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Enfants de couples mixtes : quelle appartenance ?

Ils ont tous vingt ans, soit l’âge où on entame sa vie d’adulte et où l’identité commence à se forger. Mais la définition que se font ces enfants de parents marocain et étranger par rapport à leur appartenance à l’un et l’autre des deux pays débouche sur des profils variés.

Enfants de couples mixtes : quelle appartenance ?
L’identification d’un enfant à la culture ou au pays de l’un ou l’autre des parents n’est jamais définitive.

Le cliché veut que les enfants de couples mixtes soient doués d’une certaine ouverture d’esprit. «Le fait de vivre, et donc de réfléchir, dans deux cadres culturels, voire linguistiques différents permet de développer un esprit critique et une prise de recul par rapport aux choses, explique Selma, née d’un père marocain et d’une mère allemande. Comme on n’a pas un référentiel culturel et idéologique unique, on n’est ni tout à fait ceci, ni tout à fait cela. On se fait sa sauce, son propre mode de pensée». Cela n’est, on le verra, pas toujours leur cas, tout comme la diversité de la culture se forge aussi du fait de voyages, de rencontres ou d’éducation, sans avoir à naître de deux parents aux nationalités différentes : Selma en est elle-même consciente.


La particularité des enfants de couples mixtes est qu’ils subissent cette diversité. Ceux qui disent aux Marocains qui vont s’installer à l’étranger et qui donc choisissent la diversité qu’ils «resteront toujours Marocains» diront de la même manière des enfants de couples mixtes qu’ils «resteront toujours enfants de couples mixtes» : même quand ils sont dans le pays où ils ont grandi, ils sont susceptibles d’être physiquement pris pour des étrangers, s’ils ne se sentent pas eux-mêmes étrangers. Notre enquête atteste du fait que le facteur qui définit vraiment une personne, qu’elle soit enfant de couple mixte ou pas, est l’environnement dans lequel elle grandit, voire l’éducation à laquelle elle est sujette et ceux-ci ne sont pas nécessairement liés au milieu géographique.

Plutôt étrangère dans le pays où elle a grandi
Maria est née d’un père marocain et d’une mère française. Elle a vécu au Maroc jusqu’à l’obtention de son bac : «J’étais dans une école française. Même si la majorité des élèves étaient Marocains, je me reconnaissais dans la plupart : ils partageaient les deux mêmes cultures que moi, donc ça a été assez simple.» Elle se sent néanmoins un peu étrangère par rapport au reste du pays : «on est un peu décroché de la réalité marocaine, où c’est parfois plus dur de s’intégrer.
Mais heureusement, je ne me suis jamais sentie rejetée ou quoi que ce soit». Sur le plan physionomique, les taches de rousseur et les yeux clairs de Maria lui donnent plus l’air d’une Européenne que d’une Maghrébine. Bien que née d’un père marocain, elle avoue ne pas parler couramment l’arabe et être généralement prise pour une Française au Maroc. En France, cela dépend : «Là-bas, si je ne le dis pas, les gens ne remarquent pas que je suis mi-Marocaine.

Mais une fois que je le dis, du coup, je suis celle qui vient du Maroc...» Néanmoins, elle admet se fondre dans la masse d’une manière plus aisée en France, même si un soupçon demeure : «On se sent toujours un peu différent : le fait d’être partagé entre deux pays, d’être toujours loin d’une partie de sa famille...». Sa bi-nationalité lui confère aussi la possibilité de choisir dans quel pays elle veut habiter. Sans surprises, même si elle conteste une préférence quelconque, elle se voit pour l’instant vivre en France : «Je pense que je débuterai ma vie professionnelle en France, puis une fois que j’aurais un peu d’expérience, je ne sais pas... je pense que j’hésiterais. Ça dépendra de ma vie sentimentale j’imagine.»
Blonde aux yeux bleus et Marocaine Selma, quant à elle, vit toujours au Maroc, elle ne connaît donc quasiment de l’Allemagne que sa ville de naissance, où habite une grande partie de sa famille maternelle, et où elle part en vacances une fois par an. Comme pour Maria, son physique fait très européen : «Si on s’arrête aux apparences, on va plus me prendre pour une non-Marocaine au Maroc.

Ça change en allant un peu plus loin (si je parle en arabe par exemple).» Elle dit donc vouloir rester dans le pays où elle a vécu : «C’est au Maroc où j’ai grandi : j’ai évolué dans un système éducatif bilingue, puis français, puis à nouveau marocain (à la faculté). Je me sens donc plus liée aux problématiques de la société marocaine que celles de la société allemande. Après, on ne sait jamais où la vie nous mène.» Mais cela ne veut pas dire qu’elle rejette l’Allemagne : «L’environnement nous demande beaucoup de “trancher”, de nous mettre dans un camp, de “choisir” : de là peuvent surgir des problèmes de loyauté, etc. Honnêtement, je ne sais pas trop ce que ça veut dire, être marocaine ou allemande. Je pense que le mieux est de ne pas chercher à se définir à tout prix, on est ça et ça (et non pas ça ou ça).» Il est donc impossible pour elle aussi de lister ce qui lui plaît dans chacune des deux contrées : «À mon avis, les enfants de couples mixtes aiment leurs pays de la même manière que les enfants mono-nationaux, c’est-à-dire un sentiment d’appartenance à une large communauté partageant un passé et un présent commun. En vivant au Maroc, je ne peux pas dire “j’aime ci, j’aime ça” ou “j’aime vivre sous le soleil...” J’aime le Maroc parce que c’est le Maroc, une partie de moi où je vis et à laquelle je tiens. Pour l’Allemagne, je vais avoir un regard un peu plus “touristique”, mais pas complètement parce que c’est aussi une partie de moi.»

Plutôt indifférents ou inconscients de leur diversité
Ibtissem a des origines libanaises du côté de son père. Elle a déjà voyagé au Liban, mais n’y a jamais vécu. Elle se définit comme Marocaine à 100% et avoue être plutôt indifférente à ce brassage culturel : «Le Liban n’est pas vraiment présent dans notre foyer familial. Ce n’est que quand on voyage qu’on se souvient du fait qu’on vient aussi de ce pays». Le cas inverse existe aussi, surtout pour ceux qui vivent à l’étranger. Beaucoup de leurs parents possèdent leur propre domicile au Maroc où ils viennent passer plus ou moins régulièrement leurs vacances d’été. C’est le cas de Bachir, né d’une mère française.
Celui-ci ne parle pas un mot d’arabe, et considère le séjour comme étant du pur tourisme plutôt qu’un retour aux sources. N’ayant pas vraiment d’attaches dans le pays de son père, il s’y sent seul et passe le plus clair de son temps dans sa chambre, remplie de jeux vidéos et de DVD ramenés de France. Ghalia, une autre Franco-Marocaine dans la même situation, montre elle moins de désintéressement.

Le Maroc est pour elle synonyme d’aventure, elle essaie de tisser des liens dans le quartier où elle séjourne : elle s’y est fait plusieurs amis avec lesquels elle garde le contact le reste de l’année, et y a même vécu des histoires d’amour.
Elle avoue néanmoins avoir une préférence nette pour le pays où elle a grandi : «Je suis loin d’être satisfaite de la condition féminine actuelle du Maroc. Mais si j’étais un homme, je me serais installé au Maroc sans hésiter !» 


questions à : Loubna Lemseffer, psychologue

«Un enfant équilibré pourrait profiter des avantages de chaque pays»

Est-ce que les enfants de couples mixtes bénéficient d’office de la richesse culturelle et idéologique de leur brassage ou pas ? Pourquoi selon vous ?
La richesse culturelle et la construction psychique et identitaire d’un enfant issu d’un couple mixte dépendent de la nature de ce qui est transmis. Si dès le départ, les parents offrent à leur enfant un système de pensée ou d’existence ouvert sur le monde, et lui transmettent les deux cultures de manière équilibrée, cela sera très enrichissant pour lui. Si ce n’est pas le cas, cet enfant, afin d’éviter des conflits identitaires, pourrait pencher pour l’un ou l’autre de ses parents ou pour aucun des deux.

Est-il possible qu’un enfant de couple mixte puisse pencher vers un des deux pays parce qu’il est plus proche de la mère ou du père ? Peut-il aussi préférer un pays par intérêt (parce qu’il s’agit du plus développé par exemple) ?
L’identification d’un enfant à la culture ou au pays de l’un ou l’autre des parents n’est jamais définitive et va dépendre de certaines données qui interviennent à un moment donné de sa vie (l’âge, les façons de voir le monde, l’entourage, les circonstances, ses propres expériences dans chaque pays...). Cela peut aussi varier en fonction des relations qu’il entretient avec son père ou sa mère et qui peuvent changer en fonction de l’évolution de l’enfant. Concernant la préférence pour un pays, un enfant équilibré psychiquement pourrait profiter des avantages de chaque pays par intérêt ou en fonction de ses expériences sans perdre son identité biculturelle.

Quel est l’impact de l’éducation des parents sur l’enfant de couple mixte ? La présence d’un choc des cultures au sein du couple ne risque-t-elle pas de toucher l’enfant ?
Les difficultés que rencontrent les parents mixtes sont le choix d’éducation de leurs enfants (école, langue, religion...). La présence de ce choc des cultures peut toucher l’enfant s’ils ne trouvent aucun moyen de dépasser ces conflits. En effet, dans ces cas là, l’enfant se trouve en position de résoudre lui-même ces conflits, d’une part pour une paix familiale, et d’autre part pour construire sa propre identité. Pour les parents, l’important est de choisir ensemble les grandes lignes de l’éducation de leur enfant et que ces accords soient renouvelés au fur et à mesure que l’enfant grandit.
Cette harmonie ne peut être obtenue qu’avec un effort continu de communication et les difficultés de la vie quotidienne, dues aux fonctionnements différents d’une culture à une autre, une fois dépassées, entraînent un enrichissement et maintiennent un équilibre.

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