Le Matin : Avant le tourisme solidaire, il y a eu l’émergence de l’«économie sociale» qui est aujourd’hui une donnée essentielle de l’économie nationale. Un mot sur cette genèse ?
Ahmed Aït Haddou : Au Maroc, le concept d’«économie sociale» est d’introduction récente. C’est avec le Plan de développement économique et social 1988-1992 que le concept a été pour la première fois introduit dans les textes législatifs, réglementaires et officiels. Le Plan quinquennal parle de la composante de l’économie sociale : les associations, les mutuelles et les coopératives. Depuis, les pouvoirs publics n’ont cessé de louer les vertus de cette «économie». C’est ainsi que les différents gouvernements qui se sont succédé ont repris les mêmes «paragraphes» dans les programmes gouvernementaux. Le gouvernement socialiste a même «osé», dans sa deuxième version 2000, dédier un département ministériel à l’Économie sociale et créer une direction sous la même dénomination. Le qualificatif «solidaire» est venu un plus tard. C’est à l’occasion de la création du Réseau marocain de l’économie sociale et solidaire (REMESS) en 2006 que le qualificatif «solidaire» a été consacré et donc utilisé dans les discours officiels, même si très souvent on ne perçoit pas le sens de cette économie qui est sociale et culturelle, avec également une dimension écologique et environnementale.
Qu’y a-t-il derrière le REMESS, le Réseau marocain de l’économie sociale et solidaire ?
Le REMESS est une organisation non gouvernementale, à but non lucratif, apolitique et areligieuse, qui a épousé les principes et valeurs universels des entreprises de l’économie sociale et solidaire : égalité, démocratie, équité, participation, subsidiarité, autonomie, indépendance, gouvernance, responsabilité sociale et sociétale… Le REMESS s’est doté d’une charte éthique commune à tous ses membres (plus de 50 associations, réseaux, unions, GIE de coopératives, experts…).
Quelle est son action dans le secteur du tourisme solidaire ?
Le REMESS a inscrit parmi ses objectifs prioritaires «la promotion du tourisme solidaire». Ainsi, dans son plaidoyer en faveur «des petits producteurs et des travailleurs dans l’informel», le REMESS inscrit dans ses actions les activités touristiques au niveau des territoires. Le tourisme est une niche qui recèle un potentiel considérable pour le développement des activités génératrices de revenus et créatrices d’emplois décents à des milliers de jeunes et de femmes. Pour pousser en avant l’insertion du tourisme solidaire en tant que composante des acteurs de développement des territoires (communes), aussi bien l’Initiative nationale de développement humain que le Plan Maroc vert ainsi que d’autres programmes nationaux ou régionaux sont des cadres appropriés pour l’intégration de l’économie sociale et du tourisme solidaire dans le développement des territoires. Les organismes et les Agences de développement réservent une grande partie de leur appui et accompagnement des coopératives, des associations et d’autres acteurs pour l’intégration du tourisme solidaire comme une activité complémentaire à d’autres activités exercées par les populations au niveau des territoires (communes). Les communes, de leur côté, de par la charte communale, sont dotées de Plans de développement communal (PDC) établis pour 6 ans.
Le PDC doit faire l’objet d’une actualisation tous les 3 ans. Je voudrais aussi souligner le rôle joué par l’Agence de développement des provinces des Sud et l’Agence nationale de développement de la zone des oasis et de l’arganier» (ANDZOA, la nouvelle venue), qui consacrent une part importante de leur appui au tourisme alternatif sous différents qualificatifs : écologique, culturel, rural, etc. Le REMESS envisage de dédier au tourisme solidaire un département et une équipe permanente pour accompagner les initiateurs de projets individuels et collectifs (coopératives, associations, GIE...).
À l’instar d’autres associations comme Migration et développement, vous travaillez sur de nouvelles méthodes et approches pour le développement des territoires qui devraient créer une synergie entre les ONG et les autres acteurs de développement ?
Le REMESS pilote depuis une année un projet de «coaching territorial» pour travailler sur le changement des comportements des acteurs en vue d’un développement intégré et durable. Ainsi, le REMESS intervient au niveau de quatre sites : Beni Meskine, Salé, Ouezzane et les Oasis du Sud-Est (Errachidia). L’objectif est de concevoir à partir de la démarche «Action-Recherche-Formation» menée par des «coachs territoriaux» (animateur d’un type particulier), un modèle qui peut devenir une démarche à enseigner et utiliser dans les techniques d’animation de territoire (communes). Un travail de modélisation est en cours de réalisation dans le cadre du projet CT qui réunit le REMESS et Écho Communication (ONG belge). La démarche modélisée sera présentée à l’occasion de la prochaine rencontre d’Africités qui se déroule à Dakar au Sénégal du 8 au 12 décembre 2012.
De même, une Académie de l’économie sociale et solidaire sera organisée par le Bureau international du travail à Agadir du 8 au 12 avril 2013. Cette troisième édition de l’Académie de l’économie sociale et solidaire fait suite aux deux précédentes qui se sont tenues successivement à Turin en Italie en octobre 2010 et à Montréal au Canada en octobre 2011. Nous projetons aussi d’organiser un forum sur l’ESS en Méditerranée, en Tunisie, durant le premier trimestre de 2013. Les institutions agissant dans le domaine du tourisme solidaire au Maroc auront des opportunités pour échanger et faire du marketing. Mais nous pensons au REMESS qu’il est nécessaire de se focaliser en premier lieu sur le tourisme national, maghrébin et arabe avant de prétendre à des touristes occidentaux.
Pouvez-vous faire un focus sur le séminaire tenu à Errachidia qui permettrait de mieux comprendre les enjeux du tourisme solidaire ?
Dans le cadre de la promotion et la territorialisation de valeurs et pratiques de l’économie sociale et solidaire (ESS), notamment celles du tourisme solidaire (TS), le Réseau marocain de l’économie sociale et solidaire (REMESS) et le Réseau agir responsable en Méditerranée pour le développement du tourisme solidaire (AREMDT), en collaboration avec le Réseau des associations de développement des oasis de Sud-Est (RADOSE), avaient organisé l’année dernière à Errachidia une rencontre sur «le tourisme solidaire facteur de développement local». L’objectif de ce séminaire à Errachidia est de lancer une dynamique locale afin de promouvoir et vulgariser les principes et concepts du tourisme solidaire dans la région, et de regrouper tous les acteurs liés à ce genre de tourisme autour d’une même table pour réfléchir ensemble et dans un cadre de concertation sur les modalités de développement de ce tourisme solidaire afin de répondre aux attentes de la population locale et être conformes aux principes de la charte du tourisme solidaire adoptée par AREMDT. Après la rencontre de Khénifra.
Tous les acteurs concernés étaient présents, venus des provinces d’Errachidia, Tinghir, Tinjdad, Khénifra (Imilchil) et Figuig et ont discuté, durant deux jours. Après un diagnostic, toutes les difficultés que connaît ce secteur ont été mises à plat et une feuille de route intégrant plusieurs activités envers les acteurs concernés par le développement du TS dans les différentes régions représentées a été présentée pour montrer les opportunités.
Les problèmes sont, on le sait, très nombreux, pourriez-vous en lister quelques-uns ?
Il y a un manque flagrant de vision stratégique du développement de ce secteur, un manque d’organisation et de maîtrise locale des projets touristiques. Les déficits sont tout aussi nombreux, en termes de formation des guides et des ONG, en termes de savoir-faire commercial : pas d’agence de voyages pour commercialiser le produit touristique, problème d’accessibilité, érosion du patrimoine naturel et culturel, rareté de l’eau… Des solutions ont été avancées par les participants pour agir contre ces problèmes en termes d’encadrement, de communication, de formation et de structuration des associations de la région.
Pour pérenniser et réaliser les recommandations de cette rencontre, un comité a été constitué et est logé au sein du RADOSE en tant que pôle régional du REMESS qui assurera la coordination de toutes les actions. Ce comité comporte 18 personnes représentant différentes catégories d’acteurs et provinces représentées (professionnels, porteurs de projet, acteurs associatifs…). Le comité s’est engagé à piloter et assurer le suivi des activités du tourisme solidaire dans la région et à coordonner entre les différents territoires de la province pour créer une synergie entre les acteurs, et à programmer des activités dans le cadre du TS et une feuille de route de travail. Un plan d’action a été élaboré par ledit comité comportant d’autres rencontres et des sessions de formation répondant aux attentes de l’assistance. Ainsi, il sera procédé à l’organisation d’autres rencontres identiques à celle d’Errachidia dans plusieurs villes de la région, notamment à Tinghir, Imilchil, Goulmima, Riche et Boudnib. Ce que je peux dire, c’est que la rencontre d’Errachidia était une très bonne occasion pour les différents acteurs touristiques de la région pour débattre d’une grande thématique liée au développement de leur pays, et de réfléchir ensemble avec les acteurs dans un cadre de concertation au présent et au devenir du tourisme solidaire. Une réflexion de fond a été menée, afin que cette activité puisse contribuer au développement de ces régions qui ont été longtemps marginalisées et oubliées.
