, une conclusion semblait avertissant, selon laquelle les Marocains n'ont pas suffisamment accès aux informations financières. Autrement dit, les autorités budgétaires fournissent une information minimale à ses citoyens avec un score de 28%. Sur les 94 pays qui ont été classés en 2010, le Maroc occupe la 69e place. Par comparaison à l'année 2008, le Maroc a perdu 10 places. La performance du Maroc par rapport à plusieurs pays arabes reste encore faible. Et pour preuve, la Jordanie a enregistré un score de 50%, l'Egypte de 48% et le Liban de 32%. Cette restriction dans l'accès à l'information n'exclut pas les représentants de la nation qui, au même titre du grand public, souffrent de cette asymétrie informationnelle imposée par le gouvernement à travers plusieurs manigances :
- ne pas fournir l'information souhaitée ;
- ne pas justifier le refus de fournir l'information ;
- ne pas respecter les délais légaux pour répondre ;
- ne pas divulguer l'information à cause de leur caractère confidentiel ou secret ;
- fournir des informations douteuses ;
- ne pas disposer d'un système d'information fluide et performant,
En réponse à cette revendication, le droit d'accès à l'information pourrait être proclamé dans la réforme constitutionnelle envisagée dans les termes suivants :

Proposition 6
Toute personne a droit à l'information.
La liberté de presse, la liberté d'information et d'émission par la radio et la télévision, la presse écrite ou tout autre moyen de communication sont garanties sous réserve du respect de l'ordre public, des bonnes mœurs et des droits d'autrui. La loi fixe les modalités d'exercice de ces libertés. Les médias audiovisuels et écrits d'Etat sont des services publics dont l'accès est garanti de manière équitable à tous les courants politiques et sociaux.
A titre de rappel, près de 55 pays dans le monde consacrent le droit d'accès à l'information dans leur constitution. D'autant plus qu'une étude menée en 2008 par l'Unesco, a permis de relever qu'au moins 78 pays disposent de textes spécifiques à portée nationale sur l'accès à l'information détenue par les administrations.
L'exercice de ce droit en matière de finances publiques est particulièrement substantiel, dans la mesure où ces dernières constituent encore un domaine où les idées reçues sont particulièrement tenaces, les approximations trop courantes et le vocabulaire parfois vague, voire équivoque.
A vrai dire, la constitutionnalisation de ce droit est de permettre à un large public (étudiants, chercheurs, praticiens, etc.) d'accéder à un domaine incontestablement important, dont plusieurs aspects passent inaperçus en dehors du circuit des spécialistes et des initiés.

Sincérité de la reddition des comptes publics
Comment l'Etat rend compte ? Voilà une question qui passe souvent imperceptible chez le grand public. D'une manière nécessairement synthétique, les modes opératoires de reddition des comptes publics prévus par le législateur marocain, notamment l'article 47 de la loi organique des finances, peuvent être résumés comme suit :
- la loi de règlement constate le montant définitif des encaissements de recettes et des ordonnancements de dépenses et arrête le compte de résultat de l'année ;
- le rapport devant accompagner le projet de loi de règlement produit par la Cour des comptes ;
- la déclaration générale de conformité établie par la Cour des comptes, qui vise à comparer entre le compte général du Royaume avec les comptes de gestion individuels des comptables publics ;
- le rapport sur l'exécution de la Loi de finances associé à la déclaration générale de conformité ;
- le rapport annuel de la Cour des comptes, qui fait la synthèse des observations qu'elle a relevées, de ses propositions d'amélioration de la gestion des finances publiques et de celle des services et organismes publics ayant fait l'objet de contrôle ;
- le compte général du Royaume servant la reddition de comptes des opérations effectuées par le Trésor ;
- autres situations comptables et financiers subsidiaires des autorités budgétaires et financières (Exp. comptes administratifs des ordonnateurs, situations des opérations du Trésor, rapport de Bank al Maghreb, …).
Seulement, devant le caractère infus et non normalisé de ces comptes il est pratiquement difficile de s'assurer visiblement de leur sincérité, surtout si l'on sait qu'il s'agit d'une comptabilité difficilement auditable, puisqu'elle n'est pas soumise, jusqu'à l'heure actuelle, aux règles de la normalisation comptable. Par ailleurs, on a pu voir jusqu'à quel point la justice constitutionnelle comparée (française) a pu influencer ce principe de "sincérité budgétaire", reconnu par le juge constitutionnel depuis 1994. Ce dernier a porté une attention particulière à certains phénomènes financiers affectant le contenu de la Loi de finances et nuisant à la sincérité budgétaire (Décision n° 94-351 DC) ; il considérait que des phénomènes financiers, tels que la sous-évaluation ou l'absence de prise en compte de nombreuses dépenses, le recours à des emplois en surnombre, le report démesuré de crédits, etc. sont des pratiques qui affectent la sincérité d'ensemble des charges de la Loi de finances.

Deux propositions peuvent être avancées à cet égard :
Proposition 7 :
«Les lois de finances présentent de façon sincère l'ensemble des ressources et des charges de l'Etat. Leur sincérité s'apprécie compte tenu des informations disponibles et des prévisions qui peuvent raisonnablement en découler».
Proposition 8 :
Les comptes publics doivent être réguliers, sincères et donner une image fidèle du patrimoine et de la situation financière de l'Etat".

Consécration de l'exhaustivité budgétaire
Le principe de l'exhaustivité budgétaire, vise la clarté dans la présentation des comptes publics ; cela veut dire que c'est à travers la lecture d'un seul document, on doit saisir la totalité des opérations de l'État et donc la véracité du solde budgétaire.
Certes, le juge constitutionnel marocain a pu amortir quelques modes de débudgétisation, notamment par sa décision du 24 octobre 1998 aux termes de laquelle l'article 10 du projet d'amendement de la loi organique des finances réservé aux SEGMA a été annulé et qui a prévu que "constituent des services d'Etat gérés de manière autonome, les services de l'Etat, non dotés de la personnalité morale, dont certaines dépenses, non imputées sur les crédits du budget général de l'État, sont couvertes par des ressources propres. Ces services sont dotés de budgets autonome". Mais cela n'empêche pas d'affirmer que d'autres formes de débudgétisation persistent encore et contribuent à des présentations équilibrées ou à une limitation de la portée des déficits déclarés. On peut saisir ce constat à partir notamment quelques phénomènes financiers :
- fonds extrabudgétaires (Exp. ex-fonds de travail, fonds des particuliers du Trésor,…)
- comptes hors budget (Exp. compte des dépenses à imputer ; comptes de trésorerie,…)
- profusion des établissements publics (agences, fondations, …), en dehors du régime de la loi 69-00 sur le contrôle financier de l'Etat;
Il s'agit en fait d'un procédé qui consiste à scinder les recettes et dépenses des services de l'État non personnalisés en deux ou plusieurs groupes répartis dans des budgets différents, sous des noms variés. En revanche, le total de ces recettes et dépenses n'étant rattaché par aucune consolidation aux totaux des autres budgets. L'on conçoit facilement que sous le prétexte d'un financement particulier de dépenses exceptionnelles (donc des ressources exceptionnelles), l'on ait trouvé là un moyen commode de soustraire un certain nombre d'opérations au budget ordinaire, facilitant l'équilibre de celui-ci. Ceci signifie également (et ce n'est pas ainsi qu'il faut procéder, ou alors conviendrait-il d'unifier la présentation des budgets de l'État, mais il s'agit d'un autre débat), dès lors que l'on additionne les opérations des budgets ordinaires et extraordinaires que l'équilibre apparaît éventuellement comme n'est que le fruit d'une prise en compte en recettes budgétaires de ressources non définitives. En s'inspirant du benchmarking international c'est dans cet esprit que la nouvelle loi organique des finances française du 1er août 2001 suit cette tendance, en élargissant le champ de compétence de la Loi de finances pour qu'elle intègre désormais l'évaluation des ressources et des charges de trésorerie, qui concourent à la réalisation de l'équilibre financier, présentées dans un tableau de financement, alors que la Loi de finances était limitée aux seules charges budgétaires. Un autre exemple édifiant nous renvoie aux dispositions de l'article 131 de la Constitution de la République de Moldoava adoptée le 29 juillet 1994, qui sont rédigées de manière à éliminer le concept d'activités dites de trésorerie, en incorporant toutes ces activités en tant que fonds dans le processus budgétaire annuel.
De même, dans la Constitution cantonale helvétique du 11 novembre 1947 concernant la révision partielle de la Constitution cantonale il est prévu que toute loi ou décret entraînant une dépense (budgétaire ou de trésorerie) de plus de 500.000 Fr. doit être soumis à la votation populaire, à la demande d'un quart des parlementaires ou de 6000 citoyens.
Ainsi, une proposition dans ce sens peut être formulée, dans la future Constitution, comme suit :

Proposition 9 :
Toute loi ou décret entraînant une dépense budgétaire ou de trésorerie, en dehors de la Loi de finances, de plus de dix millions (10.000.000) de dirhams doit être soumis à l'approbation du Parlement, à la demande d'un quart des parlementaires.

Efficacité du dispositif institutionnel de gestion et de contrôle des finances publiques
Institutionnalisation de l'évaluation des politiques publiques
Mise à part quelques travaux assez limités, l'expérience marocaine en matière d'évaluation des politiques publiques est pratiquement mitigée, voire quasiment nulle ; les études évaluatives ne portaient que sur les programmes ou les projets et non sur une politique dans toute transversalité. Mais, ce désenchantement face aux évaluations des politiques publiques est imputable, en partie, au défaut de son institutionnalisation.
Ce manque d'institutionnalisation de la démarche évaluative correspond déjà à un facteur démobilisateur quant au développement des évaluations des politiques publiques dans notre pays.
Ce constat traduit en fait un certain nombre de réalités. D'abord, le Gouvernement n'est soumis à aucune contrainte de procéder à une évaluation de ses politiques, afin d'éclairer ses différents protagonistes sur le sens, les conditions et les conséquences de ses actions et décisions. Ensuite, le souci d'établir une «politique de l'évaluation» est laissé pratiquement au seul volontarisme conjugué à l'intérêt de la part des pouvoirs publics vis-à-vis de l'utilité et de la pertinence de l'évaluation. Enfin, une déréglementation de la démarche pose pour tout travail d'évaluation, au cas où il serait réalisé, la problématique de sa légitimité et de son périmètre d'intervention. Pourtant, la satisfaction d'un stade de maturité dans le processus évaluatif requiert un minimum standard de mesures institutionnelles pour, d'une part faire sortir la démarche de son cadre doctrinal en l'orientant davantage vers un cadre opérationnel juridiquement défini et d'autre part pour en délimiter les conteurs et les spécificités méthodologiques.
Par ailleurs, une autre question s'impose concernant la légitimité de l'instance qualifiée pour juger la valeur d'une politique.

A ce propos, quelques expériences comparées, telles que celle de la France, ont été toutes marquées par une forte relance qui semble davantage caractérisée par ce qu'on peut qualifier de phase de consolidation et de maturité, qui se traduit par une institutionnalisation de l'évaluation, à travers la création de nouvelles «instances d'évaluation», qui ont vocation à porter un jugement sur la valeur d'une politique (Exp. Conseil scientifique de l'évaluation, Fonds national de développement de l'évaluation qui relève du Premier ministre, Conseil national de l'évaluation des politiques publiques, Office d'évaluation des politiques publiques), avant de reconnaitre constitutionnellement au Parlement, assisté par la Cour des comptes, la mission d'évaluation des politiques publiques en 2008.
En fait, le caractère politique de l'évaluation fait du Parlement l'instance la mieux placée pour assurer cette mission, quitte à lui préparer les conditions politiques et techniques pour ce faire.

Ainsi, il est suggéré d'insérer dans le texte de la constitution à réformer les deux propositions cumulatives suivantes :
Proposition 10 :
… Le Parlement évalue les politiques publiques.
Proposition 11 :
… La Cour des comptes assiste le Parlement et le gouvernement dans (...) ainsi que dans l'évaluation des politiques publiques.
Partage des Ressources et des compétences entre l'Etat et les collectivités locales
Le processus de décentralisation s'est consolidé progressivement depuis la Constitution de 1962, en accordant plus de compétences aux collectivités locales. Outre leurs compétences propres, d'autres compétences consultatives ou transférées par l'Etat.
Néanmoins, l'élargissement du champ des compétences des collectivités locales semble anecdotique, au moins pour trois raisons :
Premièrement, il est constaté en parallèle de l'extension des compétences matérielles au profit des collectivités locales un phénomène général de délégations ou de transferts des compétences de ces mêmes collectivités à d'autres entités publiques ou privées, sous différents modes de gestion de services publics : partenariat Etat-collectivités locales, gestion déléguée, affermage, sociétés de développement locales, etc. Certes, il est inconcevable de négliger l'importance des financements croisés comme levier de développement local et un moyen pour favoriser l'apprentissage mutuel et échanger les expériences, les techniques et le savoir-faire. Néanmoins, deux handicaps majeurs sont susceptibles d'empêcher un développement judicieux de ce genre de partenariat : d'une part, l'absence d'un cadre juridique clair régissant les relations contractuelles entre l'État et les collectivités locales. D'autre part, il est manifestement constaté que les grandes missions régaliennes de service public sont aujourd'hui exercées par d'autres organismes étatiques ou paraétatiques, ce qui laisse s'interroger sur ce présupposé de «moins de Collectivités locales», et ce préconçu de «plus d'État». Ensuite, l'adéquation entre le périmètre des compétences et le potentiel des ressources est une question qui laisse à désirer ; la majorité des communes survivent sur les dotations péréquatées du compte d'affectation spécial de la part de la TVA. Rappelons que 30% des recettes en TVA vont aux communes ; elles sont partagées suivant un système de péréquation financière, qui reste encore discret, dans l'absence d'un texte opposable qui en définit juridiquement les critères de répartition. D'autant plus que ces dotations peuvent être consolidées par d'autres dépenses de transferts appelées communément «autorisations spéciales», qu'en dehors du circuit des décideurs personne n'est encore dans le secret des Dieux pour savoir les critères de répartition de cette manne sur les collectivités locales.

De surcroît, le mouvement accru d'«agencification» de l'action territoriale par la création d'agences à caractère sectoriel (agences de bassins hydrauliques, agence de développement social, agence Bouregrag,…) ou spatial (agence du Nord, agence du Sud, agence de l'Orient ..) ne contribue-t-il pas au dessaisissement partiel des collectivités locales au profit de ces agences. Celles-ci finissent par constituer un système qui se juxtapose au système de l'Administration locale. Elles pourraient, à cet effet, se substituer fonctionnellement aux collectivités locales. De plus, le foisonnement des instances interposées aux finalités trop large ou mal définies, augmente in fine la complexité des circuits de financement, soit que les départements ministériels et ces instances s'interfèrent entre eux dans le même domaine (Exp. Développement social), soit que ces instances s'interfèrent entre eux avec des sources de financement plus classiques.
Devant cet environnement centripète de gestion des finances locales, il est tout à fait légitime de ressusciter le débat séculier sur l'approche à privilégier pour assurer une répartition politiquement judicieuse et stratégiquement intelligente des compétences et des ressources entre le central et le territorial, sachant qu'aujourd'hui il y a unanimité sur que c'est à partir du territoire que se dessine le développement intégré pour l'ensemble du pays. La régionalisation élargie illustre dors et déjà cette perspective.
En foi de quoi, la question de partage des compétences entre l'État et les collectivités locales mérite d'être pourvue d'une valeur constitutionnelle, comme c'est le cas en France. Des propositions peuvent être suggérées à cet égard :

Une première proposition concerne la constitutionnalisation du partage des compétences et des ressources entre les deux entités comme suit :
Proposition 12 :
Tout transfert de compétences entre l'État et les collectivités locales s'accompagne de l'attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice. Toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d'augmenter les dépenses des collectivités locales est accompagnée de ressources déterminées par la loi.
La loi prévoit des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l'égalité entre les collectivités locales.
A autre niveau d'analyse, il paraît que le domaine des finances locales mérite un ordre normatif supérieur en fixant ses règles par une Loi organique au lieu d'une simple loi à procédure ordinaire. D'un côté, ceci permettra de mettre les finances de l'Etat et les finances locales au pied d'égalité juridique. D'un autre côté, une loi organique ne peut être promulguée qu'après la déclaration par le Conseil constitutionnel de leur conformité à la Constitution.

Proposition 13 :
Les finances des Collectivités locales sont fixées par une loi organique.
Brossée à grands traits, l'expérience a bien démontré que le paradigme de la Constitution actuelle garde une influence assez conservatrice, voire contraignante, pas uniquement sur la gestion budgétaire, mais également sur la gestion publique en général. Il a, en effet, servi à institutionnaliser une culture d'orienter le système de gestion des finances publiques vers les seuls intrants (moyens) : pour que la gestion budgétaire soit jugée bonne, il suffit que les dépenses effectives correspondent aux crédits votés.
Par ailleurs, une gestion budgétaire s'inspirant des enseignements de la bonne gouvernance prône pour la socialisation d'un autre paradigme aidant à améliorer la mise en œuvre d'une action publique axée sur la performance. Une bonne gouvernance financière est celle qui est susceptible de pousser les agents publics à s'acquitte dûment de leurs responsabilités et adhérer également aux valeurs de rendre compte sur des résultats concrets. Ces normes seront progressivement définies par un processus continu de socialisation de nouvelles valeurs constitutionnelles, des croyances et attitudes, qui rompront avec les valeurs de liturgie, de litanie et de léthargie, ayant malheureusement caractérisé pendant longtemps la réalité de la gestion budgétaire au Maroc. (*) Suite et fin.
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