Menu
Search
Jeudi 18 Décembre 2025
S'abonner
close
Jeudi 18 Décembre 2025
Menu
Search

La honte, une notion très compliquée

La honte, ce sentiment embarrassant que tout le monde a ressenti un jour ou l'autre dans sa vie, a été l'objet d'un séminaire organisé récemment à Casablanca.

La honte, une notion très compliquée
«Hchouma », « Iiïb », « Aâr » sont tous des synonymes du mot ''honte''. Ce sont aussi des termes que l'on utilise fréquemment au sein de la société marocaine pour une raison ou une autre. La honte renvoie à un sentiment ou une émotion individuelle ou collective qui intervient dans un cadre social et culturel, elle s'inscrit dans un ordre normatif pour différencier ce qui est « honteux » de ce qui ne l'est pas et fonctionner comme un code de sanction sociale.

Afin de préciser en quoi cette ''honte de vivre'' correspond à une fragilisation de la dimension symbolique de la parole qui fonde notre humanité et notre capacité à désirer, la Fondation du Roi Abdulaziz Al-Saoud pour les études islamiques et les sciences humaines à Casablanca a organisé un séminaire sous le thème « La honte (Hchouma et Aâr) : approches pluridisciplinaires d'une notion complexe ». Cette rencontre a réuni plusieurs sociologues, psychiatres, psychanalystes et anthropologues pour débattre autour de cette question sociale compliquée. En effet, l'objectif de ce séminaire a été d'engager une réflexion sur la notion de
«la honte» dans toutes ses dimensions et à travers le regard croisé de chercheurs appartenant à des disciplines différentes.

Lors de cette rencontre, les intervenants ont abordé la problématique de la honte historiquement, anthropologiquement, sociologiquement et psychanalytiquement, telle qu'elle est repérée aujourd'hui dans les relations sociales et dans ses conséquences subjectives au Maroc. Parler de la honte dans notre pays, c'est tenter de déjouer l'une de ses conséquences majeures, celle de faire taire. Rahma Bourqia, sociologue et organisatrice du séminaire, a ouvert le bal. «Le mot français «honte» ne semble pas suffire à rendre compte de la richesse des différences sémantiques concernant cet affect dans la société marocaine. Le mot «Hchouma», ou «Iiïb», qui ponctue de façon banale la relation aux autres, la situe dans la dimension de ce qui peut se voir et introduit une confusion avec la pudeur», a-t-elle indiqué. Et d'ajouter : «En fait, la notion ''Hchouma'' n'est pas un fait social. C'est plutôt une notion portée par le langage qui rappelle à l'ordre et nous pouvons trouver une floraison de notions dérivées de celle «Hchouma» et qui s'apparentent à cette dernière, notamment, humiliation, scandale, déshonneur, perte de fierté… ».

Les principaux registres de sens

La notion «Hchouma», qui existe toujours dans la société marocaine contemporaine bien que nous soyons à l'heure de la mondialisation et des immigrations imposées par le néo-libéralisme, a cinq principaux registres de sens. «Le premier registre, le plus grave, est celui de la sexualité. Cette dernière représente «Hchouma» par excellence. Puisque parler de la sexualité en soi est ''Hchouma'', nous utilisons toujours des métaphores pour parler de ce sujet. Le deuxième registre, moins grave, est celui des convenances sociales; ce qu'on devrait faire ou ne pas faire.... Par exemple, une femme qui ne sait pas cuisiner est en fait un problème qui n'est pas bien grave mais c'est ''Hchouma''. Le troisième registre est celui des valeurs qui consolident... Et là, on peut citer par exemple le respect des parents, la fidélité, le fait de tenir sa parole…. Enfreindre donc ces valeurs, c'est ''Hchouma''», explique Bourqia. «Le quatrième registre est celui de la religion. La ''transgression'' de l'un des piliers de l'Islam est non seulement ‘'Haram'' (interdit) mais c'est également ''Hchouma''. Enfin, le dernier registre, le plus frappant, est celui de la pauvreté. Etre pauvre c'est ''Hchouma''. Un grand nombre de personnes pauvres ont honte de le dire et encore moins de l'assumer », poursuit-elle.
Chaque registre accordé à la notion ''Hchouma'' instaure donc ce que la société voudrait préserver dans l'ordre social et culturel. Ces principaux registres peuvent migrer vers d'autres registres comme la politique.

QUESTION À : Rahma Bourqia, sociologue

«La honte n'existe que par le regard de l'autre»
Comment peut-on définir la honte dans la société marocaine ?


La honte, ou la notion “Hchouma'', a plusieurs registres de sens. Elle apparait pour rappeler à l'ordre lorsqu'il y a une transgression de normes de la société marocaine. Et c'est à travers le langage utilisé par le dialecte marocain que l'on saisit le sens qui lui est accordé dans ces registres. Mais je peux dire que c'est dans le domaine de la sexualité que se cristallise le sens fort de la notion “Hchouma''. Aussi, j'insiste sur le fait que la honte n'est pas un fait social qu'on objective et qu'on observe. On ne peut l'aborder que par le langage selon la situation dans laquelle elle apparait.
Enfin, la honte n'existe que par le regard de l'autre. On ne peut parler de honte ou de ‘'Hchouma'' que lorsqu'on juge quelqu'un d'autre. C'est comme un miroir qui reflète « les erreurs ».
Lisez nos e-Papers