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La route, un formidable levier économique et social

Avant, pour faire ce trajet Saïdia-Tanger, 507 km, il fallait quelque 11 heures, passer par Berkane, Nador, Laroui, Driouch, Al Hoceima, Kettama, Targuist, Issaguen, Bab Berrad, Chaouen, Tétouan... Aujourd’hui 5 heures suffisent.

Table ronde avec Hicham N’hammoucha, directeur des routes, et Mohamed Bejrhit, directeur adjoint des routes au ministère de l’Équipement et du Transport.

La route, un formidable levier  économique et social
Oued Laou, près de Tétouan.

Le Matin : Comment est né le projet de la Rocade méditerranéenne ?

Mohamed Bejrhit : Dans les années 95-96, on planchait avec feu Meziane Belfqih sur le projet de liaison de route côtière de 6 mètres entre Nador et Al Hoceima. En 1997, on a commencé les premiers tronçons de la rocade Saïdia-Ras Kebdana, achevés en 2000 et le tronçon Tanger-Ras Seghir. Aujourd’hui en 2012, la Rocade est bouclée et vous pouvez faire le trajet entre Saïdia et Tanger sur 507 km en 5 heures, dans des conditions de confort et de sécurité qui n’ont rien à voir avec la situation d’antan. Avant, pour faire ce trajet Saïdia-Tanger, il fallait quelque 11 heures, passer par Berkane, Nador, Laroui, Driouch, Al Hoceima, Kettama, Targuist, Issaguen, Bab Berrad, Chaouen, Tétouan... Entre Al Hoceima et Tétouan, il fallait 5 heures. Il m’est arrivé de faire ce trajet, mais dans des conditions pénibles, sur une route de montagne sinueuse et accidentée avec parfois des glissements de terrain dangereux !

On évoque souvent une ligne force de la politique des transports dans les pays développés, à savoir le rééquilibrage modal avec, à côté de la route, le développement d’autres modes de transport. Qu’en est-il dans cette région du Nord ?
Mohamed Bejrhit : Ce rééquilibrage modal est présent dans la politique de transport, comme en témoigne le développement des ports et des aéroports Laroui, Oujda et Al Hoceima. Nous avons, d’autre part, la Rocade sur le littoral, face à la mer, l’autoroute Rabat-Fès-Oujda et, à la verticale, il y a une route Nador-Taourirt, et nous réalisons une voie express entre Taza et Al Hoceima. Le projet qui va coûter près de 3,5 milliards de DH a déjà démarré.

Si nous nous plaçons dans une perspective maghrébine et africaine, quelle est la place de la Rocade méditerranéenne ?
Hicham N’hammoucha : L’autoroute Fès-Oujda, qui était inscrite dans les corridors reconnus intermaghrébins, a permis l’achèvement du premier schéma directeur autoroutier qui comportait les corridors Tanger-Lagos, Le Caire-Dakar. Ces corridors sont achevés pour la partie marocaine. La partie algérienne a également fait aboutir son autoroute à la limite de la frontière marocaine. Hormis le fait d’avoir deux autoroutes connectées, il existe déjà une capacité d’échange. Il reste au politique à faire avancer le dossier de l’UMA pour optimiser ces infrastructures.

Quelle est, dans ce contexte, la place de la Rocade méditerranéenne ?
Hicham N’hammoucha : Elle a un double rôle, tout d’abord la promotion du Nord. Il faut se rappeler du discours de Feu Hassan II qui avait présidé une réunion le 11 février 1993 consacrée au développement économique du Nord.» Tant que nous n’aurons pas construit de nombreuses routes dans le Rif, il ne s’épanouira pas, disait-il, car les routes sont comme les veines et les artères. Partout où elle existe, la route donne lieu à une activité intense et bénéfique». Autrement dit, pour enclencher le développement de cette région au relief difficile, il n’y a pas d’autre choix que le développement des routes, malgré toutes les difficultés de réalisation des différentes sections qui ont été adaptées au trafic, comme les voies spécialement réservées aux poids lourds dans les zones de pentes aigües. La route est ainsi conçue comme un levier de développement et de mise à niveau dans une région connue pour l’émigration et l’économie informelle. La Rocade permet d’autre part une capacité d’échange supplémentaire pour les liaisons maghrébines, puisqu’elles se connectent à la frontière Saïdia et à l’Europe. La Rocade joue un rôle de relais euro-africain. Au vu du développement du Nord, il peut y avoir une continuité du flux d’investissement qui irait de l’Espagne au nord du Maroc et qui contribuerait aussi à promouvoir le littoral algérien à travers le littoral marocain. Du fait d’un effet «hub», il y aurait une continuité d’effet de développement par la proximité de l’Europe. Il y a aujourd’hui avec la crise en Espagne, nombre d’investisseurs espagnols qui souhaitent s’implanter au Nord, devenu plus attractif. Une région riche en potentialités, je pense au secteur du tourisme, de la pêche, du sport, du cinéma, de l’agriculture… Il y a déjà de gros appétits dans ces secteurs, d’où la nécessité d’un plus grand effort de planification.

Vous évoquez là les effets d’une croissance potentielle, sur le long terme. Si nous abordons la question du financement, qu’en est-il de la rentabilité d’un tel projet ?
Hicham N’hammoucha : Nous avons bien sûr réalisé des études coût-rentabilité, mais il faudrait enclencher une évaluation globale du projet pour pouvoir approcher cet aspect. C’est un projet, rappelons-le, volontariste, qui n’aborde pas le seul aspect de la rentabilité. C’est un projet complexe fait d’un ensemble de tronçons adaptés aux besoins du trafic en tenant compte du nécessaire développement des bourgs et des localités. L’investissement initial, c’était les deux bouts de la Rocade Tanger-Ksar Seghir, Fnideq et puis Saïdia, Ras Kebdana, avec trois voies et avec une chaussée de 9 mètres et, au fur et mesure, El jebha-Ajdir Ajdir-Ras Afrou puis Ras Kebdana et enfin Tétouan-El Jebha sur 120 km, inaugurée récemment par Sa Majesté le Roi. Pour les besoins du trafic, la partie entre Tanger Med et Fnideq a été dédoublée et a fait l’objet d’un investissement à part. Du fait de la saturation du trafic dans la région de Fnideq, avec le retour des RME, il a été décidé dès le départ que l’autoroute Tétouan-Fnideq fasse partie de la Rocade. Tout autour, nous avons également un ensemble d’infrastructures de connexion, comme au niveau de Tétouan avec la voie de contournement. Ce sont des infrastructures qui sont appelées à se développer au fur et à mesure des besoins. Le développement auquel nous avons dû faire face montre indirectement la rentabilité du projet, même si compte tenu du relief accidenté, nous avons eu des sections kilométriques qui ont autant coûté que des sections de l’autoroute.

Mohamed Bejrhit : On peut aussi tenir compte, dans le calcul de la rentabilité, du fait que la Rocade est un projet structurant qui facilite l’accès de la population aux ressources, aux services et aux marchandises. En reliant 8 provinces et plus de 40 communes, dont beaucoup étaient isolées, la Rocade va permettre d’améliorer les conditions de vie de 3 millions d’habitants, de créer des milliers d’emplois directs et indirects. La réalisation de cette Rocade a été accompagnée par un ensemble d’actions de désenclavement rural comme les pistes rurales sur 400 km, au profit des populations enclavées. Il faut juste rappeler que nous sommes partis d’une situation de «terra nullius» en terme d’investissement économique. Le colonialisme espagnol n’a construit aucune route de développement. Il a construit des routes militaires pour dominer les territoires dans le piémont du Rif par exemple.

Hicham N’hammoucha : Aujourd’hui, la grande satisfaction des habitants de la région, c’est de pouvoir aller tout droit vers Al Hoceima au lieu de descendre à Chaouen, par exemple, dans un paysage très accidenté. Nous avons dû faire face à la contrainte de la pluviométrie, à la sensibilité des sols, aux pentes de la chaîne du Rif et au «serpent de la mer» qu’il a fallu longer. Nous avons eu un concentré de toutes les difficultés majeures qui peuvent être rencontrées dans la construction d’une route.

Mohamed Bejrhit : Le tracé de la route Tétouan-Jebha, composé de deux tronçons, comme toute la chaîne du Rif est marqué par un relief instable et par une géologie et une topographie très complexe et difficile, à cause des pentes très raides qui vont souvent sur la mer avec des cours d’eau. Tout cela a nécessité beaucoup d’ouvrages. Le premier tronçon relie Tétouan à Oued Laou sur 44 km et le deuxième tronçon couvre 76 km, desservant Azla, Amsa, Tamrabet, Tamernout, Aouchtam, et beaucoup d’autres petites bourgades. Pour tous les projets, nous avons mis en place une organisation à part des aménagements provisoires des travaux de la Rocade qui se termine avec l’achèvement du projet.

Sans revenir sur l’aspect rentabilité et la comparaison coûts-avantages, pourriez-vous aborder la question du financement : qui a fait quoi ?
Hicham N’hammoucha : Tout projet conséquent d’infrastructures de transport implique toujours la puissance publique au niveau national et local. Nous avons eu comme bailleur de fonds, l’État, l’Agence du nord pour les premiers tronçons, le Fonds d’Abou Dhabi pour le tronçon Ras Kebdana et Oued Keft, les Italiens entre Oued Kefd et Ajdir, l’UE a donné un don pour réaliser le tronçon Ajdir et Jabha et quelques pénétrantes comme celle de Oued Laou qui relie Chaouen sur 39 km, qui vient d’être achevée. L’Agence japonaise de coopération internationale a contribué au financement du tronçon Tétouan-Jabha, débloquant un prêt d’un montant de 2,5 milliards de DH. Pour le tronçon Tétouan-Fnideq, c’est une concession à la Société nationale des autoroutes du Maroc, ADM. Le tronçon Fnideq et Tanger a été financé par l’État et l’Agence du nord. Ce projet, on le voit, a bénéficié de financement, et nous avons au moins la rentabilité qui dépasse les frais financiers de remboursement. À côté de cela, il y a le PNR2, le programme de mise à niveau territorial, qu’a lancé le ministère de l’Intérieur et le programme de pistes rurales pour un montant de 800 millions de DH. Il y a aussi les pénétrantes comme celle d’oued Laou, financées par le ministère de l‘Équipement à hauteur de 230 millions de DH. Ce que l’on peut dire pour nous résumer, c’est qu’il y a 3 niveaux d’accompagnement : les grands projets pour faire profiter le Nord, mais aussi l’économie nationale. Deuxième niveau : les effets induits par l’investissement privé et les institutions, et le développement local des terroirs qui permet aux populations locales de profiter de la croissance. Je voudrais aussi souligner que les entreprises marocaines ont largement contribué aux projets. Nous avons eu à développer plusieurs façons possibles de passer les marchés, de faire le suivi de la qualité et le contrôle interne et externe en testant, si je puis dire, l’ingénierie interne des grandes entreprises qui ont pu introduire pour la première fois des techniques comme celle de la terre armée qui respecte l’environnement.

Mohamed Bejrhit : Sur tout le projet, on peut dire qu’au moins la moitié de la commande est revenue aux entreprises marocaines qui ont dû s’adapter à l’environnement du Nord. De grands projets ont été réalisés parallèlement à la Rocade. Je pense à la voie express entre Oujda et Saïdia, la route de 7 mètres de chaussée entre Taourirt et Nador, la route Ahfir-Salouane qui démarre, comme la voie express entre Taza et Al Hoceima. Le trafic entre Nador et Al Hoceima sur l’ancienne route est aujourd’hui détourné par le nouveau tracé routier. Idem pour Al Hoceima et Tétouan via Chaouen et Issaguen. On a aussi achevé la nationale 8 entre Taounate et Al Hoceima, comme la voie express entre Tanger et Tétouan. Il y a le grand projet d’autoroute sur lequel nous planchons entre Kénitra et Tanger. Vous voyez qu’il s’agit d’une véritable mise à niveau de tout le réseau régional routier du Nord et de l’Oriental, mais également des ports et aéroports que nous avons évoqués. Ce nouvel environnement va jouer un formidable effet de levier économique, car on sait que la mobilité est un facteur de développement. Il reste qu’un schéma de développement et d’aménagement urbain de tout le littoral est nécessaire. 

Table ronde organisée par Farida Moha

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