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Marchés de l'énergie ou bonne gouvernance de l'énergie ?

Javier Solana et Angel Saz-Carranza
Javier Solana, ancien haut-représentant de la politique de sécurité et des affaires étrangères de l'Union européenne et ancien secrétaire général de l'Otan, est actuellement membre de la Brookings Institution et président du Centre pour l'économie globale et la géopolitique (ESADEgeo).
Angel Saz est coordinateur de ESADEgeo.

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"Ce mois-ci, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) rendra son rapport annuel, Perspectives énergétiques mondiales, qui fait autorité au plan international et qui confirmera que nous ne sommes pas sur la bonne voie pour limiter le réchauffement climatique. Si les tendances actuelles de la production énergétique se poursuivent, les températures moyennes auront augmenté de plus de 2°C en 2100, par rapport à 1990, mettant en péril de manière irréversible les conditions de la vie humaine sur notre planète.

D'autres crises, plus immédiates, monopolisent presque complètement l'attention de la communauté internationale, faisant oublier aux gouvernements et aux citoyens les défis énergétiques que nous devons encore relever. Aux Etats-Unis, aucun débat sur l'énergie n'a eu lieu au niveau fédéral depuis longtemps; l'Union européenne est aux prises avec un cataclysme financier; et les pays émergents veulent préserver une croissance économique rapide pour sortir des millions de personnes de la pauvreté. Dans ce contexte, la prochaine réunion de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), qui se tiendra à la fin novembre à Durban, en Afrique du Sud, passe complètement inaperçue.

L'énergie est pourtant une question fondamentale pour l'humanité, non seulement à cause de ses externalités potentiellement négatives, mais également en raison de sa dimension économique : les pays occidentaux consacrent entre 8 et 10 pour cent de leur PIB à l'énergie, et les pays en développement, le double ou le triple de ce montant. Pour cette raison, un système de gouvernance de l'énergie est nécessaire.
Principalement à cause de ses externalités environnementales négatives, un marché de l'énergie non réglementé n'est pas un mécanisme de gouvernance adéquat, parce qu'il n'est pas en mesure d'internaliser les coûts environnementaux. Il a été calculé que les sources d'énergie les plus polluantes devraient s'acquitter d'une taxe de 70 % pour compenser leurs externalités négatives.

Le manque d'informations fiables dans ce domaine est une autre raison pour laquelle le marché libre n'est pas une solution. Souvent, comme dans le cas des titres de propriété des réserves de gaz naturel, les informations sont difficiles à obtenir. Les gouvernements considèrent en outre les ressources naturelles comme une richesse stratégique et ne publient aucune information les concernant. Enfin, les délais dans le domaine énergétique sont en général très longs : des siècles pour les retombées environnementales et des décennies pour les retours sur investissement. Les ressources énergétiques doivent donc être gérées par un système de réglementation et de coopération. Définir un tel système sera bien sûr compliqué. Gérer les ressources énergétiques implique de tenir compte simultanément de plusieurs dimensions–techniques, politiques et économiques. L'exploration et la production de ces ressources font appel à de multiples disciplines et technologies–éolienne, photovoltaïque, nucléaire, du charbon, etc. Un système analogue existe dans la sphère politique, où les secteurs industriels et économiques sont organisés, bien que divisés. Et la nécessité d'une coordination internationale pose un problème supplémentaire.

Le secteur de l'énergie est un bon exemple de l'impéritie de nos institutions multilatérales. La politique énergétique est définie au plan national, alors que les externalités du secteur sont mondiales. Une fuite radioactive, la rupture d'un puits de pétrole sous-marin, et surtout les émissions de carbone ne sont pas des pollutions confinées à un seul pays. D'un autre côté, les avantages de l'énergie profitent à des agents spécifiques, qu'ils soient consommateurs, producteurs ou vendeurs.
Ce déséquilibre crée une motivation évidente pour les parasites : ils s'enrichissent, tandis que la majorité assume les coûts.

Une gouvernance mondiale est de plus nécessaire parce que l'offre et la demande de l'approvisionnement énergétique mondial sont déconnectées. Rares sont les pays à avoir un bilan énergétique neutre. Le pétrole, la principale source d'énergie dans le monde, est révélateur à cet égard. Le Moyen-Orient affiche un excédent commercial lié au secteur pétrolier de 266 %, tandis que les Etats-Unis accusent un déficit de 65 % pour le même secteur. Ce déséquilibre géographique impose de mettre en place un système commercial ordonné, des réglementations sans ambiguïté et un marché clairement structuré. Aujourd'hui, les accords bilatéraux opaques sont la norme et des contraintes environnementales et subventions contradictoires coexistent.

Les institutions régissant la question de l'énergie sont en conséquence lamentablement inadéquates. Seuls les pays de l'OCDE sont membres de l'AIE, ce qui exclut la Chine, le principal consommateur mondial d'énergie. Le traité intergouvernemental sur la Charte de l'énergie, qui oblige les pays signataires à appliquer des règles impartiales pour la production et les services de l'énergie, n'a pas été ratifié par les Etats-Unis, le second consommateur mondial d'énergie. Les dispositions de l'OMC ne s'appliquent qu'indirectement aux questions énergétiques, parce que l'énergie est considérée comme une ressource naturelle non renouvelable et est donc souvent exemptée des règlements en vigueur.

De plus, les pays non occidentaux–dont les grands consommateurs que sont la Chine et l'Inde, et les principaux producteurs (les pays du Golfe et la Russie)–ne font pas confiance au système institutionnel principalement mis en place par l'Occident. Les pays émergents disent à juste titre que les pays occidentaux sont responsables du problème posé par le changement climatique.
Depuis la révolution industrielle jusqu'à très récemment, le développement de ces pays n'était pas entravé par de quelconques contraintes environnementales, et les pays émergents estiment ne pas avoir à payer pour les coûts d'ajustement. Dans le même ordre d'idée, les pays producteurs ne veulent pas renoncer à l'un des seuls instruments de pouvoir dont ils disposent. La solution passe par la création d'une nouvelle institution.

Il serait peut-être judicieux, dans un premier temps, que les principaux émetteurs de gaz à effet de serre négocient par le biais du G20, ou d'une autre structure analogue. Par la suite, les négociations seraient ouvertes à tous les États, dans le cadre de la CCNUCC par exemple. Ces négociations doivent être détaillées et se traduire par des limites sur les émissions, tout en prévoyant un soutien financier et technologique pour les sources d'énergie moins polluantes pour l'environnement. Se contenter uniquement de limiter les émissions imposerait des coûts disproportionnés sur les pays exportateurs de pétrole et sur les consommateurs des pays émergents, qui ne disposent pas d'une technologie aussi sophistiquée que les pays avancés. Lors de la conférence de la CCNUCC de Durban, tous les pays–développés, émergents, disposant ou non de ressources naturelles–doivent faire en sorte que lorsque les autres crises qui secouent actuellement le monde seront surmontées, la plus grande crise qu'il soit ne nous prenne pas par surprise.

Copyright: Project Syndicate, 2011.
www.project-syndicate.org"
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