(suite)
Pourquoi ferions-nous la guerre ?» Les Béni Zohra, au nombre de cent cinquante hommes, voyant que leur allié s’en retournait, suivirent son avis et s’en retournèrent également.
Il n’y avait aucune tribu de La Mecque qui n’eût des hommes à l’armée, sauf les Béni Adi Ben Kab, qui n’avaient pas quitté la ville, n’ayant pas de marchandises dans la caravane.
Après le départ des Béni Zohra, l’armée qoraïschite ne se composait plus que de neuf cent cinquante hommes. Abou Djahl, craignant que d’autres encore ne s’en allassent, leva son camp dans la même nuit et s’avança sur Badr.
Toute l’armée le suivit, aucun autre ne l’abandonna. Après avoir été averti par Gabriel que la caravane s’était sauvée et qu’une armée venait à sa rencontre, le Prophète réunit ses compagnons pour délibérer avec eux sur ce qu’il y avait à faire.
Tous les Mohadjir et les Anssar étant présents, il leur demanda leur avis. Abou Bakr se leva le premier et dit: «Ô apôtre de Dieu, nous ferons ce que tu voudras et ce que tu ordonneras.
Ceux-là sont nos parents mais nous avons cru en toi, et nous avons accepté ta religion et nous avons renoncé à eux. Nous avons fait de nos corps et de nos âmes ta rançon; nous lutterons contre eux pour toi; ou Dieu te fera triompher d’eux et fera triompher ta religion et l’infidélité sera exterminée dans le monde; ou nous périrons tous pour toi». Le Prophète remercia Abou Bakr, lui donna des éloges et lui dit de s’asseoir car Il désirait savoir si les Anssar prendraient ou non ce même engagement, sachant bien que les Mohadjir lui prêtaient aide et secours, tandis qu’il craignait que les Anssar et les gens de Médine ne s’en retournassent car, dans la nuit d’Aqaba, alors qu’ils avaient prêté serment au Prophète, Saâd, fils de Moâd, lui avait dit : «Ô apôtre de Dieu, viens avec moi à Médine!». Le Prophète avait répondu : «Je n’ai pas encore reçu de message ni d’ordre de Dieu à cet égard.
Allez, j’enverrai mes compagnons et attendrai les ordres que Dieu me donnera». Saâd avait répliqué : «S’il en est ainsi, nous ne sommes pas responsables de ta vie et de ta sûreté jusqu’à ce que tu viennes à Médine.
Quant tu y reviendras, alors nous te défendrons et ta défense sera pour nous un devoir». Le Prophète avait approuvé ces paroles. Or, maintenant, le Prophète craignait qu’il ne dît : «Nous nous sommes engagés à te protéger à Médine; si tu étais attaqué à Médine, nous t’y protégerions».
Abou Bakr ayant repris sa place, le Prophète demanda de nouveau un avis. Omar, fils d’Al Khattab, se leva et tint le même langage qu’Abou Bakr.
Le Prophète le remercia également et lui dit de s’asseoir.
Ayant renouvelé sa demande, Miqdâd, fils d’Amrou, appartenant lui aussi aux Mohadjir, se leva et dit : «Ô apôtre de Dieu, c’est à nous de tirer l’épée, à toi de prier et à Dieu de donner la victoire. Nous ne dirons pas comme disaient les enfants d’Israël à Moïse : ‘’Allez, toi et ton Seigneur, et combattez; quant à nous, nous resterons ici’’. Assiste-nous de ta prière, demande à Dieu la victoire, car nous combattrons nous-mêmes». Le Prophète le loua et lui dit: «Assieds-toi, je connais les sentiments de vous tous, ô Mohadjir, je ne doute pas de vos intentions».
Ensuite, il demanda un nouvel avis. Tous reconnurent que cet appel s’adressait aux Anssar, Saâd, fils de Moâd, se leva et dit : «Ô apôtre, de Dieu, est-ce nous que tu as en vue par ces paroles ?». «En effet, dit le Prophète, car c’est votre concours que je demande. Dans cette affaire, je ne puis réussir que par la puissance de Dieu et par le moyen de votre aid». Saâd, fils de Moâd, dit: «Que pouvons-nous faire, ô apôtre de Dieu ? Nous avons cru en toi, nous t’avons prêté serment et nous t’avons accueilli. Il est dans notre devoir de te défendre. Nos âmes sont ta rançon et nous verserons notre sang pour toi, que ce soit contre les Qoraïschites ou les Arabes ou les Perses, les habitants de Roum ou les Abyssins; nous nous tiendrons devant toi, nous te protégerons et combattrons les ennemis; que ce soit à Médine, dans le désert ou en pays cultivé, sur la mer ou sur les montagnes, nous serons partout avec toi et ne t’abandonnerons pas jusqu’à la mort». Le Prophète, très heureux de ces paroles, appela Saâd près de lui, l’embrassa sur les yeux et le visage et lui dit : «Ô Saâd, que Dieu te récompense pour ta foi, ta bravoure et ta fidélité!». Immédiatement, il fit marcher l’armée et fit halte à deux «parasanges» de Badr. En épiant l’approche de l’armée qoraïschite près des puits, il rencontra un vieillard arabe qui ne le connaissait pas. Le Prophète lui demanda s’il avait des renseignements sur la caravane d’Abou Sofyan. Le vieillard répondit: «La caravane est en sûreté mais une armée est sortie de La Mecque qui va pour combattre Mohammed et les gens de Médine».
Le Prophète lui demanda ensuite: «Quels renseignements as-tu sur l’armée quoraïschite?
Où sont Mohammed et les gens de Médine?». Le vieillard répondit: «Je vous le dirai quand vous m’aurez dit que vous êtes». «Parle d’abord, répliqua le Prophète, nous te le dirons ensuite». Le vieillard dit : «L’armée qoraïschite est partie tel jour, a quitté tel jour Djohfa et si celui qui m’a renseigné a dit la vérité, elle doit avoir passé tel jour à tel endroit et être en marche pour venir ici.
Quant à Mohammed, il était tel jour à tel endroit et si mes renseignements sont exacts, il se trouve aujourd’hui à tel endroit». C’était précisément le lieu où l’armée musulmane avait fait halte, à Dsafiran.
Le Prophète, entendant ces paroles, quitta le vieillard, en faisant courir sa chamelle.
Arrivé auprès de ses compagnons, il leur dit : «L’armée qoraïschite est aujourd’hui à tel endroit, demain elle arrivera aux puits de Badr».
Au moment de la prière de l’après-midi, le Prophète envoya Ali, fils d’Abou Talib, Zobaïr, fils de Saâd, et Saâd, fils d’Abou-Waqqas, vers les puits de Badr, pour prendre des informations sur l’armée qoraïschite.
Ils y arrivèrent vers le soir. Les Qoraïschites envoyèrent quelqu’un pour racheter les deux prisonniers. Le Prophète répondit : Nous n’acceptons pas leurs prix. Nous avons perdu deux de nos gens ; Sa’d, fils d’Abou-Waqâç et ‘Otba, fils de Ghazawân, dont nous n’avons pas de nouvelles.
Quand ceux-ci réapparaîtront, nous vous renverrons ces prisonniers. Mais si nous acquérons la certitude qu’on les a tués, nous mettrons aussi à mort ces deux hommes.
Sa’d et ‘Otba, en recherchant leur chameau, étaient venus jusqu’à Nadjrâne. Ne l’ayant pas trouvé, ils revinrent à Médine au mois de scha’bân. Alors le Prophète, considérant les deux prisonniers comme leur rançon, les renvoya à La Macque, après en avoir reçu le prix.
Dans le même mois de scha’bân, au milieu du mois, Dieu ordonna au Prophète de ne plus se tourner pendant la prière vers Al Qods, mais vers la Kaâba.
Les Arabes, en priant, se tournaient vers la Kaâba, tandis que les juifs et les chrétiens se tournaient vers Al Qods où était le temple bâti par Salomon, fils de David, endroit illustre, vers lequel se tournaient également Moïse et Jésus. Lorsque le Prophète reçut sa mission prophétique à La Mecque, Il se tournait, en priant, vers la Kaâba.
Comme les idolâtres de La Mecque, en adorant les idoles, se tournaient aussi vers La Mecque, quand le Prophète vint à Médine où dominait le culte des chrétiens et des juifs qui se tournaient vers Al Qods, Dieu Lui ordonna de se tourner également, en priant, vers Al Qods, afin de ne pas les contrarier et pour qu’ils Lui fussent favorables. Le Prophète fut ainsi. Cependant, il désirait que le point vers lequel il devrait se tourner en priant fut la Kaâba, qui avait été aussi la Qibla d’Abraham et d’Ismaël.
Il priait journellement Dieu d’exaucer ce désir ; enfin, au milieu du mois de scha’bân de la seconde année de l’Hégire, le mardi, Dieu révéla le verset suivant : «Nous avons vu que tu tournais ton visage vers le ciel. Mais Nous voulons que tu te tournes vers une Qibla qui te plaira. Tourne-toi vers le saint temple». (Sur. II, vers. 139).
La raison de cette révélation fut que les juifs et les chrétiens disaient au Prophète : «Ô Mohammed, si ta religion est différente que la nôtre, comment se fait-il que tu tournes en priant vers le même point que nous». Le Prophète, ayant invoqué Dieu, reçut le verset que nous venons de dire.
Le Prophète était venu à Médine au mois de rabî’a premier. Au mois de moharrem de l’année suivante, il remarqua que les juifs célébraient un jeûne, le dix du mois, en appelant ce jour ‘Aschourâ.
Le Prophète leur demanda pourquoi ils distinguaient ce jour. Ils répondirent : «C’est le jour où Dieu a fait noyer Pharaon dans la mer, et où Il a délivré Moïse qui a jeûné ce jour-là pour rendre grâce à Dieu ; depuis lors nous aussi nous consacrons chaque année ce jour au jeûne». Le Prophète ordonna aux musulmans de jeûner, eux aussi, ce jour en leur disant : «Je suis plus digne de suivre l’exemple de mon frère Moïse, fils d’Amrân». Ensuite, le Prophète, voyant que les chrétiens jeûnaient pendant cinquante jours, désira avoir dans sa religion un jeûne pareil. A la fin du mois de scha’ban de cette même année, Dieu établit le jeûne du mois de ramadan, en révélant le verset suivant : «Ô vous qui croyez, le jeûne vous est prescrit comme il l’a été à ceux qui vous ont précédés» (Sur. II, vers. 179), c’est-à-dire aux juifs et aux chrétiens. Jésus n’avait ordonné qu’un jeûne de trente jours ; ce sont les chrétiens eux-mêmes qui ont porté ce chiffre à cinquante. (à suivre…)
