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L’intervention de l’ambassadeur du Royaume d’Espagne Alberto José Navarro Gonzalez 

J’ai fait le choix de ne pas regarder en arrière, de ne pas lorgner le passé, car nous partageons une longue histoire, souvent tumultueuse. Cette histoire a débuté il y a plusieurs siècles avec les Iberos, les Berbères de la péninsule ibérique et de l’Afrique du Nord, elle s’est renforcée avec la puissance Romaine en Méditerranée. Je n’oublierai pas d’évoquer la présence arabe et musulmane en Espagne pendant huit siècles qui a laissé un bel héritage.

L’intervention de l’ambassadeur du Royaume d’Espagne Alberto José Navarro Gonzalez 
Alberto José Navarro Gonzalez.

 De cette histoire lourde, j’ai retenu le mot du chef du gouvernement Abdelilah Benkirane, que j’ai vu lors de la visite du Premier ministre espagnol M. Rajoy ou lors de la visite des ministres espagnols, et qui m’a dit : «nous partageons une mémoire commune, nous avons une histoire partagée, dans laquelle les choses positives dépassent, de loin, les choses négatives». Ce sont ces choses positives que je garde en tête, car aucun pays n’a autant besoin que l’Espagne d’avoir comme voisin un pays stable et je ne répéterais jamais assez que ce qui est bon pour le Maroc est bon pour l’Espagne, et vice versa. C’est dans cette optique que nous inscrivons nos actifs.

Parmi ces actifs, je rappellerai en premier que nous sommes deux royaumes voisins. Le Royaume d’Espagne est le voisin du Royaume du Maroc et le Royaume du Maroc est le voisin du Royaume d’Espagne et, dans la conjoncture actuelle, il faut rappeler que ce sont les Monarchies qui sont les régimes les plus stables. Nos relations sont nourries par les visites au plus haut niveau, celle du Premier ministre et des ministres, mais aussi celles du Prince héritier d’Espagne qui s’est rendu à plusieurs reprises à Casablanca et à Marrakech, pour l’inauguration du centre Cervantès et au lendemain de l’attentat d’Argana. C’était la première visite d’un futur chef d’État qui a voulu délivrer un message de soutien en ces circonstances difficiles, que l’Espagne a également vécues avec l’attentat de Madrid.

Au-delà de ces actifs, il y a la situation géographique stratégique que nous partageons. L’Espagne est la porte naturelle pour entrer en Europe, et le Maroc est la porte naturelle pour entrer en Afrique et 35% de nos exportations vers l’Afrique se font au Maroc, tandis que plus de 60% des exportations du Maroc vers l’Europe se font vers l’Espagne et la France. Nous sommes des pays qui partagent une façade avec la Méditerranée et une autre avec l’Atlantique. Dans le détroit de Gibraltar, seul passage maritime entre l’océan Atlantique et la mer Méditerranée, situé au sud de l’Espagne, au nord du Maroc, à l’est de l’océan Atlantique, à l’ouest de la Méditerranée, il passe chaque jour plus de 300 bateaux contre 70 dans le canal de Suez. C’est l’endroit où il y a le plus important trafic maritime au monde, ce qui engrange une importante pollution et c’est l’un des thèmes abordés par la réunion des ministres de la Défense des 5 plus 5 qui a eu lieu récemment à Rabat. Nous pouvons, le Maroc et l’Espagne, travailler ensemble, sur le continent africain, le Maroc étant déjà présent. L’Espagne à son tour offrirait toute cette dimension ibéro-américaine dans les pays qui parlent espagnol et portugais, des langues déjà partagées par 800 millions de personnes qui ont un grand avenir et qui sont de plus en plus enseignées dans le monde, à l’instar de l’arabe, parlé par plus de 600 millions de personnes. Ce sont là des complémentarités intéressantes.
Il y a un autre facteur de rapprochement et de mixité, c’est l’importance de la communauté marocaine vivant en Espagne qui atteint le million de personnes, dont 170 000 enfants qui étudient dans le système scolaire en espagnol, auxquels il faut ajouter les 5 000 élèves qui étudient dans les 11 instituts espagnols au Maroc. Ce réseau des instituts Cervantès regroupe plus de 500 enseignants et professeurs à Casablanca, Tétouan, Rabat, Laayoune, Nador, Larache et bientôt à Oujda. Nous avons également 6 centres Cervantès pour l’enseignement de la langue espagnole, avec des antennes nouvellement ouvertes à Agadir et Nador qui viennent enrichir le réseau à Chaouen, Meknès, Larache, Fès, Marrakech, Tanger, Casablanca et Rabat, et ce sont là, autant d’éléments de proximité humaine et linguistique qui contribuent à cimenter notre relation. Nous avons aussi un beau projet à mener avec mon ami l’ambassadeur Charles Fries, le projet d’ouvrir une école commune franco-espagnole à Oujda où nous avons déjà le bâtiment, en attendant les fonds pour démarrer.

2012 : une année historique qui marque un tournant dans nos relations bilatérales
et une proximité accrue entre nos pays et nos sociétés
Dans le champ diplomatique, les visites sont importantes et contribuent à renforcer la capacité d’écoute et de compréhension des positions des uns et des autres. Elles témoignent d’une bonne entente et d’une volonté de coopération. Dans ce sens, l’année 2012 a été exceptionnelle pour nous. Nous avons commencé l’année 2012 avec la visite à Rabat de mon chef de gouvernement, M. Rajoy, le 18 janvier. Nous avons en Espagne une tradition non écrite, mais qui est respectée par tous les chefs de gouvernement de quelque obédience politique qu’ils soient. Le chef du gouvernement ne se rend ni à Lisbonne, avec qui on a partagé une longue histoire, ni à Bruxelles, ni à Paris, mais à Rabat. Cela a été le cas avec Felippe Gonzalez, avec José Maria Aznar, José Louis Zappatero et Mariano Rajoy, qui est revenu fin octobre accompagné de 7 ministres et 7 secrétaires d’État, c’est-à-dire avec la moitié du gouvernement espagnol pour présider la commission mixte. M. Rajoy a reçu à son tour Abdelilah Benkirane, chef du gouvernement du Royaume du Maroc au mois de mai dernier, qui a également été reçu par le président du Sénat. Madrid a été jusque-là la seule capitale européenne qu’il a visitée et la seule visite officielle en Europe qu’il a effectuée. Nous avons reçu plusieurs visites de ministres espagnols qui, à la suite de la rencontre de janvier, ont décidé de se parler franchement pour faire avancer les dossiers. Parmi eux, le ministre de l’Intérieur, les ministres des Affaires étrangères, de l’Agriculture, de la Pêche. Je rappellerai aussi d’autres visites importantes au mois d’avril, comme celle du Président de la Catalogne, accompagné d’une délégation de 200 entrepreneurs, à Casablanca, Rabat et Tanger où ils ont inauguré une usine. Le Président des îles Canaries s’est également rendu au Maroc et il a inauguré la ligne maritime qui relie Casablanca à Las Palmas, renforçant ainsi les liaisons qui existent déjà entre Laayoune, Agadir, Tarfaya et les Canaries, un archipel qui a fait du tourisme standard une tradition et qui reçoit chaque année quelque 13 millions de touristes Allemands, Britanniques, européens du Nord...
Dans ce chapitre des visites, nous avons à cœur de rapprocher nos sociétés civiles pour changer le regard des uns sur les autres. Un groupe de journalistes marocains a été récemment invité à rendre visite aux médias et partis espagnols, la composition du comité Averroès va évoluer et nous allons multiplier les visites des jeunes et lancer des programmes de tourisme de proximité qui marchent très fort au Portugal. Un renforcement des relations qui passe par une meilleure connaissance des uns et des autres pour préparer l’avenir, pour mieux se connaître. Dans ce sens, le Prince héritier d’Espagne, Felipe de Bourbon, a reçu, la semaine dernière au palais de la Zarzuela à Madrid, une délégation composée de secrétaires généraux et de présidents de la jeunesse de différents partis politiques au Maroc, en visite en Espagne. La visite a été initiée par l’Agence espagnole de coopération internationale pour le développement (AECID). Elle s’inscrit dans le cadre du Programme d’accompagnement des processus de gouvernance démocratique dans le monde arabe (MASAR) et a pour objectif de renforcer la participation politique des jeunes du Maroc et la promotion des échanges d’expériences entre les jeunes marocains et espagnols.

Dans cette même veine, nous avons organisé à Rabat, le 3 septembre dernier, le premier Forum parlementaire qui a réuni le président des Cortés et le président du Sénat accompagné de députés et de sénateurs. On n’avait jamais jusque-là organisé une telle rencontre entre les présidents des 4 Chambres d’Espagne et du Maroc. L’année 2012 a été une année historique, marquée par ces rencontres de haut niveau, mais aussi par une série d’initiatives prises d’un commun accord, comme l’ouverture du Commissariat conjoint à Algésiras, qui est une première entre nos pays en matière de coopération dans le domaine sécuritaire. Nous avons 5 commissariats conjoints avec la France, autant avec le Portugal avec qui nous partageons de longues frontières. C’est la même approche que nous voulons établir avec le Maroc, approche qui a été initiée il y a deux ans avec le gouvernement socialiste de Louis Zappatero et qui montre le degré de coopération entre nos deux pays. Pour en mesurer l’importance, il faut rappeler que ces initiatives n’existent pas entre les États-Unis et le Mexique ou entre les États-Unis et le Canada, qui partagent pourtant de longues frontières. Parmi ces initiatives, je mentionnerais aussi l’opération Retour qui a lieu chaque année et qui permet à quelque 3 millions de Marocains de traverser l’Europe et au Sud l’Espagne pour revoir le Maroc.

Cette année, à cause de la faillite de la Comanav, nous avons ouvert un nouveau port en Méditerranée qui a permis de faciliter le passage. À ces compagnies maritimes, s’ajoutent les lignes aériennes entre Casablanca et l’Espagne et celles ouvertes récemment entre Rabat et Madrid, trois fois par semaine. Certaines compagnies espagnoles seraient même intéressées par l’ouverture de lignes régionales au Maroc pour relier Tanger et Ouarzazate, Rabat et Agadir… D’autres compagnies maritimes seraient intéressées par la création de lignes vers l’Afrique ou les pays du Golfe, car il existe un fort potentiel, compte tenu des bonnes relations entre le Maroc et ces régions, et l’Espagne serait très intéressée par le développement de relations triangulaires dans de nombreux secteurs du tourisme, de l’éducation, de l’environnement et de l’agro-industrie. Si nos deux pays travaillent ensemble, si le Maroc et l’Espagne joignent leurs efforts, ce ne sera plus 1+1 égal 2, mais 3, car le développement sera exponentiel, tant nos atouts sont grands !
2012, Année historique marquée aussi par un moment fort, celui du discours royal de la Fête du Trône du 30 juillet dans lequel le Souverain a parlé de l’Espagne et de la nécessité pour les deux Royaumes de travailler ensemble pour une zone de prospérité partagée, de mettre en avant tout ce qui nous unit, dans une vision gagnant-gagnant. C’est cet esprit qui nous a animé lorsque nous avons invité le Maroc au Sommet ibéro-américain de Cadix qui réunit les chefs d’État et de gouvernement de l’ensemble des pays de langues espagnole et portugaise d’Amérique latine, l’Espagne et le Portugal. Par sa présence, le ministre des Affaires étrangères, Saad-Eddine El Othmani, a montré l’intérêt que portait le Maroc à sa dimension atlantique ibéro-américaine. Je rappellerai qu’il y a 5 à 6 millions de Marocains qui parlent espagnol et cette pluralité linguistique et culturelle, ce «melting pot», est un atout, un actif non négligeable dans le monde d’aujourd’hui et de demain. Toujours sur le plan diplomatique, je voudrais rappeler que l’Espagne a soutenu le Maroc pour devenir membre du Conseil de sécurité. C’est le seul pays arabe qui est présent dans cette institution et c’est le Maroc qui préside ce mois de décembre le Conseil de sécurité. Nous comptons de notre côté sur le Maroc, qui a beaucoup d’influence en Afrique, pour soutenir la candidature de l’Espagne pour devenir membre non permanent au Conseil de sécurité de l’ONU pour la période 2015-2016. La décision sera prise en octobre 2014. Je rappelle que la dernière fois que l’Espagne était membre non permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, c’était en 2003-2004, sous le gouvernement de José Maria Aznar. Je pourrais aussi rappeler tout ce que nous faisons ensemble dans le cadre de l’Union pour la Méditerranée, qui a remplacé le processus de Barcelone et les approches communes que nous avons pour la région du Sahel.  Nous sommes conscients des évolutions qui ont lieu actuellement, notamment dans le domaine de l’émigration : le Maroc, qui était un pays d’émission d’immigrants, est devenu lui-même un pays d’immigration avec toutes les conséquences et les défis que cela induit quand on reçoit près de 250 000 migrants subsahariens chaque année. Nous avons connu ces problèmes à une échelle plus grande encore, car pendant plus d’une décennie nous avons reçu presque 1 million de migrants par an. Nous avons été le pays qui a reçu le plus de migrants au monde après les États-Unis ! Actuellement, nous avons 6 millions d’émigrés, la moitié communautaire, l’autre moitié latino-américaine et marocaine.

2012 : nous sommes devenus le premier partenaire commercial du Maroc qui, malgré
la crise, se bat sur tous les fronts, se modernise, se réforme
L’année 2012 est pour nous une année record, car c’est en 2012, et les statistiques le confirment, que nous sommes devenus le premier partenaire commercial du Maroc, dépassant ainsi le partenaire traditionnel qu’est la France. Entre janvier et juillet 2012, les exportations espagnoles vers le Maroc ont progressé de plus de 20% par rapport à la même période de 2011. Avec la crise en Europe, en Espagne, nous portons un nouveau regard sur le Maroc, le pays où quelque 20 000 petites et moyennes entreprises espagnoles exportent et où 800 entreprises espagnoles sont installées, créant de l’emploi. Contrairement à la France où toutes les grandes entreprises du CAC 40 sont représentées, il y a cependant peu de grandes entreprises espagnoles comme Repsol ou Zara. Il y a eu une rencontre entre la CGEM et la CEOE, la Confédération espagnole des organisations d’entreprise, où le problème a été abordé. La bonne nouvelle, c’est le contrat de 500 millions d’euros décroché pour la construction de la plus grande centrale thermosolaire du monde à Ouarzazate qui sera réalisée par une grande entreprise espagnole, Acciona. Nous avons eu d’autres contrats stratégiques, comme celui récemment signé à Rabat avec l’ONEE pour l’acheminement de l’eau à Casablanca.

Pour l’avenir, nous sommes dans l’esprit du discours du Trône de Sa Majesté, qui a invité le Roi Juan Carlos à effectuer une visite au Maroc en 2013 et qui sera accompagné par une importante délégation d’entrepreneurs. Avec la mondialisation et l’interdépendance, l’économie est devenue l’un des champs majeurs de l’activité diplomatique. Nous travaillons ainsi à renforcer les relations à tous les niveaux : multiplication des visites, organisation de séminaires communs… J’ai rendu visite à Driss Jettou, président de la Cour des comptes, pour renforcer nos relations, nous pouvons également travailler ensemble sur le dossier de la régionalisation sur lequel nous avons accumulé beaucoup d’expériences. Le modèle d’autonomie qui est différent selon les régions a relativement bien fonctionné en Espagne, libérant les énergies et mettant en œuvre des politiques de proximité. Mais il n’est pas exempt de dérapages, dont il faut tirer les leçons. Ce qu’il faut savoir, c’est que la mise en œuvre des processus de régionalisation a un coût : il faut répartir les compétences, mais aussi les richesses par le biais des politiques publiques et des infrastructures, comme ce qui se fait avec le projet du port de Nador. Il faut former, mettre en place toute une dynamique avec prudence, avec les précautions nécessaires.
Nous pouvons réaliser ensemble de grands projets, comme nous l’avons fait avec le Portugal, un pays avec qui nous avons partagé une histoire tumultueuse qui est aujourd’hui apaisée et porteuse d’avenir. En 1986, nous avons adhéré, l’Espagne et le Portugal, à la Communauté économique européenne.

À l’époque, l’Espagne était le sixième partenaire du Portugal. Aujourd’hui, nous partageons, grâce à l’UE, la même monnaie et nous sommes de loin le premier partenaire commercial du Portugal, devançant des pays comme la France ou les États-Unis.  Pour prendre un exemple, le volume des échanges commerciaux de la seule région de l’Andalousie avec le Portugal représente le double de celui réalisé avec le Brésil. Le voisinage, la proximité a été bien sûr un facteur déterminant dans ce saut qualitatif et quantitatif et c’est ce que nous espérons faire avec le Maroc. Des échanges qu’il faut multiplier pour changer le regard des uns et des autres et surtout celui des Espagnols, dont le regard était biaisé et plus «préjudiciable», le Maroc étant perçu comme un pays à problème : émigration clandestine, drogue… Aujourd’hui, ce regard a profondément changé, on découvre un voisin qui, malgré la crise, se bat sur tous les fronts, se modernise, se réforme, un pays qui pourrait être pour nous l’Espagne source de croissance, car nous avons beaucoup à donner en termes de connaissances, de recherche, d’innovation, comme dans les énergies renouvelables où nous sommes un champion d’envergure mondiale.

Avec d’autres partenaires, nous sommes prêts à créer des synergies, à mutualiser nos relations commerciales, comme nous le faisons à travers l’exemple de l’Usine Renault de Tanger Med, car ce sont les usines d’Espagne qui produisent les moteurs et les boites à vitesse et d’autres équipements. Mais ce n’est pas le seul secteur où nous sommes performants. Dans le domaine des trains à haute vitesse, c’est un consortium espagnol qui a remporté le mega contrat du train à grande vitesse Djeddah-La Mecque-Médine en Arabie saoudite pour la réalisation d’une ligne de 450 kilomètres ! La grande vitesse espagnole est un modèle qui s’exporte très bien dans le monde et nous sommes devenu le champion européen de la grande vitesse en nombre de kilomètres installés, en n’étant dépassé dans le monde que par la Chine.

 

Retranscrite et mise en forme par Farida Moha

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