Que se passera-t-il pour les grandes devises mondiales en 2011 ? Depuis trois ans, les taux de change jouent au yoyo en raison de la crise. Il est donc utile de faire le point sur la valeur des devises et le fonctionnement du système de taux de change flottant. Je pense que nous allons assister cette année à une guerre des devises, à l'effondrement de certaines d'entre elles et à la prolongation du chaos actuel – ce qui n'augure pas pour autant l'arrêt de la reprise économique et encore moins la fin du monde.
Reconnaissons tout d'abord que dans l'ensemble le système moderne des taux de change flottants a remarquablement bien fonctionné. Mais étant donné la complexité des facteurs de risque et les particularités des différentes politiques, depuis quelques temps il est particulièrement difficile d'identifier la logique qui sous-tend les mouvements de balancier des taux de change. Ainsi, alors que les USA étaient au cœur de la crise financière, dans un premier temps le dollar a pris de la valeur.
Même si les variations des taux de change restent quelque peu mystérieuses, leur effet d'amortissement est indéniable. La forte dépréciation de l'euro après la crise a favorisé les exportations allemandes, ce qui a permis à la zone euro de rester à flot. Les devises des pays émergents se sont aussi écroulées, même celles des pays relativement peu endettés et disposant de réserves importantes en devises étrangères. Depuis lors, la plupart de ces devises se sont nettement redressées. Rétrospectivement, on constate que ces variations reflétaient l'effondrement initial du commerce mondial et le rebond qui a suivi, ce qui a amorti la récession.
Par contre la crise financière n'est en rien un argument en faveur de l'extension des territoires à taux de change fixes. Arrimés à la monnaie commune, les pays de la périphérie de la zone euro (la Grèce, le Portugal, l'Irlande et l'Espagne) se sont trouvés dans l'impossibilité d'accroître leur compétitivité en dévaluant leur monnaie.
Le père intellectuel de l'euro, Robert Mundell de l'université de Columbia, a eu un jour cette formule restée célèbre selon laquelle le nombre idéal de devises dans le monde est un nombre impair, de préférence inférieur à 3. A la lumière des événements actuels, on se demande bien pourquoi. S'il existait un gouvernement mondial, une monnaie planétaire unique aurait peut-être son utilité. Néanmoins, même si l'on ne prend pas en compte les avantages liés à la coexistence de plusieurs devises du point de vue de l'équilibre économique général, la perspective d'une Banque centrale unique et omnipotente a quelque chose d'inquiétant. Considérons toute l'hystérie et les attaques au vitriol qu'a suscité la politique de relâchement monétaire (quantitative easing) de la Réserve fédérale américaine. On peut imaginer la panique qui aurait éclaté si l'or, les biens stockables et les œuvres d'art avaient été les seuls moyens à la disposition des investisseurs pour échapper au dollar.
Mais le succès sans désemparer du système de taux de change flottant ne signifie pas une absence de problème cette année. La "guerre des devises" - dans laquelle chaque pays essaye d'empêcher l'appréciation trop rapide de sa monnaie afin de ne pas entraver ses exportations - va sûrement se poursuivre. On peut prédire que les pays asiatiques vont graduellement "perdre" une bataille en 2011, car ils devront sans doute laisser leurs monnaies s'apprécier en raison des pressions inflationnistes et des menaces de représailles commerciales. Si une monnaie s'effondre cette année, ce sera très l'euro. Dans un monde idéal, l'Europe réagirait au poids excessif de l'endettement par une restructuration de la dette de la Grèce, de l'Irlande et du Portugal, ainsi que des banques et des collectivités locales espagnoles. Si cela se passe ainsi, ces pays pourraient regagner leur compétitivité à l'exportation grâce à des baisses massives de salaire. Mais pour l'instant, ne voulant pas reconnaître que les marchés ont besoin d'une solution à plus long terme, les dirigeants européens préfèrent augmenter les prêts-relais destinés à aider les pays de la périphérie.
Or le premier facteur de risque pour une devise est le refus des dirigeants politiques de prendre en compte la réalité budgétaire ; autant que les Européens ne s'y résoudront pas, l'euro restera vulnérable. Par contre le dollar est en meilleure position cette année. Son pouvoir d'achat a atteint un niveau très bas sur les marchés mondiaux – il n'a presque jamais été aussi bas selon l'indice pondéré du dollar de la Fed. Aussi un rééquilibrage à la "parité de pouvoir d'achat" devait le faire remonter légèrement. Quelques observateurs estiment que l'achat massif de titres de dette américaine par la Fed est encore plus dangereux que la crise de la dette souveraine en Europe. C'est peut-être exact, mais la plupart des étudiants en politique monétaire savent que la politique de relâchement monétaire constitue la mesure classique destinée à sortir une économie du "piège à liquidité" du taux d'intérêt zéro. Cela évite une déflation prolongée qui exacerberait le fardeau de la dette. Quant au yuan chinois, il bénéficie toujours d'un régime de change qui dépend essentiellement de facteurs politiques.
Il va pourtant falloir que la croissance rapide de la Chine se traduise par une évaluation significative de sa monnaie ou de ses prix sur le marché intérieur, voire les deux. Mais en 2011 c'est probablement l'inflation qui permettra pour l'essentiel le retour à l'équilibre. Enfin, il est quasiment certain que le chaos des devises va se prolonger, avec un peu partout des mouvements brusques et imprévisibles des taux de change. Vers le milieu de la décennie précédente on a eu l'impression que les devises s'étaient stabilisées durant la courte période dite de "grande modération" de l'activité macroéconomique. Personne ne dit cela aujourd'hui. Le système des taux de change flottants fonctionne étonnamment bien, mais la volatilité des devises et l'imprévisibilité des variations de taux de change vont sans doute nous accompagner toute cette année, et au-delà.
Copyright: Project Syndicate, 2011.
www.project-syndicate.org
Reconnaissons tout d'abord que dans l'ensemble le système moderne des taux de change flottants a remarquablement bien fonctionné. Mais étant donné la complexité des facteurs de risque et les particularités des différentes politiques, depuis quelques temps il est particulièrement difficile d'identifier la logique qui sous-tend les mouvements de balancier des taux de change. Ainsi, alors que les USA étaient au cœur de la crise financière, dans un premier temps le dollar a pris de la valeur.
Même si les variations des taux de change restent quelque peu mystérieuses, leur effet d'amortissement est indéniable. La forte dépréciation de l'euro après la crise a favorisé les exportations allemandes, ce qui a permis à la zone euro de rester à flot. Les devises des pays émergents se sont aussi écroulées, même celles des pays relativement peu endettés et disposant de réserves importantes en devises étrangères. Depuis lors, la plupart de ces devises se sont nettement redressées. Rétrospectivement, on constate que ces variations reflétaient l'effondrement initial du commerce mondial et le rebond qui a suivi, ce qui a amorti la récession.
Par contre la crise financière n'est en rien un argument en faveur de l'extension des territoires à taux de change fixes. Arrimés à la monnaie commune, les pays de la périphérie de la zone euro (la Grèce, le Portugal, l'Irlande et l'Espagne) se sont trouvés dans l'impossibilité d'accroître leur compétitivité en dévaluant leur monnaie.
Le père intellectuel de l'euro, Robert Mundell de l'université de Columbia, a eu un jour cette formule restée célèbre selon laquelle le nombre idéal de devises dans le monde est un nombre impair, de préférence inférieur à 3. A la lumière des événements actuels, on se demande bien pourquoi. S'il existait un gouvernement mondial, une monnaie planétaire unique aurait peut-être son utilité. Néanmoins, même si l'on ne prend pas en compte les avantages liés à la coexistence de plusieurs devises du point de vue de l'équilibre économique général, la perspective d'une Banque centrale unique et omnipotente a quelque chose d'inquiétant. Considérons toute l'hystérie et les attaques au vitriol qu'a suscité la politique de relâchement monétaire (quantitative easing) de la Réserve fédérale américaine. On peut imaginer la panique qui aurait éclaté si l'or, les biens stockables et les œuvres d'art avaient été les seuls moyens à la disposition des investisseurs pour échapper au dollar.
Mais le succès sans désemparer du système de taux de change flottant ne signifie pas une absence de problème cette année. La "guerre des devises" - dans laquelle chaque pays essaye d'empêcher l'appréciation trop rapide de sa monnaie afin de ne pas entraver ses exportations - va sûrement se poursuivre. On peut prédire que les pays asiatiques vont graduellement "perdre" une bataille en 2011, car ils devront sans doute laisser leurs monnaies s'apprécier en raison des pressions inflationnistes et des menaces de représailles commerciales. Si une monnaie s'effondre cette année, ce sera très l'euro. Dans un monde idéal, l'Europe réagirait au poids excessif de l'endettement par une restructuration de la dette de la Grèce, de l'Irlande et du Portugal, ainsi que des banques et des collectivités locales espagnoles. Si cela se passe ainsi, ces pays pourraient regagner leur compétitivité à l'exportation grâce à des baisses massives de salaire. Mais pour l'instant, ne voulant pas reconnaître que les marchés ont besoin d'une solution à plus long terme, les dirigeants européens préfèrent augmenter les prêts-relais destinés à aider les pays de la périphérie.
Or le premier facteur de risque pour une devise est le refus des dirigeants politiques de prendre en compte la réalité budgétaire ; autant que les Européens ne s'y résoudront pas, l'euro restera vulnérable. Par contre le dollar est en meilleure position cette année. Son pouvoir d'achat a atteint un niveau très bas sur les marchés mondiaux – il n'a presque jamais été aussi bas selon l'indice pondéré du dollar de la Fed. Aussi un rééquilibrage à la "parité de pouvoir d'achat" devait le faire remonter légèrement. Quelques observateurs estiment que l'achat massif de titres de dette américaine par la Fed est encore plus dangereux que la crise de la dette souveraine en Europe. C'est peut-être exact, mais la plupart des étudiants en politique monétaire savent que la politique de relâchement monétaire constitue la mesure classique destinée à sortir une économie du "piège à liquidité" du taux d'intérêt zéro. Cela évite une déflation prolongée qui exacerberait le fardeau de la dette. Quant au yuan chinois, il bénéficie toujours d'un régime de change qui dépend essentiellement de facteurs politiques.
Il va pourtant falloir que la croissance rapide de la Chine se traduise par une évaluation significative de sa monnaie ou de ses prix sur le marché intérieur, voire les deux. Mais en 2011 c'est probablement l'inflation qui permettra pour l'essentiel le retour à l'équilibre. Enfin, il est quasiment certain que le chaos des devises va se prolonger, avec un peu partout des mouvements brusques et imprévisibles des taux de change. Vers le milieu de la décennie précédente on a eu l'impression que les devises s'étaient stabilisées durant la courte période dite de "grande modération" de l'activité macroéconomique. Personne ne dit cela aujourd'hui. Le système des taux de change flottants fonctionne étonnamment bien, mais la volatilité des devises et l'imprévisibilité des variations de taux de change vont sans doute nous accompagner toute cette année, et au-delà.
Copyright: Project Syndicate, 2011.
www.project-syndicate.org