Les fêtes foraines marocaines sont des rassemblements populaires où la masse, avide de distractions, s’adonne de bon cœur à la panoplie de jeux et de spectacles fournis par ces véritables fêtes mobiles, qui font le bonheur des enfants, mais également des adultes. Malheureusement, le nombre de ces attractions se voit réduit de jour en jour. Si vous évoquez «aire de jeux» à un enfant aujourd’hui, il vous nommera les parcs d’attractions des grandes surfaces, ou les aires de jeux minuscules, qui se trouvent dans les restaurants «Fast food» des grandes villes, où s’entassent les enfants, le temps que les parents fassent quelques courses.
Qu’elles soient annexées à des «moussems» (fêtes régionales) ou qu’elles s’installent dans les quartiers, durant l’été, les fêtes foraines ont toujours fait partie de la mémoire collective. Les enfants suppliaient leurs parents, pour les quelques pièces de monnaie, qui leur permettraient de monter dans un manège, s’essayer au tir ou assister au spectacle dangereux du «Mur de la mort», ce véritable show, où des motards défient les lois de la gravité. Bien sûr, beaucoup essayaient de se frayer un chemin, pour faire un tour, dans une auto-tamponneuse, ou tout simplement d’assister aux nombreux spectacles de chants ou de danse, où parfois, des hommes déguisés en femmes joignaient le comique à l’artistique. «Jusqu’à l’année dernière, j’emmenais mes deux petits enfants à la fête foraine, insiste Mohamed (65 ans), mais depuis que j’ai entendu parler de cet accident à Safi, j’ai préféré ne plus le faire. Je trouve ça dommage, parce que les enfants adoraient et ça me donnait l’occasion de leur raconter beaucoup d’histoires sur ma jeunesse et celle de leur père, quand je l’emmenais, durant son enfance, aux fêtes foraines.» Cette confession d’un grand-père fait référence à l’accident survenu à Safi, en septembre 2011, et qui avait fait une cinquantaine de blessés, lorsqu’un manège défaillant s’est effondré. Cependant, au-delà de la question sécuritaire, l’on s’aperçoit en faisant une petite recherche que les fêtes foraines attirent de moins en moins de monde. Pis encore, qu’elles disparaissent à vue d’œil.
La culture du spectacle
Paradoxalement, quand une troupe étrangère de fête foraine pose ses bases dans une ville marocaine, ses attractions sont prises d’assaut, par une multitude de gens, en quête de véritable défouloir. Surtout quand il s’agit d’une grande ville qui en manque cruellement. «J’ai travaillé dans une fête foraine à une certaine période, dans les années 90, raconte Said. Nous étions une cinquantaine de personnes vivant de cette activité, sur une période qui s’étalait sur les deux mois des vacances d’été. Malgré le peu d’argent que cela nous faisait, le propriétaire insistait pour qu’on assure le bon déroulement des choses. J’étais chargé de mettre en place les enfants, sur les sièges des manèges. Il s’agissait d’un boulot d’été pour moi, mais le sourire et les yeux étincelants de ces enfants, lorsqu’ils montaient dans mon manège, sont restés gravés dans ma mémoire à tout jamais. La satisfaction du patron était tout aussi palpable.», continue Said, sur un ton nostalgique. «À un certain moment, l’espace où nous nous produisions avait été racheté par un promoteur immobilier et le patron nous a informés que la fête n’aurait plus lieu.», conclut-il tristement. Le manque d’espaces n’est pas seulement la seule cause de la disparition de ces rassemblements itinérants, car les recettes réalisées à travers les attractions et les jeux, à coup de quelques dirhams la partie, ne couvrent plus les dépenses relatives au déplacement et le payement des différentes charges, liées aux autorisations octroyées par le conseil municipal.
«La culture marocaine n’est pas forcément une culture du spectacle, apprend-on auprès du professeur Belhaj, éminent sociologue. Les fêtes foraines, les “halka” (un spectacle improvisé, où les spectateurs forment un cercle autour de l’artiste) et autres distractions du genre ont été remplacés par la télévision. Ces formes de divertissement subsistent dans les campagnes, où les souks (marchés hebdomadaires) et les “moussems” rythment la vie de la population rurale. Mais même là, les gens sont attirés de moins en moins vers ces spectacles, pourtant présents, depuis longtemps, dans la mémoire collective. C’est d’autant plus triste que personne n’essaye de remédier à cette perte de patrimoine», conclut-il.
S’il est vrai que la fête foraine marocaine ressemble peu à celles que l’on voit à la télévision, provenant des pays occidentaux et qui sont de véritables institutions, organisées comme une réelle industrie du spectacle, nos fêtes foraines n’ont rien à leur envier du point de vue de l’assurance du spectacle et de la transmission de la mémoire culturelle collective. À bon entendeur !
