Avec la chute des régimes tunisien et égyptien et la grogne dans les rues d'Alger à Téhéran, beaucoup se demandent maintenant quel sera le prochain domino à tomber. La Syrie, dont la dictature civile et militaire ressemble étroitement aux régimes déchus de la Tunisie et de l'Égypte, ne sera peut-être pas la prochaine sur la liste, mais elle semble néanmoins sur le point de basculer.
Bien sûr, la vieille « théorie des dominos » des relations internationales n'était qu'une façon grossière de mettre l'accent sur le fait que différents éléments de n'importe quelle région sont liés les uns aux autres. Pour le monde arabe aujourd'hui, une meilleure métaphore pourrait être celle de l'échiquier, dont le retrait de ne serait-ce qu'un pion modifie inévitablement les relations entre toutes les autres pièces. Aujourd'hui, alors que les manifestations enflent et se multiplient, les gouvernements de tous les Etats arabes du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord pensent probablement que, si on les laisse se débrouiller seuls, ils sont capables de canaliser les contestations internes.
En Syrie, il semble inévitable que le mouvement de protestations entame la fragile immobilité politique du régime. Les Syriens ordinaires sont pour une grande part confrontés à des conditions économiques et sociales extrêmement difficiles avec entre autres un fort chômage, une hausse des prix de plusieurs produits alimentaires, des contraintes sur les libertés individuelles et une corruption endémique. Ces facteurs ne sont pas différents de ceux qui ont poussé les gens dans les rues en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Ce qui avait débuté en manifestations pour des conditions de vie meilleures s'est transformé en revendications à grande échelle de liberté et de démocratie.
Le régime de Damas craint bien sûr de tels soulèvements . La meilleure façon d'éviter la confrontation entre le peuple et les forces de sécurité serait un processus de réelles réformes menant à des élections et à un gouvernement d'unité nationale. L'inerti, caractéristique de l'actuel gouvernement, semble cependant exclure toute démarche en ce sens.
Les dirigeants syriens préfèrent plutôt accorder certains avantages pour s'assurer que leurs sympathisants resteront dans les rangs – des ordinateurs portables pour les professeurs, des subventions pour les employés du secteur public et une rhétorique de réforme creuse. Mais la situation actuelle exige des mesures bien plus sérieuses. Lever l'état d'urgence qui est en place depuis 1963 – et qui confère des pouvoirs considérables au régime et à ses services de sécurité – serait à la fois une décision symbolique et un pas tangible dans la bonne direction.
A moins que les dirigeants syriens, comme les autres dirigeants du monde arabe, ne finissent par admettre que la liberté est un droit humain fondamental, la patience même du peuple le plus passif pourrait s'émousser dangereusement. Les prix élevés des produits alimentaires ont peut-être été l'élément déclencheur en Afrique du Nord, mais la vitesse avec laquelle l'attention des manifestants s'est portée sur les réformes politiques a surpris tout le monde. Remettre ce génie dans sa lampe serait virtuellement impossible sans un bain de sang du type de celui que nous voyons dans certaines parties du monde arabe. Le gouvernement syrien sait donc qu'il doit répondre – d'où le programme mitigé de réformes qu'il a récemment présenté. Mais tenter de répondre à des revendications populaires profondément ancrées avec un discours fleuri et un bouquet de subventions revient à tenter d'éteindre ''un feu de forêts avec un pistolet à eau''. Les solutions à apporter doivent être à la mesure des graves problèmes que rencontre la Syrie. Jusqu'à maintenant, les dirigeants syriens se sont retranchés derrière leur discours anti-israélien et anti-occidental pour se protéger. Mais peu de références ont été faites au conflit israélo-palestinien dans les manifestations à Tunis et au Caire. En outre, le régime est resté muet lorsque les avions israéliens ont frappé des cibles syriennes ces dernières années – et tout aussi muet lorsque ces mêmes avions ont survolé le palais présidentiel.
Le régime prétend qu'il fait partie de la '‘résistance'' aux côtés de son partenaire aîné, l'Iran. Les câbles de WikiLeaks montrent cependant que les autorités syriennes avaient informé le régime iranien de ne pas compter sur la Syrie en cas d'une guerre contre Israël parce qu'elle était trop faible.
Le régime commet donc une erreur fatale s'il pense que ces vieilles tactiques de diversion continueront à lui garantir une immunité. Au contraire, avec une population jeune et instruite ne parvenant pas à se trouver un travail convenable, le régime s'est créé son propre terreau de manifestants potentiels, conscients qu'il recourt à des slogans stériles pour maintenir l'état d'urgence et rester au pouvoir.
Le peuple syrien est fort, patient et résistant. La famille et les liens sociaux restent forts dans l'adversité. Lorsque la nourriture se fait rare, le peuple partage.... Lorsque le régime sévit contre l'Internet, les gens utilisent des serveurs proxy. Mais ils ne devraient pas avoir à s'en contenter. Ils ne devraient pas risquer leur sécurité lorsqu'ils cherchent à communiquer en ligne avec le monde. Personne ne veut voir les rues de Damas ravagées par la contestation ou par une confrontation violente entre les manifestants et les forces de sécurité. Ce que veut le peuple syrien est un dialogue constructif avec le régime.
Le régime doit être sensible au fait que, malgré ses meilleurs efforts, les Syriens ont suivi les évènements dans la région avec autant d'intérêt que le reste du monde. Le peuple de Syrie n'a peut-être aucune prédilection pour la violence mais la naissance de la liberté, une fois reconnue, ne s'oublie pas aisément – ou ne peut être bernée par des subventions publiques et des déclarations stériles par une autorité distante et isolée. Les gens prétendaient que le mur de Berlin ne tomberait pas. Ils ont dit que Moubarak ne lâcherait pas le pouvoir.
Et d'autres prétendent aussi que la Syrie ne peut pas changer. Mais elle changera, et moi-même, comme mes compatriotes, prions pour que lorsqu'arrivera le changement, il se fera dans la paix et l'harmonie.
Copyright: Project Syndicate, 2011.
www.project-syndicate.org
Bien sûr, la vieille « théorie des dominos » des relations internationales n'était qu'une façon grossière de mettre l'accent sur le fait que différents éléments de n'importe quelle région sont liés les uns aux autres. Pour le monde arabe aujourd'hui, une meilleure métaphore pourrait être celle de l'échiquier, dont le retrait de ne serait-ce qu'un pion modifie inévitablement les relations entre toutes les autres pièces. Aujourd'hui, alors que les manifestations enflent et se multiplient, les gouvernements de tous les Etats arabes du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord pensent probablement que, si on les laisse se débrouiller seuls, ils sont capables de canaliser les contestations internes.
En Syrie, il semble inévitable que le mouvement de protestations entame la fragile immobilité politique du régime. Les Syriens ordinaires sont pour une grande part confrontés à des conditions économiques et sociales extrêmement difficiles avec entre autres un fort chômage, une hausse des prix de plusieurs produits alimentaires, des contraintes sur les libertés individuelles et une corruption endémique. Ces facteurs ne sont pas différents de ceux qui ont poussé les gens dans les rues en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Ce qui avait débuté en manifestations pour des conditions de vie meilleures s'est transformé en revendications à grande échelle de liberté et de démocratie.
Le régime de Damas craint bien sûr de tels soulèvements . La meilleure façon d'éviter la confrontation entre le peuple et les forces de sécurité serait un processus de réelles réformes menant à des élections et à un gouvernement d'unité nationale. L'inerti, caractéristique de l'actuel gouvernement, semble cependant exclure toute démarche en ce sens.
Les dirigeants syriens préfèrent plutôt accorder certains avantages pour s'assurer que leurs sympathisants resteront dans les rangs – des ordinateurs portables pour les professeurs, des subventions pour les employés du secteur public et une rhétorique de réforme creuse. Mais la situation actuelle exige des mesures bien plus sérieuses. Lever l'état d'urgence qui est en place depuis 1963 – et qui confère des pouvoirs considérables au régime et à ses services de sécurité – serait à la fois une décision symbolique et un pas tangible dans la bonne direction.
A moins que les dirigeants syriens, comme les autres dirigeants du monde arabe, ne finissent par admettre que la liberté est un droit humain fondamental, la patience même du peuple le plus passif pourrait s'émousser dangereusement. Les prix élevés des produits alimentaires ont peut-être été l'élément déclencheur en Afrique du Nord, mais la vitesse avec laquelle l'attention des manifestants s'est portée sur les réformes politiques a surpris tout le monde. Remettre ce génie dans sa lampe serait virtuellement impossible sans un bain de sang du type de celui que nous voyons dans certaines parties du monde arabe. Le gouvernement syrien sait donc qu'il doit répondre – d'où le programme mitigé de réformes qu'il a récemment présenté. Mais tenter de répondre à des revendications populaires profondément ancrées avec un discours fleuri et un bouquet de subventions revient à tenter d'éteindre ''un feu de forêts avec un pistolet à eau''. Les solutions à apporter doivent être à la mesure des graves problèmes que rencontre la Syrie. Jusqu'à maintenant, les dirigeants syriens se sont retranchés derrière leur discours anti-israélien et anti-occidental pour se protéger. Mais peu de références ont été faites au conflit israélo-palestinien dans les manifestations à Tunis et au Caire. En outre, le régime est resté muet lorsque les avions israéliens ont frappé des cibles syriennes ces dernières années – et tout aussi muet lorsque ces mêmes avions ont survolé le palais présidentiel.
Le régime prétend qu'il fait partie de la '‘résistance'' aux côtés de son partenaire aîné, l'Iran. Les câbles de WikiLeaks montrent cependant que les autorités syriennes avaient informé le régime iranien de ne pas compter sur la Syrie en cas d'une guerre contre Israël parce qu'elle était trop faible.
Le régime commet donc une erreur fatale s'il pense que ces vieilles tactiques de diversion continueront à lui garantir une immunité. Au contraire, avec une population jeune et instruite ne parvenant pas à se trouver un travail convenable, le régime s'est créé son propre terreau de manifestants potentiels, conscients qu'il recourt à des slogans stériles pour maintenir l'état d'urgence et rester au pouvoir.
Le peuple syrien est fort, patient et résistant. La famille et les liens sociaux restent forts dans l'adversité. Lorsque la nourriture se fait rare, le peuple partage.... Lorsque le régime sévit contre l'Internet, les gens utilisent des serveurs proxy. Mais ils ne devraient pas avoir à s'en contenter. Ils ne devraient pas risquer leur sécurité lorsqu'ils cherchent à communiquer en ligne avec le monde. Personne ne veut voir les rues de Damas ravagées par la contestation ou par une confrontation violente entre les manifestants et les forces de sécurité. Ce que veut le peuple syrien est un dialogue constructif avec le régime.
Le régime doit être sensible au fait que, malgré ses meilleurs efforts, les Syriens ont suivi les évènements dans la région avec autant d'intérêt que le reste du monde. Le peuple de Syrie n'a peut-être aucune prédilection pour la violence mais la naissance de la liberté, une fois reconnue, ne s'oublie pas aisément – ou ne peut être bernée par des subventions publiques et des déclarations stériles par une autorité distante et isolée. Les gens prétendaient que le mur de Berlin ne tomberait pas. Ils ont dit que Moubarak ne lâcherait pas le pouvoir.
Et d'autres prétendent aussi que la Syrie ne peut pas changer. Mais elle changera, et moi-même, comme mes compatriotes, prions pour que lorsqu'arrivera le changement, il se fera dans la paix et l'harmonie.
Copyright: Project Syndicate, 2011.
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