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«"Ne me jugez pas" ! C’est le cri que lancent mes personnages à la société»

● La jeune écrivaine Imane Naciri vient de publier un recueil de nouvelles intitulé «Ne me jugez pas !» aux Éditions la Croisée des Chemins.
● Sous sa plume, de simples histoires prennent de l’ampleur et sortent de l’ordinaire.

«"Ne me jugez pas" ! C’est le cri que lancent mes personnages à la société»
Imane Naciri : «l’écriture est un rêve d’enfant, une passion».

Le Matin : Pourquoi avoir opté pour la nouvelle, comme genre littéraire, pour vous exprimer ?
Imane Naciri : Écrire des nouvelles me convient parfaitement. La condensation du récit et l’intensité des personnages me séduisent. Les histoires sont courtes, il faut donc s’exercer à se concentrer sur le principal, éluder les détails, tout en construisant les situations et les personnages. Pas de superflu, seulement l’essentiel. Et puis, il y a aussi la fin de la nouvelle, qui doit, par définition, être totalement inattendue. En résumé, c’est bref, intense et surprenant. J’aime bien prendre le contre-pied du prévisible.

Décrivez-nous votre état d’esprit quand vous êtes en train d’écrire ?
Je fulmine, je m’indigne, je ris, je chante, je pleure. Quand j’écris, je vis mes émotions. Même si les histoires sont imaginées, certaines émotions doivent être vécues pour être retranscrites à la manière de l’auteur. Parfois, le besoin d’écrire est si fort que je ne fais plus attention aux personnes autour de moi, je suis en «lévitation». Les hommes et les femmes sont, certes, sources d’inspiration, mais j’ai besoin de me retirer de la société pour mieux écrire. Et puis, la solitude est synonyme de création, c’est rare de créer en public.

Que représente l’écriture pour vous ?
L’écriture est un rêve d’enfant, une passion. J’exprime des émotions, tour à tour, de manière drôle, décalée, sérieuse, avec une pointe d’ironie et de satire. Écrire est une manière d’exister en tant que femme, à la fois marocaine et citoyenne du monde.

Le titre «Ne me jugez pas !» ne serait-il pas une manière de demander l’indulgence du lecteur ?
Je vais vous faire une confidence, le titre original était «le Dilemme», parce que chaque personnage devait faire un choix. Même pour les plus cornéliens, le jugement est au coeur de la décision. Tout est lié. «Ne me jugez pas !» c’est le coup de gueule de mes personnages, leur cri vis-à-vis de la société. Ce qu’ils veulent dire c’est : «ne me jugez pas... avant de connaître l’histoire en entier. Et surtout, respectez-moi en tant qu’individu.» Ce n’est donc pas ma voix qui parle, mais celle de mes personnages. Pour mes lecteurs, je reste, bien entendu, ouverte à toute critique constructive.

Pourquoi avoir choisi le «je» pour narrer vos nouvelles ?
Le «je» représente un monologue intérieur, comme si le personnage ouvrait sa porte et son cœur pour vous laisser partager ses émotions, même les plus intimes. Cela crée une complicité avec le lecteur. Mais toutes les nouvelles ne sont pas à la première personne du singulier. Les autres, à la troisième personne, nous racontent l’histoire de l’extérieur, comme pour nous prendre à témoin. J’aime bien jongler entre l’ami proche et le spectateur curieux.

Peut-on dire que l’écriture (et la nouvelle spécialement) vous permet un jeu de rôles qui vous donne l’occasion de vous mettre dans la peau de plusieurs personnages ?
C’est tout à fait vrai. De toutes les manières, la société est un théâtre géant, avec, entre autres, ses précieuses ridicules, ses avares et ses tartuffes. J’aime bien me mettre dans leur peau et me les imaginer de l’intérieur. Comment comprendre une femme battue, un fou, un révolutionnaire si on ne rentre pas dans son for intérieur ?


Extrait

«Je suis le plus jeune d’une fratrie, devrais-je dire d’une «sœurerie», je m’appelle Bachir, j’exerce le plus beau et le plus noble métier du monde. Je suis instituteur.
Et je déteste ça. Tous les jours, je me farcis ces mômes de riches. Je prends le bus, je fais trente-cinq minutes de trajet, à sentir la boue de la banlieue casablancaise, les alcooliques qui ne sont plus anonymes, les chemkara avec leur colle à sniffer. J’aperçois des femmes voilées qui pourraient me sauver de mon calvaire olfactif, mais elles ont oublié leurs voiles et leurs cols trop roulés huit jours sur elles, créant une sorte de mélange douteux, une odeur de sueur moite chargée de phéromones qui fait fuir les mâles. Quand j’arrive haletant à mon école à la façade colorée, j’arrange mon pull ordinaire, dont je ferme tous les boutons, pour que ce monde-là ne pénètre pas mon âme intérieure. Les directrices coincées me toisent du haut de leurs talons».

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