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«Faire face à la crise, c’est repenser les modes de gouvernance»

Le Groupement de recherche sur espace et territoires (GRET), la chaire UNESCO des droits de l’Homme et la Fondation Hanns Seidel organisent le 17e colloque international «Gouvernance, risques et crises», les 26 et 27 avril 2012 à Rabat. Ce séminaire annuel réunit des chercheurs, des experts et des universitaires venus des pays arabes, du Maghreb et de l’Europe qui apportent leur contribution au débat sur les crises et les risques qui perturbent l’agenda de tous les gouvernements du monde et imposent de nouveaux modes de gestion et de gouvernance avec un objectif : réagir et répondre à l’urgence des demandes sociales et des revendications démocratiques.

«Faire face à la crise, c’est repenser les modes de gouvernance»

Le Matin : «Gouvernance, risques et crises», c’est le thème choisi cette année par le GRET. S’il est un mot récurrent, c’est bien celui de crise, car directement lié à l’actualité ?
Ali Sedjari : La problématique de la crise est au cœur des préoccupations de nos sociétés contemporaines et des interrogations sur les modes de gouvernance opérationnels. L’actualité, en effet, depuis plus de trente ans déjà, nous force à constater que nous sommes périodiquement placés sous le choc et la menace permanente d’une multitude de crises et de risques : crise économique, financière, politique, sociale, culturelle, démocratique et même morale ; risques climatiques, environnementaux, technologiques, sanitaires, nucléaires, etc., qui nous rendent la vie difficile en raison des inquiétudes et des anxiétés qu’ils génèrent et des brouillages des visions de chacun.


Il y a la crise et la gestion de la crise. Comment la crise est-elle gérée ici et là ? Comment accompagner le changement profond et parfois la rupture radicale entamée ? Y a-t-il un mode d’emploi ? Ce sont là des questions que vous avez posées dans votre intervention.
Oui. L’analyse des risques et des crises, dans leur diversité et leur complexité, exige un regard pluridisciplinaire pour mieux décortiquer les contextes de leur émergence, les impacts qui en découlent et les réponses à leur apporter. Les exigences en matière de protection et de sécurité face aux effets des risques et des crises sont croissantes. Le réflexe des citoyens est de se retourner vers leurs gouvernements pour des solutions. L’action collective la plus porteuse d’espoir consiste cependant à prospecter des chemins pour renforcer les capacités de résilience des organisations, tant publiques que privées, et se doter d’un bon système de gouvernance. C’est dans cet esprit que la question de la gestion des risques et des crises prend toute son acuité et sa gravité.

Nécessité donc d’une réflexion collective, interdisciplinaire, mais complexe par ses interconnexions ?
Le constat que l’on peut faire aujourd’hui est que les risques et les crises sont dans une logique d’interconnexions complexes entre les différentes parties du monde, car l’on assiste de plus en plus à un phénomène de globalisation de la crise, dont les multiples dimensions s’emboîtent et se renforcent mutuellement. Il y a la crise financière, parce que l’instabilité du système est chronique ; la crise sociale, parce que les jeunes, les femmes et les travailleurs du monde revendiquent une amélioration de leurs conditions de travail, de statut et d’existence ; la crise écologique, parce qu’aux pollutions et à l’épuisement des ressources s’ajoutent le réchauffement du climat et la désertification sans cesse rampante ; la crise géopolitique parce que les tensions internationales loin de se résorber après la chute du mur de Berlin se sont ravivées ; la crise démocratique, parce que les dictatures sont ouvertement contestées, mises en cause et les États sont appelés à revoir leurs stratégies et leur manière de manager la mondialisation. Si les risques et les crises, dans leur diversité et leur complexité, nous renvoient à la question principale, celle de savoir comment gérer l’avant et l’après, d’autres questions aussi importantes les unes que les autres nous interpellent : les crises et les risques sont-ils des situations ponctuelles ? Comment émergent-ils des défaillances organisationnelles ? Comment réagir et s’adapter à ces situations limites et hors normes ? Comment rétablir la confiance et renforcer la résilience des organisations ? Comment appréhender les incertitudes et les menaces qui mettent en péril la cohésion sociale et l’équilibre stratégique ? Comment gérer les désordres et la confusion générés par les risques et les crises ? Comment concilier croissance et sécurité, cohésion sociale et paix mondiale ? Comment éviter que les risques et les crises tournent mal ? Y a-t-il un mode d’emploi pour retrouver l’équilibre, la paix et la stabilité après une révolution ou des mouvements de déstabilisation, comme c’est le cas aujourd’hui de certains pays arabes ? Quelles sont les dynamiques et les enjeux de la réforme qui s’opèrent à l’horizon et comment réussir ? Que faut-il faire pour rassurer la population, éviter la faillite des systèmes économiques et financiers ? Comment réussir le challenge pour la transition démocratique ? Quel est le rôle des médias dans l’analyse des faits et celui des forces de l’ordre dans le maintien de la paix ou de la gestion de la transition ? Quelles sont les attitudes à adopter dans ce genre de situations ?


Tous ces questionnements ne posent-ils pas la vraie question, celle du déficit de gouvernance ?
Oui, face aux crises économique, financière et politique qui secouent de nombreux pays du monde, c’est la question de la fiabilité de la gouvernance, qu’il faut mettre en cause. Et là, il y a plusieurs niveaux d’analyse. Il y a un premier niveau, celui du leadership d’abord, c’est-à-dire que la gestion des risques et des crises pose un problème de pilotage et de commandement de la part d’une autorité disposant de tous les atouts nécessaires pour assurer une bonne gouvernance du système. Le leadership est un exercice intellectuel qui nécessite le savoir-faire, le savoir-agir et le savoir-mobiliser afin d’assurer un retour à la normale, diminuer les vulnérabilités, l’attente des organisations et l’angoisse des populations. C’est aussi un exercice politique qui exige une capacité d’action, de proposition, de décision et d’audace pour éviter le chaos et l’enlisement. Le deuxième niveau est celui de la confiance, car les crises et les risques entraînent fatalement une perte de confiance de la population à l’égard de ses institutions, grandement amplifiées par une médiatisation accrue des angoisses. En effet, l’augmentation des connaissances disponibles engendre une perception exacerbée des populations différente de la réalité, ce qui pose le problème fondamental de l’usage des moyens de communication et d’information. Les crises et les risques engendrent par ailleurs le doute, la peur et la crainte, entraînant par là une fragilisation des institutions. Dans ce cas, le rôle de l’État est déterminant : il doit rassurer. La confiance constitue une compétence incontournable dans un monde que personne ne peut maîtriser ni même parfois prévoir, et la question est de savoir comment inspirer la confiance. D’abord, il est essentiel de tenir ses engagements, d’exécuter ses décisions, de reconnaître ses erreurs et surtout de les corriger. Il s’agit ensuite de savoir affronter les réalités, éviter les non-dits, et de savoir trancher lorsque la situation l’impose.

Quel est le dernier niveau d’analyse ?
C’est celui de la résilience. Ce concept sous-entend la capacité de se relever après un choc ou une perturbation et de développer de nouvelles capacités propres à l’organisation. La connaissance à la fois des crises et des risques et de leur propre organisation est gage d’amélioration des pratiques de gestion et d’augmentation de la résilience. Car le principe même d’une organisation publique est d’être capable de résister aux changements brutaux et aux crises. Mais, dans une perspective évolutionniste, on doit être aussi capable de s’adapter et d’évoluer dans un environnement qui devient de plus en plus incertain et fluctuant ; ce qui renvoie tout simplement au renforcement de la capacité d’apprentissage de toutes les organisations.


Printemps arabe, révolution, évolution, gestion de crise. Que faire dans un environnement de tension et de crise ?
Au cœur de cette équation se pose la question lancinante de la gouvernance et de la manière de manager les situations de crise et de risques. Ce management touche un ensemble complexe d’institutions, de mécanismes et d’outils pour mieux anticiper et gérer les risques et les crises au moment de leur survenance. En ce sens, l’on ne peut parler de gouvernance des risques et des crises, avant ou après, que si les responsabilités sont partagées et mieux réparties, que si les conditions de vulnérabilité sont levées et que les demandes sociales sont traitées avec plus de diligence et de fermeté.
La coproduction de la sécurité ne se décrète pas. Elle doit s’organiser dans un système de bonne gouvernance démocratique et d’un management de qualité. La crise, on le sait, est un mouvement générateur de désordre, mais elle peut être source de rénovation, d’innovations fortes et de décisions stratégiques nouvelles.
La crise peut avoir un effet salvateur pour aller de l’avant, dépasser les blocages, trouver des issues de sortie et procéder à des ajustements dans tel ou tel secteur dès lors que les organisations savent exploiter leur potentiel intellectuel et professionnel. Autrement dit, elles font appel à l’usage de l’intelligence collective et à la capacité professionnelle et intellectuelle des décideurs et des managers.

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