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«La diplomatie territoriale comme levier de développement régional»

Entretien avec Taoufiq Boudchiche, directeur du Pôle coopération internationale et promotion économique de l’Agence de l’Oriental

«La diplomatie territoriale comme levier  de développement régional»
Taoufiq Boudchiche, directeur du Pôle coopération internationale et promotion économique de l’Agence de l’Oriental

Du 4 au 8 décembre, la sixième édition d’Africités se tiendra à Dakar sous le thème : «Construire l’Afrique à partir de ses territoires, quels défis pour les collectivités locales ?» Ce sommet réunira quelque 5 000 participants, ministres, autorités locales, élus locaux, responsables des administrations centrales et locales, ONG, syndicats, opérateurs économiques chercheurs universitaires, toutes ces forces et corps intermédiaires qui font la richesse de l’Afrique. La précédente édition s’était tenue à Marrakech du 16 au 19 décembre 2009 sous le thème de «la promotion du développement local durable et l’emploi». 

En 2013, à Rabat, où est établi le siège de la CGLUA, aura lieu le IVe Congrès mondial des Cités et gouvernements locaux unis qui réunira quelque 3 000 maires du monde entier. Dans ce contexte, on mesure l’importance de la diplomatie territoriale, l’ouverture de la région étant considérée comme un enjeu stratégique de développement. Cette diplomatie regroupe l’ensemble des actions de coopération internationale menées par convention par les collectivités territoriales. Ces actions peuvent prendre des formes diverses comme les jumelages, les «jumelages-coopération», les programmes ou projets de développement, les échanges techniques, les actions de promotion économique qui seront développées à Dakar du 4 au 8 décembre… Exemple de diplomatie territorial, celui de l’Agence de l’Oriental, que nous décrypte Taoufiq Boudchiche.

Le Matin : Il y a, dites-vous, nécessité aujourd’hui de dépasser les approches traditionnelles de l’espace, telles que développées par des économistes comme François Perroux ou Samir Amin, qu’entendez-vous par là ?
Taoufiq Boudchiche : L’économie nationale a toujours servi de référence aux théoriciens du développement depuis les origines de la science économique. Mais depuis un quart de siècle, de nombreux travaux ont montré l’introduction de l’espace pour la compréhension des phénomènes économiques. L’économie territoriale renverse la problématique en s’intéressant à la construction par les acteurs locaux de systèmes locaux de relations économiques, vecteurs de trajectoires de développement spécifiques dans un contexte de mondialisation et de globalisation de l’économie. Ce que certains appellent la globalisation. Ce qui est intéressant c’est de comprendre comment l’économie globale s’enracine de multiples manières dans les structures territoriales historiques, comment le global en permanence se nourrit du local en le transformant et comment il faut construire des médiations entre les macro-tendances de l’économie mondiale et les dynamiques territoriales. Les tenants de l’économie de l’innovation ont enrichi les concepts sur le développement territorial en mettant en valeur l’importance de la proximité et du jeu des acteurs comme facteur de création et de diffusion des technologies.

Qu’est-ce qui change avec cette proximité et quelles en sont les conséquences ?
En mettant en œuvre des stratégies de développement basées sur les effets d’agglomération, de proximité et de coopération entre entreprises, universités locales, centres de recherches, institutions régionales, les conditions deviennent favorables à l’innovation et à la création de richesses. Cela explique l’importance au niveau des stratégies de développement régional qu’occupent les aires métropolitaines, les districts industriels, les vallées, les corridors, les routes et les parcs industriels. Il a été mis en lumière que le passage à un capitalisme intensif en connaissance dépasse la stratégie individuelle des firmes, car il implique la mise en place au niveau régional d’un certain nombre d’éléments, infrastructures et autres intrants sur lesquels les entreprises peuvent s’appuyer. La nature de cette transformation fait de la Région l’élément clé de la globalisation. Certains auteurs évoquent alors l’émergence de régions intelligentes en parlant de proximité, de transversalité, de processus d’apprentissage...

On dit alors que le territoire devient lui-même un acteur, un levier de développement et l’on parle d’attractivité de ces territoires ?
L’accumulation des connaissances dans les territoires, la mise en réseau de ces derniers avec l’environnement interne et externe, la coopération entre les acteurs et les effets de proximité et d’agglomération s’érigent comme des principes directeurs dans les stratégies de développement régional. Avec ces nouvelles approches du développement territorial, les territoires ne sont plus simplement des espaces passifs d’accueil des projets, de simples réceptacles de projets, mais deviennent acteurs de leur propre développement. L’accent est désormais mis sur la capacité des acteurs locaux à identifier puis à développer des ressources spécifiques au territoire, susceptibles de s’inscrire dans les marchés internationaux. Ainsi, pour ne citer que les exemples les plus connus, en France on développe des pôles de compétitivité. Au Royaume-Uni on met en place des clusters et on généralise les agences de développement régional. En Italie, on installe des districts industriels. Dans les pays asiatiques, on se concentre sur les villes métropoles autour des ports et leur hinterland. Des synergies et des interactions se créent entre le développement économique international libéral, caractérisé par les forces de la mondialisation, et le développement territorial local durable. C’est à la lumière de ces synergies et interactions qu’il convient de situer les multiples initiatives locales de coopération entre élus, société civile, universités, Chambres de commerce, patronat, corps professionnels, etc., le plus souvent dans le cadre d’une grande autonomie d’initiative et d’action.

Ce que certains appellent la «glocalisation», l’interaction entre le global et le local est devenue une tendance lourde des relations internationales et explique par exemple l’importance donnée à la coopération décentralisée ?
Ces échanges nourris par la mondialisation et l’ouverture économique ont enrichi l’action locale et, à mon avis, représente une tendance lourde des relations internationales actuelles et à venir. Cette «diplomatie territoriale», ces échanges sont en train de façonner les relations diplomatiques entre les nations et les territoires qui les composent. Au Maroc, la diplomatie territoriale a donné lieu ces dernières années à plusieurs rencontres et forums qui ont rencontré un succès indéniable. Pour ne citer que les plus récents, le sommet «Africités», par exemple, a réuni en 2009 à Marrakech plus de 3 000 participants représentant les villes et gouvernements locaux africains. En ont résulté, plus d’une centaine de jumelages entre collectivités locales africaines et autant de projets de coopération, parfois triangulaires, deux collectivités locales de deux pays africains avec celle d’un pays du Nord. La prochaine édition aura lieu du 4 au 8 décembre à Dakar, avant le Sommet mondial des Cités qui aura lieu en 2013 à Rabat. Plusieurs régions et collectivités locales (communes, rurales et urbaines) marocaines sont actives au sein de structures internationales qui encouragent et fédèrent la coopération territoriale, comme l’Association des Cités unies et gouvernements locaux, l’Association internationale des maires francophones (AIMF), l’Association internationale des régions francophones (AIRF), dont l’action internationale n’est pas négligeable en termes de mise en réseau international des collectivités locales et en termes d’influence sur les relations diplomatiques de manière générale.
Notons enfin que la diplomatie territoriale «gagne du terrain» dans les relations internationales, car elle s’intéresse au premier chef aux questions d’ordre économique, social et culturel, au plus près des besoins des populations. Les questions d’ordre politique sont laissées à la diplomatie nationale. La régionalisation au Maroc, associée à l’ouverture économique du Royaume à la faveur des accords de libre-échange avec l’Europe (Statut avancé), les États-Unis (ALE), la Turquie et les pays arabes (accord d’Agadir) constituent des facteurs accélérateurs de la coopération entre les territoires.
Par exemple, dans le cadre de l’accord avec l’Union européenne, les relations entre les entités territoriales sont fortement encouragées. Aussi, est-il important de mettre en place des stratégies de promotion de la diplomatie territoriale, à la fois pour leur offrir un cadre d’encouragement et pour les intégrer à la diplomatie nationale.

Le futur grand chantier au Maroc, c’est précisément la mise en œuvre du Projet avancé de régionalisation. En quoi le développement régional au Maroc offre-t-il des perspectives pour la diplomatie territoriale ?
Le Maroc, qui a opté pour la régionalisation dès 1992 en érigeant la région en collectivité locale et ensuite par la loi sur la régionalisation promulguée en 1997, a consacré la reconnaissance du fait économique régional. Depuis juillet 2011, il y a eu l’adoption de la nouvelle Constitution et l’instauration de la région comme pivot de l’organisation territoriale du Royaume (article 1 de la Constitution). La mission économique des régions est de plus en plus consacrée et se retrouve dans les attributions du conseil régional qui a pour mission d’élaborer le plan de développement économique et social de la région, le PDSER. La prochaine loi organique attendue du gouvernement élu en novembre 2011 sur la régionalisation avancée consacrera une quatrième phase dans le processus de régionalisation en s’inspirant des propositions de la commission sur la régionalisation avancée. Ces propositions si elles sont adoptées par le gouvernement vont permettre au Conseil régional d’acquérir plus d’autonomie et de responsabilité. Il sera l’ordonnateur du budget de la Région et aura à sa disposition une agence régionale d’exécution des projets avec un transfert de ressources notamment à travers la fiscalité locale en adéquation avec le transfert de compétences.

Quelles sont les conséquences de cette évolution, de cette diplomatie des territoires ?
La régionalisation avancée apportera une plus grande autonomie aux autorités élues et autorités locales. Vu les apports de la coopération décentralisée aux échanges entre territoires dans un contexte d’ouverture économique, il est évident que les relations entre entités territoriales au plan national et international auront tendance à se développer. Dans les pays développés, les territoires se sont dotés de manière générale de compétences, de cellules, voire de départements dédiés à la promotion de la coopération internationale. Au Maroc, encore peu de collectivités locales se sont dotées de structures ou de compétences en la matière. La coopération internationale est gérée le plus souvent de manière ad hoc. Les élus locaux sont peu formés aux subtilités des relations internationales. Ils confient en général cette action à l’autorité locale qui n’est pas toujours équipée pour tirer avantage des opportunités offertes par les mécanismes de la coopération bilatérale et multilatérale.

Vous êtes directeur de la coopération internationale à l’Agence de l’Oriental et vous avez pris la mesure de cet enjeu stratégique de développement régional il y a quelques années de cela en multipliant les accords interrégionaux avec d’autres pays. Un mot sur cet expérience ?
À l’Agence de l’Oriental, et dès sa création en 2005-2006, nous avons pris la mesure de l’importance des relations internationales en mettant en place en son sein un Pôle de la coopération internationale. Nous avons été aidés en cela par plusieurs facteurs. La proximité géographique : frontière terrestre avec l’Algérie et, par extension, avec les autres pays du Maghreb. Une frontière maritime avec les pays du sud de la Méditerranée (Espagne, France, Italie, etc.). Des liens économiques, sociaux et culturels actifs avec plusieurs régions des pays européens, grâce notamment à la diaspora, dans le cadre, par exemple, de la coopération décentralisée (France, Belgique, Allemagne, Espagne, Italie, Pays-Bas). Autres facteurs favorables : la coexistence de plusieurs langues européennes dans l’Oriental : le français, l’espagnol, le néerlandais et l’allemand sont pratiqués dans la région ; l’existence d’une forte diaspora en Europe : la région est fortement émettrice d’émigration, et ce, depuis le début des années 60. On estime que 30 à 40% de la communauté marocaine établie en Europe est originaire de l’Oriental. Il s’agit d’offrir l’opportunité à cette communauté de contribuer au développement de leur région d’origine. Les échanges avec l’Europe, accueil de touristes européens à la station Mediterranea-Saïdia, deuxième zone d’exportation marocaine de produits frais agro-industriels vers l’Europe, deuxième pôle financier à l’échelle nationale en termes de dépôts bancaires issus de l’émigration, ont favorisé cette inflexion de la coopération internationale, axe stratégique d’intervention de l’Agence.

Le positionnement géographique a favorisé, dites-vous, cette diplomatie territoriale. Comment ?
L’Oriental, territoire de 82 820 km², est devenu par sa diaspora et ses échanges économiques l’une des régions du Royaume les plus connectées à l’Europe. C’est l’une des réalités de la région encore méconnue au plan national et international. On estime qu’entre 800 000 à 1 million d’hommes et de femmes issus de l’Oriental sont à l’étranger, essentiellement en Europe. Si l’on rapproche ce chiffre de celui de la population totale de l’Oriental qui ne dépasse pas 2 millions, nous pouvons mesurer l’importance des liens humains de l’Oriental avec l’autre rive de la Méditerranée. Les estimations statistiques relatives à la diaspora indiquent que 70% des Marocains résidant en Allemagne sont issus de l’Oriental, le même chiffre est avancé pour les Pays-Bas, 60% en Espagne, 50% en Belgique et 30% en France. De même, selon les chiffres disponibles, 25% des flux financiers de la diaspora transférés au Maroc (plus de 4 milliards d’euros en 2007 selon une étude de la Fondation Hassan II pour les MRE) le sont vers l’Oriental. En matière d’import-export, 80% des revenus des produits d’exportation de la région (produits agricoles et agro-industriels) le sont à la faveur des exportations vers les marchés européens. La proximité d’une province aussi importante que Nador de l’enclave occupée espagnole de Melillia génère des courants d’échanges économiques non négligeables dans la région. En attendant la construction du Maghreb arabe, la région a établi des liens forts avec l’Europe. Aujourd’hui, ces liens doivent être capitalisés et intégrés dans une stratégie de développement régional en phase avec le partenariat stratégique recherché par notre pays avec l’Europe et le pourtour méditerranéen de manière générale, et inversement.

Un positionnement géographique qui, conjugué à la volonté et la détermination, a fait de la région un pôle de développement économique. De réceptacle, la région est devenue un acteur de développement ?
La région de l’Oriental a bénéficié de l’Initiative royale de développement de l’Oriental depuis le discours royal d’Oujda en 2003, et s’est dotée de projets structurants pour une pleine intégration dans le tissu économique et social du Royaume, tout en tirant profit de sa proximité géographique avec l’Europe et le Maghreb. Elle se positionne comme un nouveau pôle de développement sur la façade méditerranéenne du Royaume, le pôle MED-EST (Méditerranée-EST), complémentaire du pôle Tanger-Med avec de nouvelles infrastructures routières et ferroviaires : autoroute Fès-Oujda, nouvelle voie de chemin de fer entre Taourirt et Nador, nouvel aéroport à Oujda et Bouarfa ; de nouvelles infrastructures sectorielles : tourisme avec les stations Mediterranea-Saidia et le projet Marchica, industrie : technopôle d’Oujda, agropole de Berkane, technoparc de Selouane à Nador ; des infrastructures sociales : nouvelle Faculté de médecine à Oujda, faculté multidisciplinaire de Nador, futur CHU à Oujda, rénovation du réseau des hôpitaux de la région, modernisation des écoles, nouveaux équipements de base : électrification rurale, eau potable, projets INDH. Ce nouveau contexte du développement régional et cette vision ont motivé l’Agence et l’ont incitée à adopter une «démarche proactive» en matière de coopération internationale. Celle-ci intègre les volets économique, financier et culturel, et agit de manière à tirer le meilleur avantage des accords de coopération économique signés entre notre pays et d’autres espaces économiques, comme l’Accord d’association avec l’Union européenne, l’accord de libre-échange avec plusieurs pays arabes (accord d’Agadir signé à Rabat en 2003), l’accord de libre-échange avec la Turquie et l’accord de libre-échange avec les États-Unis, sachant que la position géographique de l’Oriental et ses potentialités constituent des atouts certains à valoriser dans le cadre des échanges économiques générés par ces différentes coopérations.

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