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Transparence de l’exécution du budget de l’État

Par Noureddine Bensouda, Trésorier général du Royaume

Transparence de l’exécution  du budget de l’État

 

La transparence est une composante essentielle de la bonne gouvernance des finances publiques. Elle constitue un élément déterminant pour la stabilité macroéconomique et pour une croissance durable. On le sait, «Il n’y a pas de démocratie sans finances publiques claires, sans transparence, sans règle de droit. L’obscurité en matière de finances publiques est évidemment la source de tous les abus ou pire», disait Pierre Joxe, ancien premier président de la Cour des comptes française.
En effet, la transparence et la lisibilité dans l’exécution du budget de l’État est un objectif de bon sens qui correspond à l’évidence du contrôle de l’emploi des fonds publics par le citoyen ou ses représentants au niveau de la société civile ou du Parlement. Le Fonds monétaire international considère la transparence des finances publiques comme étant le «souci de faire connaître ouvertement au public les activités budgétaires passées, présentes et futures de l’État. Cette transparence permet que le débat public ait lieu sur la base d’informations plus solides et renforce la responsabilisation et la crédibilité des pouvoirs publics». Le fonds a élaboré à ce titre un manuel sur la transparence des finances publiques et un code de bonnes pratiques en la matière, qui reposent sur quatre grands principes :
- La définition claire des attributions et des responsabilités ;
- L’accès du public à l’information selon un calendrier clairement spécifié ;
- La préparation, l’exécution et l’information budgétaires transparentes ;
- La garantie d’intégrité et de la qualité des données budgétaires.
Ces principes sont déclinés en règles et en bonnes pratiques permettant au public et aux marchés des capitaux de disposer d’une évaluation précise des finances publiques d’un pays donné.
Par ailleurs, l’OCDE (l’Organisation de coopération et de développement économiques) a mis en place des pratiques conçues pour être un outil de référence utilisable pour accroître la transparence budgétaire. Enfin, selon la Banque mondiale, l’une des dimensions de l’efficacité de la gestion des finances publiques, est la crédibilité du budget, c’est-à-dire que «le budget est réaliste et il est exécuté comme prévu».
Ainsi et à la lumière de cette définition de la transparence des finances publiques, je vous propose d’analyser l’exécution du budget de l’État durant les onze dernières années à travers la comparaison entre l’ambition des pouvoirs publics en matière de politique budgétaire, par rapport à la prévision de la loi de Finances et à la réalisation qui ressort de la loi de règlement et des situations comptables de l’État. Cette analyse portera sur l’évolution des sept principaux agrégats suivants :
- les recettes ordinaires ;
- la masse salariale ;
- la compensation ;
- le train de vie de l’administration ;
- l’investissement ;
- l’endettement du Trésor ;
- le solde budgétaire.
Le premier agrégat concerne les recettes
ordinaires
• L’ambition du gouvernement en la matière a toujours été de renforcer les recettes ordinaires pour assurer l’autonomisation du budget par rapport aux recettes de privatisation et pour dégager une épargne budgétaire suffisante à même de financer une grande partie des dépenses d’investissement. Toutefois, cette ambition ne s’est pas traduite par des prévisions à la hauteur. En revanche, les recettes réalisées ont toujours été supérieures aux prévisions des lois de Finances, à l’exception des années 2002, 2003 et 2009. L’évolution des taux de réalisation a été marquée par :
- Des recettes fiscales globales toujours supérieures aux prévisions, sauf en 2009, en raison de la crise économique et financière mondiale ;
- La non-réalisation de la totalité des prévisions des recettes non fiscales durant six années, en raison notamment d’opérations de privatisation non concrétisées. En 2011, la cession de 20% du capital de la Banque Centrale populaire a rapporté 5,3 MMDH ;
- Les rentrées de fonds de concours non inscrites au niveau de la loi de Finances, ont pris de l’importance, surtout depuis 2007. À ce titre, la Cour des comptes a relevé dans son rapport de 2010 que certaines dotations ont été portées au niveau des fonds de concours bien que n’ayant pas été versées par des entités distinctes de l’État, ce qui pourrait être considéré comme «un transfert de crédits entre chapitres sans autorisation préalable» ;
- L’année 2008 a enregistré le plus fort taux de réalisation des recettes par rapport aux prévisions (125%), malgré l’absence de recettes de privatisation. Ce taux s’explique pour l’essentiel, par le bon comportement des impôts directs, dont le taux de réalisation a atteint 139%.

Le deuxième agrégat porte sur la masse
salariale
• La réduction de la masse salariale par rapport au PIB a toujours constitué une priorité dans les déclarations gouvernementales et dans les engagements internationaux pris par le Maroc. Toutefois, et compte tenu des dialogues sociaux et des revalorisations sectorielles, la réalisation n’a pas toujours été à la hauteur de l’ambition. La comparaison entre les prévisions et les réalisations des dépenses de personnel permet de constater que :
- Les crédits ouverts ont progressé de 8% par an en moyenne durant les cinq dernières années ;
- Le ratio masse salariale sur PIB a enregistré depuis 2006 une baisse pour s’établir à 10,1% en 2009. Cependant, cette baisse s’explique parfois plus par la croissance du PIB nominal que par une réduction réelle de la masse salariale.
Par contre, depuis 2010, ce ratio a repris son trend haussier et il s’est élevé à 11% en 2011.
- Durant 8 années, les émissions ont dépassé les crédits disponibles. Il est vrai que l’État a lancé en 2005 l’opération «départ volontaire à la retraite», afin de réduire le sureffectif, de permettre à l’administration de reconstituer sa capacité de recrutement et de maîtriser la masse salariale. Or, en 2011 et comparativement à 2004, force est de constater que les effectifs ont augmenté de 8% et la masse salariale de 56%. Il découle de ce qui précède qu’un écart entre l’ambition, la prévision et la réalisation est largement favorisé par le caractère évaluatif des crédits de personnel. À ce titre, le projet de réforme de la loi organique des Finances prévoit que les crédits ouverts pour les dépenses de personnel seraient limitatifs.


Le troisième agrégat porte sur la compensation


La réforme de celle-ci ayant constitué durant ces dernières années un objectif majeur de la politique budgétaire, surtout suite à l’envolée des prix des matières premières. Or, l’analyse des prévisions par rapport à cette ambition laisse apparaître que les crédits ouverts à ce titre ont enregistré une progression importante. La charge due de la compensation a toujours dépassé les crédits ouverts, sauf en 2008 et surtout en 2009, année caractérisée par une détente des prix des matières premières. Pour rappel, l’année 2008 a enregistré un excédent budgétaire malgré une charge de la compensation qui s’est élevée à 31,5 MMDH. L’insuffisance des crédits face aux charges de la compensation se traduit par la constitution d’arriérés de paiements vis-à-vis des opérateurs.

Le quatrième agrégat concerne le train de vie de l’administration


La réduction du train de vie de l’Administration est devenue une nécessité pour accroître l’épargne budgétaire et, partant, réduire le niveau de déficit et les besoins de financement du Trésor.

Il devait normalement se traduire par une baisse des crédits ouverts au titre des dépenses de matériel et des dépenses diverses. Or, ces crédits ont connu une hausse systématique durant la période 2001 à 2010.
En 2011, le taux d’émission des dépenses de matériel s’est établi à 83%, en raison notamment du blocage des subventions aux établissements et entreprises publics, au lieu de la réduction en amont des crédits ouverts par la loi de Finances. L’exécution des dépenses se caractérise également par des mouvements de crédits en cours d’année, provenant des prélèvements sur le chapitre des dépenses imprévues et des crédits des charges communes non utilisés. Ainsi, entre 2001 et 2011, les dépenses de matériel ont bénéficié d’importants crédits additionnels durant toute la période, alors que les dépenses de personnel n’en ont bénéficié que durant quatre années. L’évolution des recettes et des dépenses ordinaires durant les onze dernières années a toujours permis de dégager une épargne budgétaire qui a servi à financer une partie des dépenses d’investissement, à l’exception de 2011, qui s’est soldée par une épargne budgétaire négative. Par contre, durant l’année 2008, l’épargne budgétaire, qui a atteint 29,3 MMDH, a permis de financer 78% des dépenses d’investissement.

Le cinquième agrégat se rapporte à l’investissement


En tant que moteur du développement et de création d’emplois, l’investissement a toujours figuré parmi les priorités du programme gouvernemental. L’objectif de renforcement des dépenses d’investissement a été réellement concrétisé à partir de 2008, puisqu’en 2011 les crédits ouverts d’un montant de 53,9 MMDH représentent deux fois et demie ceux ouverts en 2001. Cela s’est également traduit par une importante augmentation de la part des investissements dans les dépenses globales du budget général.
Les crédits ouverts sont passés d’une moyenne de 21 MMDH entre 2001 et 2007 à 47 MMDH entre 2008 et 2011. La part des dépenses d’investissement dans les dépenses globales du budget général est passée de 16% en 2006 à 23,2% en 2009. À partir de 2010, la part de l’investissement a connu un repli, pour se situer à 20,5% des dépenses globales du budget général durant l’année 2011.
Cependant, compte tenu de la capacité des administrations à consommer les crédits mis à leur disposition, l’exécution des dépenses d’investissement se traduit par un écart constant entre les prévisions et les réalisations, surtout à partir de 2009.
Ainsi, le taux moyen d’exécution des dépenses d’investissement ne dépasse pas 68%, avec un pic de 74,5% observé en 2008. Le taux d’émission global recèle des taux très faibles au niveau de certains départements.
Par ailleurs, l’exécution des budgets d’investissement se traduit toujours par l’accumulation de crédits reportés dont le montant a connu un doublement en 10 ans. Pour certains ministères, les reports dépassent les crédits ouverts par la loi de Finances. À ce sujet, la Cour des comptes a relevé des faiblesses au niveau du suivi des reports, l’incapacité de présenter les motifs et informations relatifs à toutes les opérations de reports et l’absence d’exécution intégrale de certains engagements objet des crédits reportés. Elle a considéré que les engagements répondaient plus à un simple souci de consommer les crédits.


Le sixième agrégat concerne l’endettement du Trésor


Durant la période 2001 à 2011, la gestion active de la dette a constitué un axe majeur de la politique budgétaire et financière de l’État. L’objectif assigné à cette gestion est de réduire le taux d’endettement du Trésor par rapport au PIB et d’alléger le poids des charges en intérêts de la dette, améliorant ainsi le solde budgétaire. Ces efforts ont permis une baisse de l’encours de la dette du Trésor par rapport au PIB entre 2001 et 2009, à l’exception de la hausse constatée en 2005, suite à l’impact de l’opération «départ volontaire à la retraite». Par contre, l’encours de la dette du Trésor va connaître une remontée durant les années 2010 et 2011.
Il y a lieu de signaler que la baisse de l’encours de la dette extérieure du Trésor s’est faite au détriment de la dette intérieure dont l’encours a enregistré :
- un accroissement substantiel entre 2001 et 2005 ;
- une baisse entre 2006 et 2009, suite au bon comportement des recettes fiscales ;
- une augmentation à partir de 2010 en raison de l’impact de la crise internationale.
L’augmentation de l’encours de la dette intérieure du Trésor durant les années 2010 et 2011 s’explique par le recours accru aux bons du Trésor émis par voie d’adjudication.

Le septième agrégat porte sur le solde budgétaire


L’objectif poursuivi par la politique budgétaire repose sur l’ambition constante de maintenir le déficit budgétaire dans la limite de 3% du PIB. Cet objectif a été respecté au titre de sept exercices avec deux années d’excédents budgétaires, respectivement en 2007 et 2008, conséquemment à la bonne performance des recettes fiscales et plus particulièrement les impôts directs. Le creusement du déficit budgétaire durant les années 2010 et 2011 fait suite notamment à l’augmentation de la charge due de la compensation, conjuguée à une hausse des recettes fiscales globales de 2% et de 6% seulement, respectivement en 2010 et en 2011, contre une hausse moyenne de 17% entre 2005 et 2008.

En guise de conclusion


Il apparaît à travers cette analyse que l’exécution des lois de Finances s’est généralement soldée par des écarts importants entre l’ambition, la prévision et la réalisation, surtout au niveau des principaux postes de dépenses, à savoir, le personnel, la compensation et l’investissement. L’explication de ces écarts trouve son origine notamment dans :
- Les contraintes liées aussi bien au contexte international (prix des matières premières, accords de libre-échange…) qu’au contexte national (dialogues sociaux, revalorisations sectorielles...).
- L’accroissement substantiel des recettes fiscales, surtout entre 2006 et 2008, rendant possibles les revalorisations de salaires, l’augmentation des crédits budgétaires ainsi que la baisse des taux l’impôt sur le revenu et de l’impôt sur les sociétés. D’autres pays, dans les mêmes conditions d’augmentation des recettes, ont mis en place une politique budgétaire contra-cyclique plus prudente susceptible de mieux faire face aux retournements conjoncturels liés à la crise économique et financière ;
- Le non-recours, selon le FMI, à la procédure de la loi de Finances rectificative afin de procéder aux ajustements nécessaires en cours d’année, préférant le recours à des circulaires du pouvoir réglementaire ;
- Le recours à l’ouverture de crédits supplémentaires et aux mouvements de crédits pour faire face aux changements qui interviennent en cours d’année par rapport aux prévisions initiales de la loi de Finances ;
- Le retard des réformes nécessaires et en particulier celles relatives à la maîtrise de la masse salariale et de la compensation des produits de base dont les charges sont en passe de compromettre l’équilibre des finances de l’État.
Par ailleurs, le système de reddition des comptes, basé sur la production d’une loi de règlement au plus tard deux années après l’exécution du budget, ne rend pas facile le processus d’évaluation régulière et en temps opportun des choix et décisions budgétaires pour apporter les modifications nécessaires.
À ce titre, la nouvelle Constitution du premier juillet 2011 qui a consacré les principes de transparence, de responsabilité et de reddition des comptes est venue combler le vide constaté à ce niveau, en réorientant le système des finances publiques vers une logique de performance et de résultats et en permettant d’asseoir les conditions de soutenabilité à long terme de nos finances publiques. En effet, le Parlement et le gouvernement ont été responsabilisés pour veiller à la préservation de l’équilibre des finances de l’État. De même, le Chef du gouvernement est désormais tenu de présenter devant le Parlement un bilan d’étape de l’action gouvernementale et une séance annuelle est réservée par le Parlement à la discussion et à l’évaluation des politiques publiques. Il doit répondre aux questions de politique générale une fois par mois. De la même manière, le ministre de l’Économie et des Finances rend compte au Parlement de l’exécution à mi-parcours de la loi de Finances.
La mise en œuvre de ces principes de transparence, d’information et d’évaluation régulière des politiques publiques ne saurait produire ses pleins effets sans le déploiement de modes opératoires à même de traduire cette volonté sur le terrain. À ce propos, les différents instruments d’opérationnalisation de la transparence de l’exécution du budget de l’État sont soit déjà déployés, soit en cours de préparation ou de finalisation.
Il s’agit notamment :
- Des systèmes d’information intégrés qui constituent des systèmes communs et uniques à l’ensemble des acteurs ;
- De la valorisation de l’information financière et comptable, notamment à travers les publications sur le site internet du ministère de l’Économie et des Finances du budget citoyen et la publication par la Trésorerie générale du Royaume du Bulletin mensuel de statistiques des finances publiques ;
- De la réforme des marchés publics qui renforce indéniablement les mécanismes de transparence et d’intégrité des procédures de passation des marchés ;
- De la réforme de la comptabilité de l’État, qui permet d’offrir les éclairages nécessaires de pilotage stratégique et décisionnel ;
- De la consolidation des comptes comme outil permettant de disposer d’une vision globale des finances publiques.
L’ensemble de ces outils et instruments de concrétisation de la transparence de l’exécution du budget de l’État sera renforcé et consolidé par les innovations majeures qui seront adoptées dans le cadre de la refondation de la loi organique des Finances. Si j’ai tenu à mettre en relation l’ambition, la prévision et la réalisation en matière de finances de l’État, c’est en premier lieu pour identifier et analyser les écarts en vue de les réduire. Plus on réduit ces écarts, plus on participe à l’amélioration de la crédibilité des comptes publics vis-à-vis du citoyen, des investisseurs, des organismes financiers internationaux et des agences de notation. D’ailleurs, le contexte international exige plus de transparence. Le FMI «va remanier sa surveillance multilatérale de l’économie» des pays membres en analysant systématiquement l’impact de leurs politiques intérieures sur le reste du monde pour prévenir les effets de contagion. Il aura désormais la possibilité de discuter avec ses États membres des «retombées» de leur politique économique sur la stabilité mondiale, sans avoir nécessairement obtenu leur consentement préalable.
C’est en deuxième lieu pour dire qu’il ne s’agit plus de continuer à brandir des principes et des dogmes en matière de transparence, et que les temps sont venus de se poser la seule et unique question : comment la transparence doit-elle être mise en œuvre pour qu’elle soit réellement ressentie par le citoyen ? Un besoin de coordination par l’État des politiques publiques est nécessaire à cet égard. C’est en troisième lieu pour mettre en évidence la nécessité de maîtrise du temps public dans la mise en œuvre de la transparence de l’exécution du budget de l’État. Dans ce domaine, «l’État supposé maître des horloges» est sans doute celui qui, dans son action, doit concilier entre l’impératif de l’instant qui prévaut pour le temps politique et l’illusion d’éternité qui caractérise le temps administratif, pour aligner ces deux temporalités sur le seul temps qui compte, en l’occurrence le temps du citoyen. C’est en quatrième lieu pour insister sur l’obligation de respect de la norme instituée par la législation et la règlementation en vigueur, de manière à faire prévaloir la logique de la norme sur la culture de la dérogation, de plus en plus courante dans la gestion des finances publiques.
Cette vision est d’ailleurs consacrée par la nouvelle Constitution qui prévoit que les pouvoirs publics et les agents de l’administration sont tous tenus de se soumettre à la loi. C’est en dernier lieu pour dire que la transparence de l’exécution du budget de l’État ne peut être pleinement atteinte que si la culture de la transparence budgétaire et financière est profondément ancrée, diffusée et vulgarisée le plus largement possible, dans le cadre d’une démarche renouvelée qu’il nous appartient ensemble de construire et de faire vivre, car nous sommes tous partie prenante de cette entreprise salvatrice pour l’avenir de nos finances publiques. L’objectif final est de garder en permanence «la notion de l’importance de la vie quotidienne» des citoyens.

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