Indifféremment des budgets, les consommateurs cherchent pendant tout le Ramadan à garnir une table de «ftour» où la même équation revient chaque jour : le maximum d’apports nutritifs et le minimum de dépenses. Dans l’éventail des produits alimentaires les plus consommés, les viandes blanches tiennent la vedette car très prisées en cette période particulière. La volaille constitue, en effet, une alternative quasi incontournable pour une large partie de la population. Ce type de viande représente ainsi 52% de la consommation totale des viandes toutes catégories confondues. Seul bémol : les Marocains en consomment à peine 17,2 kg par an et par tête, même lorsque les prix en sont nettement moins chers que ceux des viandes rouges ou des poissons et fruits de mer. D’après une étude publiée en mars dernier par l’Observatoire de l’entrepreneuriat, ce marché est certes soumis à la loi de l’offre et de la demande, mais une non-régulation de la production amène souvent les producteurs à vendre leurs poulets à perte.
C’est que le secteur avicole dispose d’un fort potentiel, mais reste confronté à des défis majeurs.
Depuis une vingtaine d’années, ce secteur connaît un développement soutenu. Il a ainsi généré quelque
110 000 emplois directs et 250 000 emplois indirects et connaît depuis quatre ans un taux de croissance moyen de 7,4% en termes de production de viandes et 5,7% pour les œufs de consommation. C’est ce que révèlent les données actuelles de la Fédération interprofessionnelle du secteur avicole (FISA). L’année dernière, la production de viandes de volaille a atteint 516 955 tonnes, en hausse de 1,4% par rapport à 2010. L’accroissement de la demande est la raison principale de cet essor, car les produits avicoles sont consommés par l’ensemble de la population, toutes couches sociales confondues. L’étude précitée atteste que depuis le début des années 70, le prix moyen de vente du poulet de chair n’a évolué que de 2,5% seulement en moyenne par an. Le prix de vente d’œufs de consommation a, lui aussi, peu évolué, environ 3,5% durant la même période.
Les aviculteurs veulent plus
Cependant, et en dépit de l’importance de ce marché dans le tissu économique, il convient de souligner que le secteur traditionnel (fermier) fournit le marché à hauteur de 87%. Cette proportion s’explique par les problèmes structurels qui fragilisent ce secteur, notamment ceux qui sont liés à la chaîne de distribution et de commercialisation. Les difficultés d’approvisionnement en aliments de volaille, les délais d’attente devant les sites d’abattage et la qualité du transport (densité de chargement des caisses, distances, températures…), sans oublier que la vente du poulet vif reste le maillon faible dans ce processus. L’étude de la FISA précise ainsi que «L’abattage demeure archaïque et se pratique généralement dans des abattoirs artisanaux (dits «riachas»). Ce système assure à peine 50 000 tonnes/an, fonctionnant ainsi à seulement 15% de sa capacité potentielle.
Les professionnels ne peuvent se permettre d’investir dans la formation continue de leur personnel ou encore dans des actions de marketing permettant de développer davantage leur activité et assurer le développement du secteur». Actuellement, seuls 23 abattoirs industriels modernes existent à travers le pays et eux seuls répondent aux normes techniques et d’hygiène requises car équipés en moyens de transport des viandes tout à fait adéquats. Mais les problèmes du secteur avicole ne tiennent pas évidemment aux seuls soucis d’hygiène. Les aléas climatiques y sont aussi pour quelque chose. Que l’on se rappelle, à cet effet, la vague de chaleur qui a sévi il y a quelques semaines sur le Royaume, infligeant des pertes énormes aux producteurs. Quelque 131 millions de DH ont ainsi été perdus en seulement quatre jours de chaleur (du 24 au 28 juin dernier).
Près de 55 millions de DH de pertes sont imputés directement à la mortalité des volailles et 76 millions de DH à cause des chutes de performances au niveau de l’outil de production. Pour corser le tout, un récent communiqué de la FISA révèle combien les marges deviennent difficiles pour les industriels du secteur du fait de la hausse vertigineuse des prix des intrants à l’importation (maïs et soja notamment) qui entrent dans la fabrication des aliments destinés aux volailles à hauteur de 90%.
Les opérateurs supportent, selon la FISA, des hausses de 1,40 DH/kg de poulet, 1,73 DH/kg de dinde et 0,15 DH/œuf, et ce, en lieu et place du consommateur pour ne pas répercuter la hausse sur le marché. «Le volume des pertes au niveau des élevages est de plus en plus important, au point même où les éleveurs éprouvent des difficultés à honorer leurs engagements financiers vis-à-vis de leurs fournisseurs», insiste-t-on auprès du groupement des aviculteurs. Pour atténuer la crise qui affecte ce secteur, l’État a pris, il y a quelque temps, des mesures d’accompagnement afin de maintenir de bons niveaux de productivité et de compétitivité, notamment à travers la réduction des droits d’importation au taux minimum (2,5%) sur la quasi-totalité des matières premières, la mise en œuvre de la loi 49.99 relative à la protection sanitaire des élevages avicoles, le contrôle de la production et de la commercialisation des produits avicoles et aussi la subvention d’un certain nombre d’équipements destinés aux élevages avicoles.
Cette implication des pouvoirs publics est malgré tout considérée aujourd’hui insuffisante par la profession qui réclame encore plus. Khair-Eddine Soussi, un des membres influents de la FISA, espère ainsi que l’État parviendra vite à pallier le problème du butoir de la TVA qui, selon la Fédération, fait perdre à la profession un montant de 450 millions de DH. Les revendications des aviculteurs portent notamment sur le remboursement de crédits de TVA.
En fait, l’acquisition des intrants est imposée à 20% tandis que la facturation des produits est opérée à 7% de TVA, ce qui représente, selon la FISA, un différentiel de 13% supporté par les entreprises avicoles. Cette autre batterie de problèmes, d’ordre purement fiscal, s’ajoute donc aux aléas climatiques et aux déficiences sanitaires. Mais cela n’exonère pas les industriels de la filière par rapport à un devoir de réorganisation et de restructuration, condition essentielle pour répondre aux besoins du marché et donc aux attentes du consommateur.