Aborder le sujet au sein du couple n’a jamais été une partie de plaisir. Un thème si sérieux et si délicat que sa simple évocation suscite parfois des débats houleux qui se terminent, en général, par des disputes. «Il est vrai que le sujet est difficile à aborder dans le monde entier, pas seulement au Maroc, assure le docteur Bouchaib Karroumi, psychologue. Alors que les couples sont fondés sur des bases émotives, le sujet de l’argent annonce le dur retour à la réalité. Les futurs conjoints devront mettre les pieds sur terre, pour définir les rôles que chacun jouera au sein du couple. Malheureusement, dans plusieurs cas, on évite le sujet, de peur de froisser l’autre.»
En effet, dans le schéma «classique» de la société marocaine, c’est le père qui assure le principal apport au budget de la famille. Il s’occupe de fournir ainsi, la plus grosse part des recettes, dans les comptes du ménage, alors que la femme, «estampillée femme au foyer» s’occupe de la bonne tenue de la maison. Cependant, depuis plusieurs années, voire plusieurs décennies, la situation de la femme au Maroc a radicalement changé, surtout dans les villes, où elle contribue activement à la vie professionnelle. Même s’il est vrai que la majorité de la population marocaine vit encore dans le milieu rural, le vent de liberté de la femme a soufflé un peu partout sur le Royaume. En témoigne le Code de la famille «Moudawana» instauré en 2004, qui est venu pour assurer un certain nombre de droits aux femmes, y compris la garantie de conserver les biens en possession de l’épouse, avant et pendant le mariage, comme stipulé dans l’article 49 de cette même «Moudawana».
Parler argent
Les statistiques des tribunaux pour famille, pour l’année 2009, montrent que sur les 314 400 actes de mariage conclus, seuls 487 accords ont été conclus par les conjoints, sur la gestion des acquis du mariage.
«Discuter de l’argent dans un couple n’est pas toujours chose facile, il est important qu’un tel dialogue soit entamé dès les premiers instants de la formation du couple, souligne Dr Karroumi. Cela dépendra fortement de la personnalité des deux conjoints et les rôles qu’ils veulent se définir au sein de l’union.» Il est impératif donc, de se soustraire à tout élément extérieur, lorsque l’on pose des bases solides d’une telle discussion, pour ainsi éviter de mettre mal à l’aise le conjoint, définir le rôle que remplira chacun, pour que la bonne marche du couple soit assurée. Autrement, le non-dit aura une part importante et plus le mariage avancera dans le temps, plus il sera délicat de revenir sur le sujet.
L’évolution de la société surtout dans le milieu urbain a également imposé une nouvelle donne : la femme joue de plus en plus un rôle prépondérant dans l’apport financier, du fait de sa participation de plus en plus active, dans le marché du travail. Paradoxalement, les femmes sont toujours attachées au rôle de maîtresses de maison, qui constitue encore un repère important.
Trouver l’équilibre
Quand la situation financière de l’homme est meilleure que celle de sa femme, un certain équilibre, fragile certes, est instauré et les discussions sur le budget relèvent beaucoup plus de la définition de celui-ci, mais pas nécessairement de son origine. A contrario, quand la femme est plus aisée financièrement que son conjoint, l’équilibre est difficile à trouver et les vieilles considérations, parfois alimentées par des commentaires venus de l’extérieur du couple, rendent le dialogue plus difficile et à chaque fois, la définition des rôles est soumise à de nombreuses réserves. Des éléments clés comme la transparence et la franchise se perdent et le couple en souffre.
Dans quelques cas, la faillite de l’un des conjoints (mauvais investissement, chômage, etc.) porte un coup à l’harmonie du couple. Le conjoint se retrouve dépendant de l’autre, et un manque de confiance en soi, et par extension dans le couple, commence à se profiler. Encore une fois, le dialogue jouera un rôle important dans ce changement dramatique des repères qui peut s’avérer fatal, pour la vie commune.
Il est à rappeler que l’apport financier de la femme au sein du couple n’est pas apprécié à sa juste valeur par la société, car on arrive difficilement à se défaire de la mentalité patriarcale, bien ancrée. Cette appréciation réduite crée une injustice flagrante, surtout lorsque certains maris exploitent cette source d’argent que représente le salaire de la femme, pour subvenir à des besoins personnels. Celle-ci se trouve dans une situation où elle ne peut même pas réclamer son droit, de peur de se voir traitée d’ingrate.
L’argent dans le couple et comment éviter les tensions, selon Dr Bouchaib Karroumi, psychologue
«Il faut prendre conscience de l’intérêt du consensus»
Dans un couple, on n’a pas l’habitude de parler de choses matérielles. La répartition des tâches, l’argent personnel de chacun… Autant de sujets que l’on évite volontairement, pour éviter toute polémique qui pourrait fâcher ou mettre mal à l’aise le conjoint. La présence de la belle-famille rend la tâche encore plus difficile, les choses deviennent plus compliquées quand des éléments extérieurs interviennent dans ce genre de débats, comme lorsque l’un des conjoints prend en charge des personnes de sa famille. Même en dehors des couples, le sujet de l’argent reste délicat et au sein d’un couple, cela peut susciter certaines tensions, que l’on veut bien éviter. Dans notre société, le modèle est le même depuis toujours, c’est l’homme qui travaille et la femme tient son rôle de maîtresse de maison, mais cela doit changer, car les choses ne sont plus comme avant, même si l’on constate que l’apport de l’homme continue d’être important, en général, celui de la femme est loin d’être négligeable.
La meilleure façon d’éviter toute sorte de mésententes est de dialoguer avec transparence, avec franchise et avec sincérité. Cet échange permettra d’instaurer un équilibre propre au couple, en fonction de la personnalité de chacun et de sa participation, pour qu’aucune partie ne se sente lésée, ou encore inactive. Autrement, un jour ou l’autre, le sujet risquera de refaire surface et il sera difficile d’y revenir avec la franchise et la sincérité requises. De nos jours, les jeunes couples sont plus disposés à traiter ce sujet, mais le poids de la famille et des traditions continue d’entraver la bonne tenue de ce genre de discussions.