La «crise des subprimes» s’est très vite étendue à l’ensemble des secteurs d’activité : le marché boursier, le système bancaire et financier dans son ensemble, l’économie réelle et le volet social. La mondialisation et la circulation de l’information en temps réel ont permis à la crise de prendre des proportions planétaires inquiétantes et dévastatrices». Qu’en est-il du Maroc et comment le système bancaire marocain a-t-il servi d’édredon à la crise ?
Le Matin : Quelles sont les conséquences de la crise financière mondiale sur wle Maroc ?
Tayeb Rhafés : Lorsque l’on décortique la crise financière mondiale, on se rend rapidement compte que le Maroc a été résilient. Les taux de croissance réalisés en 2007, 2008 et 2009 confirment que le Maroc a réussi en partie à circonscrire le tourbillon et à réduire ses effets sur son économie. Les taux de croissance du Maroc ont été de +2,7% en 2007 de 5,6% en 2008 et de 5,7% en 2009. Ces performances, dans une situation internationale difficile, doivent être soulignés, surtout lorsque l’on a présent à l’esprit deux éléments importants. Le Maroc n’est pas producteur d’hydrocarbures et ne bénéficie donc pas de rente de situation. L’économie marocaine est tout à fait intégrée à l’économie internationale, elle subit par conséquent, de plein fouet, les effets de tous les changements qui affectent celle-ci. La grave crise actuelle devait donc avoir un impact sur le Maroc et son économie.
Une intégration à l’économie internationale, mais surtout à l’économie de l’UE qui est entrée en récession. Quelles en sont les conséquences pour notre pays qui n’était pas suffisamment préparé en interne à cette ouverture ?
Il faut rappeler sans doute quelques données chiffrées pour prendre la mesure du partenariat privilégié entre le Maroc et l’Union eurowpéenne. Près de 70% des échanges extérieurs dans les deux sens s’effectuent avec l’Union européenne. Cet ensemble économique est également le premier investisseur et par conséquent le premier associé pour la création des richesses et des emplois dans le pays. Dans le panier de monnaies qui composent le cours du dirham marocain, l’euro occupe une place privilégiée, soit près de 70% du total. L’analyse des statistiques indique également que l’aide extérieure dont bénéficie le Maroc pour promouvoir son développement est fournie fondamentalement par les pays de l’Union européenne. Il convient de rappeler aussi que près de trois millions de ressortissants marocains résident dans les différents pays de l’Union européenne. L’essentiel de cette population est composé de travailleurs qui exercent leurs activités dans l’Union européenne. Les transferts effectués par les résidents marocains à l’étranger (RME) constituent la seconde source pourvoyeuse de devises pour le Maroc après le secteur du tourisme. Pour les six premiers mois, le Maroc a enregistré un apport de 27 milliards de dirhams. Les relations économiques privilégiées du Maroc avec l’Union européenne lui ont permis d’obtenir sur le plan politique la position du Statut avancé avec tous les atouts que cela comporte.
Vous l’avez rappelé, l’Union européenne traverse actuellement l’une des crises les plus graves de son histoire avec toutes les conséquences dévastatrices qui en découlent. Ce séisme devait avoir des prolongements sur un pays comme le Maroc avec des effets analogues, compte tenu de l’importance des relations qui lient les deux partenaires. Il faut aussi rappeler que l’intégration de l’économie marocaine à l’économie internationale est également illustrée par les accords de libre-échange qu’il a signés, d’une part, avec les États-Unis et, d’autre part, avec l’Égypte, la Jordanie et la Tunisie. Ce dernier accord a vocation à être élargi à d’autres pays du Moyen-Orient et du Maghreb.
Le Maroc est d’autre part membre à part entière de l’OMC, organisation qui s’assigne comme objectif fondamental la libéralisation des échanges commerciaux internationaux et donc de supprimer tous les obstacles qui s’y opposent. L’ouverture de l’économie marocaine et sa forte intégration à l’économie internationale l’exposent tout naturellement aux risques générés par les situations de crise.
Selon vous, quels sont les éléments les plus importants qui se conjuguent pour permettre à l’économie marocaine une certaine résilience, même si le contexte devient de plus en plus difficile ?
Une analyse attentive de l’économie de ce pays fait ressortir qu’il y a quatre données fondamentales qui ont contribué à cette résilience, constituant une protection relativement efficace contre les séquelles de l’ouragan qui étend son emprise sur la planète : l’efficacité du système bancaire marocain, la diversité de l’économie marocaine, la stratégie économique du Maroc durant la dernière décennie et la pluviométrie.
Quelle analyse faites-vous du système bancaire marocain face à la crise ?
Le système est sain et performant. Ce constat est fait à la suite de comparaisons avec d’autres systèmes bancaires des pays émergents. Depuis sa création dans la décennie 50/60, après l’accession du pays à l’indépendance, le système bancaire marocain n’a connu aucune crise grave de nature à remettre en cause sa pérennité. À l’exception d’un établissement public qui a traversé une forte zone de turbulence, ce qui a conduit à son absorption par un autre établissement, à part ce cas, aucune banque n’est tombée en faillite au Maroc. En un mot, le système bancaire et financier marocain n’a pas connu les dérives que de nombreux systèmes bancaires dans les pays en développement ont dû affronter et souvent avec des conséquences dévastatrices.
Le second trait caractéristique du système bancaire marocain est constitué par sa performance. Toujours comparée à d’autres systèmes exerçant leurs activités dans les mêmes conditions : les économies émergentes. Le tissu industriel du Maroc a pu émerger et irradier parce qu’il a bénéficié des concours financiers des banques à toutes les phases de son développement.
La performance des banques marocaines se mesure aussi au dynamisme dont elles ont fait preuve dans la politique de développement de leur réseau d’agences. Cela leur a permis de collecter l’épargne par l’extension de l’espace bancarisé et répondre ainsi aux attentes des agents économiques : entreprises et ménages qui expriment des besoins de financement. Les banques, il est vrai, dégagent des profits relativement importants. Les ressources sécrétées par l’activité bancaire permettent aux établissements de crédit, d’une part, de rémunérer les actionnaires et, d’autre part, de financer le développement de leurs réseaux d’agences. Tout cela contribue à développer et à pérenniser le climat de confiance dont sont investis les établissements de crédit.C’est une condition sine qua non pour le progrès de la bancarisation, l’accroissement des ressources sous forme de dépôts qui finance le développement économique et social du pays. Actuellement, le taux de bancarisation ne dépasse guère 35%. Cependant, l’important développement des réseaux d’agences au cours des dernières années et son intensification dans le cadre d’une vive compétitivité interbancaire, tout cela est en passe de changer la donne et, par conséquent, le taux de bancarisation est appelé à s’accroître sensiblement dans les prochaines années.
Après avoir consolidé leur position sur le plan national, les banques marocaines ont élargi leur champ d’activité à l’international. Dans quelle direction ?
Les grandes banques marocaines ont orienté leurs efforts d’implantation dans deux directions privilégiées : les pays de l’Union européenne : France, Allemagne, Espagne, Hollande, Belgique et Italie. L’objectif fondamental que s’assignent les établissements bancaires marocains est d’accompagner et de répondre aux attentes des ressortissants marocains exerçant leurs activités dans ces pays. Rappelons, encore une fois, qu’il s’agit de la seconde source pourvoyeuse de devises après le tourisme.
La seconde direction privilégiée des banques marocaines dans leur développement à l’international est l’Afrique subsaharienne. Deux raisons semblent justifier ce choix qui se présente sous de bons auspices.
Les systèmes bancaires nationaux dans certains pays d’Afrique subsaharienne présentent des déficiences qui les empêchent de répondre aux besoins exprimés par les agents économiques, entreprises et ménages, en matière de financement, ce qui est de nature à compromettre le développement économique et social de ces pays.
Le Maroc a décidé sur le plan politique et économique, sur le plan public et privé, d’accorder une attention particulière à l’Afrique subsaharienne, de développer et d’intensifier ses relations sous toutes leurs formes avec cette partie du continent, promise à un avenir porteur et riche en possibilités.
Certaines grandes banques marocaines ont créé des réseaux d’agences dans vingt pays d’Afrique subsaharienne. La BMCE Bank et Attijariwafa Bank acquièrent une place au premier plan dans ce développement international. L’action des banques marocaines est appelée à s’intensifier dans cette zone. Elles commencent à entraîner dans leurs sillages des entreprises qui exercent leurs activités dans d’autres secteurs : routes, autoroutes, construction.
Quels sont les facteurs qui ont permis au système bancaire marocain d’évoluer sans accident de parcours grave ? Est-ce le fait de ne pas être suffisamment ancré dans le système financier mondial ?
Je ne partage pas cet avis. Le bilan globalement positif inscrit à l’actif des banques marocaines est le résultat de l’action conjuguée de trois éléments. La Banque centrale, Bank Al Maghrib, a de tout temps mis en place une politique de contrôle de l’activité bancaire très vigilante.
Les banques commerciales savent, dans l’exercice quotidien de leurs activités, qu’il y a un champ dressé par les autorités monétaires qui comporte des lignes rouges à ne pas franchir sous peine de sévères sanctions.
Il s’agit d’éviter à tout prix les dérapages qui remettent en cause les équilibres généraux de l’économie ainsi que les engagements inconsidérés et dangereux qui compromettent la solidité et la solvabilité des banques. Cette politique a toujours été appliquée sans aucune complaisance. Elle a mis le système bancaire à l’abri des crises graves et lui a évité de subir le même sort de beaucoup de systèmes financiers dans les pays en développement. Les banques marocaines n’ont pas été infectées par la crise financière internationale pour une autre raison très importante : la monnaie nationale, le dirham, est non convertible.
Les banques ne peuvent donc pas prendre des engagements sans autorisation préalable de la Banque centrale. Faire des opérations trop risquées sur des produits toxiques ne fait pas partie de l’univers bancaire et financier marocain.
Vous évoquez trois éléments, quel est le troisième élément qui a permis de préserver les banques marocaines du tsunami financier mondial ?
La qualité du management. À de rares exceptions près, il y a toujours au sommet de la hiérarchie des établissements de crédits, des managers compétents dynamiques et performants. Ils ont réussi dans le cadre établi par les autorités monétaires à développer le réseau d’agences et répondre aux besoins exprimés par les agents économiques en matière de financement contribuant ainsi à créer des richesses et générer des emplois dans le cadre d’un développement économique et social sain.
Ils ont également réussi à satisfaire les exigences légitimes des actionnaires en distribuant des dividendes. Ainsi, les actionnaires de ces établissements ont toujours répondu à l’appel chaque fois qu’il s’est agi de renflouer les fonds propres de telle ou telle banque. Le troisième élément qui explique le succès de l’activité bancaire au Maroc a trait aux ressources humaines. À cet égard, on peut affirmer que le secteur bancaire constitue, au Maroc, un secteur leader sans partage en matière de ressources humaines. La formation technique, économique et managériale des hommes et des femmes qui exercent leurs activités dans ce secteur constitue l’une des principales préoccupations des dirigeants des banques. Les banques marocaines consacrent entre 7 et 8% de la masse salariale aux actions de formation. D’autre part, les effectifs des collaborateurs des établissements de crédit totalisent 35 000 salariés. Les statistiques indiquent que près de 70% de ceux-ci ont bénéficié à un moment ou un autre d’une ou de plusieurs formations, formations diplômantes qui permettent aux collaborateurs des banques de préparer, parallèlement à l’exercice de leurs responsabilités, des formations permanentes qui sont de courte durée et qui portent sur des sujets ciblés, mais en rapport avec l’activité de la banque et son environnement national et international.
