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«Notre Université doit gagner le pari de l’ouverture»

Le professeur Radouane Mrabet, président de l’Université Mohammed V, est ingénieur d’État diplômé de l’École de Mohammedia (promotion 1986) et docteur d’État en réseaux de communication de l’Université de Bruxelles.

«Notre Université doit gagner le pari de l’ouverture»
Radouane Mrabet, président de l’Université Mohammed V-Souissi

Il a également obtenu un DEA dans la spécialité système d’informatique à l’Université Pierre et Marie Curie à Paris. Membre fondateur et coordonnateur général de la Task Force IPv6, il préside plusieurs commissions qui travaillent dans le domaine de la recherche scientifique et des technologies de l’information et dirige plusieurs projets de Ret D. En 2007, il est nommé directeur de l’École nationale supérieure d’informatique et d’analyse des systèmes (ENSIAS) de Rabat et le reste jusqu’en décembre 2010, date de sa nomination à la tête de l’Université Mohammed V-Souissi, qui regroupe quelque 20 000 étudiants et trois grands pôles de compétence : le pôle santé, le plus dynamique en recherche scientifique, composé de la faculté de médecine et de pharmacie et de la faculté dentaire, le pôle technologie avec l’ENSIAS et l’ENSET (École normale supérieure de l’enseignement technique) qui connaît un taux d’insertion qui avoisine les 100% et enfin le pôle sciences humaines et sociales qui décline 70 filières, regroupe 17 000 étudiants et qui est constitué de deux facultés de sciences juridiques économiques et sociales à Rabat Souissi et à Salé, de la Faculté des sciences de l’éducation, de trois instituts de recherche (arabisation, recherche scientifique, Instituts des études d’Afrique).

Le Matin : Vous êtes passionné par l’Internet nouvelle génération et l’Internet des objets. L’Internet a-t-il transformé le monde ? et selon vous, les nouvelles technologies ont-elles transformé notre société ?
Radouane Mrabet : La technologie change et nous découvrons chaque jour de nouveaux champs de recherche. Oui, Internet a transformé le monde et ce qui nous attend sera plus impressionnant encore. Le potentiel de changement est à peine entamé.
Au Maroc, nous ne pouvons pas parler de transformation, mais il y a une évolution et Internet sera omniprésent. Les usages seront plus nombreux, plus élaborés, je pense à l’e-gov, e-commerce qui vont se développer rapidement. Reste à veiller à faire profiter le plus grand nombre du potentiel technologique en évitant une société à deux vitesses !

Le pôle des sciences humaines et sociales regroupera cette année plus de 17 000 étudiants. N’êtes-vous pas préoccupé par cette massification de l’enseignement supérieur ?
On peut aussi se réjouir des résultats de la généralisation de l’enseignement. Cette année, il y aura 210 000 bacheliers, ce chiffre montre que le Maroc avance dans sa politique de scolarisation et de démocratisation de l’éducation. Le défi est de recevoir ces étudiants et de les former dans de bonnes conditions. Le nombre de places dans les filières à accès régulé (école d’ingénieurs, faculté de médecine et faculté de droit et économie) ne permet pas d’offrir des places à tous les candidats. Il faut donc travailler à diversifier davantage les filières et multiplier l’ouverture d’établissements supérieurs.
Le nombre des bacheliers va continuer à augmenter tout au long de la prochaine décennie, pour atteindre 350 000 étudiants en 2022 ! On parle beaucoup de transition démographique, mais à l’université nous ne le ressentons absolument pas ! Et il faut gérer ces multiples défis, celui des places, de l’encadrement, de la qualité des enseignements ! Les orientations de Sa Majesté le Roi dans son discours du 20 août sont claires : le système éducatif, placé en tête des priorités nationales, doit être repensé «non seulement pour assurer l’accès égal et équitable à l’école et à l’université pour tous nos enfants, mais également pour leur garantir le droit à un enseignement de qualité, doté d’une forte attractivité et adapté à la vie qui les attend».

C’était le rôle du Plan d’urgence qui a disposé de beaucoup de moyens, mais dont les résultats n’ont pas été optimums ?
C’est au ministère de donner une estimation globale. Ce que je peux dire concernant l’université Mohammed V-Souissi, c’est que ce plan a été bénéfique et je suis demandeur d’un programme quadriennal qui nous donnerait une visibilité. Je pourrais ainsi mieux planifier et anticiper les besoins pour continuer sur la lancée qu’aura permis le plan d’urgence. Nous avons pu améliorer les espaces et les conditions de travail des étudiants, réaménager les établissements, embellir des facultés, acheter des équipements. Tout cela a créé une nouvelle dynamique de changement, d’amélioration, un nouvel état d’esprit chez les étudiants et les enseignants !

En termes de défis, vous évoquiez à l’un de mes confrères, à côté de l’évolution exponentielle du nombre des étudiants, la question du départ des enseignants retraités qui devrait connaître un pic. Comment gérer cette équation ?
Je voudrais préciser qu’à l’Université Mohammed V-Souissi, nous n’avons que deux filières à accès ouvert, c’est-à-dire sans présélection à Salé et dans la faculté de droit de Souissi. C’est là que nous enregistrons le taux de déperdition le plus fort, probablement par démotivation. Comment dès lors leur redonner le goût des études, mieux encadrer ces jeunes pour leur permettre d’assimiler le choc du changement, étant entendu que nous ne sommes plus au lycée !
Comment transcender le problème de la langue ? Nous avons lancé des initiatives comme celle du tutorat, mais la gestion du grand nombre est complexe, difficile, et parfois, il faut le reconnaître, nous n’avons pas toujours des solutions. D’autant que le départ des enseignants à la retraite et la raréfaction des postes budgétaires, 15 en 2011, posent vraiment un problème qu’il faut résoudre !

Mais de tous ces défis, le plus grand reste peut-être celui de l’insertion professionnelle. Les facultés sont accusées d’être les antichambres du chômage ?
Cela dépend des facultés. Nous avons un pôle technologique et un pôle Santé qui ne posent pas problème. Dans le pôle Sciences humaines et sociales, les masters tirent leur épingle du jeu et arrivent à s’insérer. Nous avons initié une enquête sur l’insertion qui confirme cette donnée.
D’un autre côté, nous travaillons sur la question de l’employabilité de nos étudiants et nous montrons aux entreprises la diversité de nos filières. Avant de lancer toute filière, nous nous assurons du marché de cette filière pour nos promotions et agissons de manière pragmatique. C’est ainsi qu’en cas de difficulté d’insertion des étudiants, nous fermons la filière. Il y a plus de flexibilité dans nos politiques, ce qui nous permet d’être plus réactifs. Nous sommes également au deuxième forum de l’emploi qui nous offre l’opportunité de rencontres avec les chefs d’entreprises qui font connaître leurs besoins. En avril dernier, c’est à la faculté de Salé, qui s’enrichit d’un complexe sportif, que s’est tenu la deuxième édition du forum sur le thème «Lauréats de l’université, cadres performants pour des établissements leaders».

En Europe, nombre d’universités et d’écoles supérieures font appel, à côté des enseignants, aux chefs d’entreprise pour assurer des cours, des travaux pratiques... Pourquoi ne pas dupliquer une telle expérience au Maroc ?

C’est une bonne pratique que nous avons dupliquée depuis longtemps. Nombre de chefs d’entreprise interviennent en dispensant des cours, en recevant nos stagiaires... Il faut renforcer cette relation. Dans la partie médicale, c’est à partir de la recherche que nous cherchons à atteindre les entreprises. Avec leurs nouveaux masters, les universités de sciences humaines et sociales se sont également ouvertes à l’entreprise et nous avons de plus en plus de cadres d’entreprises, de banques qui y interviennent. À la Faculté de Salé, par exemple, nous avons ouvert une agence bancaire pédagogique et nous travaillons à ouvrir un tribunal et un centre régional d’investissement pédagogiques, qui serviront de laboratoires aux travaux pratiques. Nous essayons de rapprocher nos étudiants des milieux socioéconomiques avec l’aide des praticiens du terrain.

Dans le cadre «Cap Progrès», vous avez également organisé beaucoup de manifestations. Avec quels objectifs ?
Nous devons relire les orientations du Souverain émises dans son discours du 20 août. Le Souverain a préconisé de «revoir les approches et les méthodes en vigueur à l’école» pour passer d’une logique d’enseignement centrée sur l’enseignant et limitée à la transmission des connaissances, à une autre logique, fondée sur la réactivité des apprenants, le renforcement de leurs compétences propres, le déploiement de leur créativité et le développement de leur savoir-faire, de façon à leur permettre de «s’imprégner des règles du vivre ensemble dans le respect de la liberté, de l’égalité, de la diversité et de la différence». L’université doit devenir «un lieu où prévaut une logique vouée à la formation de l’esprit critique et la stimulation de l’intelligence, pour une insertion assurée au sein de la société de l’information et de la communication». C’est dans cet esprit que nous avons organisé beaucoup de manifestations, quelque 130 en 2011, ce qui nous place à la première place, devant toutes les autres universités ! En fait, notre idée première, c’est que l’université doit s’ouvrir à son environnement socioéconomique, elle doit bouger, elle doit communiquer sur ses atouts, ses acquis, montrer ce qu’elle sait faire ! Nous avons reçu des personnalités, des ministres, des ambassadeurs, des chercheurs marocains et étrangers qui interviennent, qui débattent et qui s’impliquent ! Nous voulons également, par ces manifestations, mettre à bas des préjugés sur l’université qui perdurent. Nous voulons montrer que les universités changent, que beaucoup de choses se font dans leurs enceintes dans le domaine de la pédagogie, de la recherche, de la gouvernance ! Notre plan 2012-2013 est prêt, il reprend les manifestations qui ont bien marché comme le Forum de l’emploi. Nous allons travailler sur les clubs estudiantins et je vais proposer une résolution en conseil de l’université pour que l’on puisse accréditer un club estudiantin ou une association d’étudiants, qui pourront ainsi, pour les plus méritants, bénéficier d’un financement de l’université. Nous allons aussi travailler cette année sur le complément de diplôme qui permettra, en parallèle au diplôme, d’acquérir d’autres aptitudes : intégrer un club, organiser une manifestation, travailler dans une association… Nous voulons formaliser ces efforts dans un complément de diplôme qui enrichira le CV et qui sera signé par le président ou le doyen. C’est un plus pour l’étudiant qui gagne ainsi en confiance, en socialisation.

Vous avez à cœur d’encourager la recherche qui, dites-vous, est la deuxième mission principale de l’Université de Mohammed V-Souissi. Qu’entendez-vous par là ?
C’est en tout cas une mission à laquelle je tiens beaucoup. Le classement des universités dans le monde se fait sur la recherche. C’est le nombre de publications, de brevets, de projets de recherche, qui fait la différence. J’encourage mes collègues à faire plus de recherche et à transformer le potentiel que nous avons. Nous avons déposé cette année, entre le mois d’avril et celui de juillet, 7 brevets dans le domaine de la santé et des technologies ! C’est le résultat des efforts consentis dans ce domaine depuis 2010 et je sais que l’on peut faire plus, car nous avons un grand potentiel. Faire plus, c’est encourager les chercheurs à aller vers plus de production scientifique, à publier, c’est faire un travail de proximité avec les chercheurs, c’est capter l’importance du travail pour le rendre brevetable. Tous les doctorants doivent publier des travaux de qualité dans des revues indexées avant de soutenir leurs thèses. C’est une obligation. Notre université a financé une soixantaine de projets et c’est pour moi un motif de fierté et de satisfaction. C’est aussi le résultat de plusieurs actions entreprises pour le rayonnement de notre université en termes de développement de la recherche fondamentale et de la recherche appliquée, en termes de réorganisation des structures et des laboratoires de recherche, de mise en place d’un label de reconnaissance des pôles d’excellence de l’université dans les domaines de la santé et des sciences humaines, d’implication dans les programmes de recherche nationaux et internationaux, etc.

Toutes les universités européennes bénéficient du programme Erasmus qui permet une grande mobilité aux étudiants. Qu’en est-il au Maroc ?
La mobilité existe. Les médecins en spécialité, par exemple, font six mois de stage à l’étranger en France, en Belgique... Idem pour le pôle de technologie. Près de 15% des étudiants en dernière année vont à l’étranger faire des stages. Nous sommes, d’autre part, partenaires d’un projet «Mare Nostrum» de mobilité entre le Maghreb et l’Europe. C’est pour nous un des leviers du développement de notre université qui reçoit aussi des étudiants étrangers.

Un vœu pour 2013 ?
Mes vœux sont pluriels : continuer sur notre lancée, renforcer les expériences réussies, structurer la coopération internationale, car nous avons déjà quelque 350 conventions signées, mettre en place ce complément de diplôme, créer un bureau des admissions, une sorte de guichet unique pour toutes les filières, qui accompagne l’étudiant durant tout son cursus, gagner le pari de l’ouverture sur l’entreprise, la recherche... il y a encore beaucoup de choses à faire et nos chantiers sont nombreux ! Nous nous y impliquons, car il y va de l’avenir de notre jeunesse !

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