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Mon conjoint, ce mordu du jeu

● Chaque joueur a ses propres raisons de jouer. Certaines personnes jouent parce qu’elles ressentent la nécessité de réaliser un succès spectaculaire. La persévérance peut venir soutenir le fait de vouloir rejouer sans cesse dans le but de regagner l’argent perdu.
● Le joueur compulsif s’entête à persévérer et non à s’obstiner contre le jeu. Toutefois, quand cette envie de jouer devient une constante, il devient quasi impossible pour le conjoint du joueur de supporter cette addiction au quotidien.

Mon conjoint, ce mordu du jeu
Les jeux de hasard permettent d’entretenir le rêve d’une vie meilleure : un rêve de bonheur qui peut vite tourner au cauchemar.

De nombreuses personnes ayant un problème avec le jeu compulsif, jouent dans le but de fuir des émotions douloureuses. Par exemple, les joueurs dépressifs peuvent ressentir un regain d’énergie ou une libération d’endorphine en jouant. D’ailleurs, comme le jeu demande de l’attention, il a pour effet de distraire l’individu de ses problèmes. De plus, les activités à haut risque comme le jeu, de par les sentiments d’excitation qu’elles procurent, combattent le sentiment de vide. Donc, pour les personnes souffrant de trouble d’hyperactivité, le jeu a comme effet de les ralentir.

Une tentation qui se répand

Loto, PMU, Totofoot… Les Marocains sont de plus en plus joueurs. Ils seraient des milliers à s’adonner aux jeux de hasard à tenter leur chance tous les jours. Ils ne peuvent s’empêcher de jouer et de rejouer en espérant que la chance va enfin tourner. De plus, avec l’arrivée de nouveaux jeux de hasard à gratter et d’argent sur la Toile, les professionnels s’attendent à voir le nombre d’accros s’amplifier. D’ailleurs, il est rare que les patients se manifestent au cours de leurs premières années d’addiction. Généralement, ils vont consulter des spécialistes lorsque la maladie est déjà installée depuis dix ou quinze ans.
Le jeu rythme la vie d’Abdellah, un joueur accro : «C’est vrai que j’y laisse tous les mois une bonne somme d’argent, mais cela ne me décourage pas pour autant. Je suis certain de remporter un jour le gros lot», ajoute-t-il. Si Abdellah est aussi enthousiaste et confiant, d’autres, aux revenus plus limités et qui croulent sous les dettes, culpabilisent certes, mais ne parviennent pas à décrocher pour autant. «C’est une dépendance qui t’empoisonne la vie : c’est la maladie du jeu. Au fur et à mesure que tu perds ton argent, tu dois continuer à jouer. Et une fois la dépendance bien installée, s’en sortir devient une mission impossible. Source de plaisir et de divertissement à la base, le jeu peut rapidement devenir une drogue», se désole Mustafa, profondément peiné par sa dépendance.

Plus on est pauvre, plus on joue

Parmi les accros aux jeux de hasard, toutes les catégories socioprofessionnelles sont représentées, mais ceux qui ont des ressources faibles représentent généralement la majorité des patients. Le sociologue spécialiste des jeux d’argent Jean-Pierre Martignoni appelle cela la «théorie de la pauvreté». C’est-à-dire que plus on est pauvre, plus on joue. Plusieurs études le confirment : les jeux de hasard permettent d’entretenir le rêve d’une vie meilleure : un rêve de bonheur qui peut vite tourner au cauchemar.
Heureusement, tous les joueurs ne développent pas un comportement addictif. L’attitude la plus courante est quand la personne ressent le besoin de «se refaire» lorsqu’elle a perdu et elle cache à son entourage les pertes d’argent cumulées. C’est à ce moment-là que le conjoint - souvent la compagne - qui en découvrant des arriérés de loyer ou des dettes jusqu’alors dissimulés, pose un ultimatum et menace de partir si le joueur ne décroche pas. Voilà pourquoi le joueur addict se tait (presque dans 100% des cas) sur ses activités.

Miser sur le couple

Sofiane a tout essayé : la thérapie spécialisée, les rendez-vous aux Gambleurs anonymes et même l’inscription volontaire au club Sélect des rayés du casino. Pourtant, il est incapable de faire une croix sur le jeu même s’il sait que son mal peut lui coûter sa famille. La solution ? La thérapie de couple ! Le jeu pathologique est une maladie mentale au même titre que la dépression et qui a, par conséquent, des répercussions sur toute la cellule familiale.
Pour Sofiane et sa conjointe, l’approche a été une véritable révélation. «J’ai essayé les Gambleurs anonymes, mais je n’ai jamais aimé le système. Je n’aime pas avoir à parler devant le monde et à entendre le monde pleurer autour de moi en racontant leur bla-bla quotidien, raconte-t-il. Alors, j’ai choisi de suivre des thérapies de couple. Et là, on nous a appris à mieux communiquer, à mieux se comprendre. C‘était vraiment une bonne décision», souligne-t-il.

La passion du jeu de Sofiane est née lors de sa première visite au casino Mazagan, à El-Jadida. Depuis, il a fait rechute après rechute. La proposition d’un atelier de couple est donc tombée à point pour sa conjointe Farida, qui refuse désormais de vivre avec «trois enfants à la maison».
C’est que la guérison de son mari est fragile et qu’il est encore impensable de lui confier des cartes bancaires ou de crédit sans tenter le diable. La preuve : il a beau figurer sur la liste des rayés du casino, il s’y rend quand même. Entrera, entrera pas ? Ça dépend des jours. «J’ai testé le système à de nombreuses reprises et il n’est pas parfait. Il y a des journées où je me risquais à y aller et où je revenais les poches vides ou pleines. D’autres journées, j’y allais et je me faisais regarder dans les yeux.
La façon de faire est de nous amener sur le côté et de nous dire bien gentiment de sortir», explique Sofiane.

Même devant l’impasse, commune à la plupart des couples qui sont aux prises avec une telle pathologie, la femme de Sofiane croit tout de même que leur souci va prendre fin. «Je me rends compte que je suis de plus en plus capable de lui parler et de lui dire comment je vis les choses», raconte-t-elle.
Mieux, Sofiane est devenu pour elle comme un livre ouvert. «Avant, je ne me rendais pas compte qu’il me mentait parce que je ne tenais pas compte de ses changements d’humeur. Maintenant, je le sais à son ton». Mais le couple sait bien que tout cela reste bien fragile. «Le mot rechute refait malheureusement toujours surface. Ma dernière reprise remonte à trois ou quatre mois et elle me hante», confie Sofiane. En attendant, sa femme et lui croisent les doigts pour sortir enfin de cet enfer.


Addiction et rapports financiers dans les couples selon le coach familial Benalla Samad

«Le traitement est lourd et long. Il faut faire preuve de beaucoup de patience et de compréhension»

«Dans un couple, il doit y avoir un équilibre : que cela soit sur le plan financier ou sur le plan sentimental. Quand, par exemple, un des deux conjoints ne travaille pas, il y a comme un malaise. C’est-à-dire qu’il faut un revenu des deux côtés. Comme cela, il n’y a pas plus de responsabilités pour un des deux. Une des règles d’or dans le couple est l’indépendance financière. D’ailleurs, on remarque un taux plus important de divorce quand l’une des deux parties du couple ne travaille pas. Et effectivement, j’ai noté une augmentation des consultations par rapport à cette addiction. Cela s’explique par rapport à la tentation qui devient de plus en plus importante. Il y a plus de casinos, plus d’endroits où jouer. Il va donc falloir que le conjoint qui subit l’addiction rentre dans une réelle phase de travail afin d’aider son compagnon et de le prendre en charge. Bref, il faut que l’addict comprenne qu’il n’est pas seul. Une thérapie de couple à trois s‘impose alors. Mais avant, on devra prendre en charge médicalement, le «malade». Ensuite, la thérapie pourra s’effectuer en trois temps, de manière saine. Tout d’abord, le conjoint addict devra s’entretenir avec le thérapeute. Puis, viendra le tour du second conjoint, pour enfin confronter les deux parties.

Mais pas de façon à reprocher toutes ses fautes au conjoint malade, cela ne doit pas ressembler à un jugement. Cette addiction au jeu est pire qu’une drogue. On parle d’addiction quand le comportement devient exagéré. Et là, il faut que le conjoint addict soit conscient que son problème est exagéré. Cette prise de conscience relève de la responsabilité du compagnon du patient malade. Un dialogue doit alors s’installer au sein du couple. Le partenaire endurant le problème doit surtout en parler comme s’il s’agissait d’un problème commun et non rejeter la faute sur l’autre. Si le partenaire ne comprend pas qu’il doit se faire aider, c’est à ce moment-là que l’intervention d’une tierce personne devient obligatoire : un proche, un membre de la famille, etc. Le traitement est lourd et long. Il faut faire preuve de beaucoup de patience et de compréhension. Une relation de confiance doit alors s’instaurer entre le patient et le thérapeute afin que l’addict se dévoile petit à petit. Le spécialiste ne peut en aucun cas mettre le malade en étant de choc où ce dernier risquerait de se braquer».

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