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Rencontre avec le «pharmacien», vendeur d’escargots

Depuis 20 ans, Mokrim Mohamed propose «bebbouche et b’loule» dans une des venelles de la vieille ville de Casablanca.

Le «pharmacien», c’est ainsi que ses milliers de clients l’appellent, est originaire de Settat. Né en 1954, et père de six enfants, il a bien vu des choses se passer dans les ruelles de la cité blanche. «Au commencement je vendais des cacahuètes, tout comme mon père. Jusqu’au jour où un vendeur d’escargots m’a proposé de lui donner un coup de main dans son échoppe. Et depuis, je me suis mis à mon compte, mais en plein air», raconte Mokrim Mohamed qui, à l’évidence, a pris goût au commerce du gastéropode...
Avec le verbe mesuré et le geste précis lorsque, une louche à la main et un bol dans l’autre, il sert ses clients, il déroule le film de ces deux dernières décennies, dure période pendant laquelle quelques caïds de quartier ont eu le mauvais rôle au début de sa carrière : «Que de fois ma charrette a été volée, cassée… J’ai été aussi rançonné et il m’arrivait de donner jusqu’à 60 dirhams par jour pour pouvoir travailler. Et, à chaque fois, je revenais dans ma ruelle. Un jour, un caïd m’a dit : “tu me fatigues avec ton entêtement”... et ses copains m’ont laissé en paix».

Avec un large sourire, le «pharmacien» poursuit : «Les escargots sont devenus mon gagne-pain. C’est grâce à cette marmite que tu vois là que j’ai pu éduquer mes enfants. Actuellement l’une de mes filles et l’un de mes garçons sont à l’université en Espagne et en Italie». À présent, Mokrim Mohamed dit qu’il pratique son métier en toute quiétude et écoule sa marchandise à raison de 10 ou 5 dirhams le bol. Il se rappelle, aussi de ces six mois d’arrêt de travail imposé, non pas à cause d’un agent d’autorité, mais en raison de cas d’intoxication dans le quartier «Je n’y étais pour rien, mais les Services d’hygiène sont venus nous demander… un certificat que nous n’avions évidemment pas. Çà m’a pris six mois, mais à présent je suis en règle».

30 kilos vendus par jour

Ces temps difficiles le «pharmacien» les évoque sans aucune rancune et préfère prescrire la patience et la générosité. Tout en distribuant sa marchandise à ses clients qui se font de plus en plus nombreux au fil des heures, une vieille dame au visage labouré de rides vient quémander à un consommateur un bol d’escargot. Ce dernier le lui offre, mais au moment de payer, le «pharmacien» refuse. Cependant, cette fragile grand-mère semble avoir gardé l’appétit de ses 20 ans et renouvelle sa demande auprès d’un autre client. Et comme chez nous le partage de la nourriture est sacré, il s’exécute avec le sourire… et encore une fois Mokrim Mohamed refuse de se faire payer ce que cette vieille dame vient de consommer… Générosité, générosité...

Le «pharmacien» vend 30 kilos d’escargots par jour qu’il fait venir d’Agadir. Mais là aussi, tout comme les céréales, de ce commerce dépend la pluie : «En année pluvieuse, la production est bonne. Mais cette année, l’escargot se fait plus rare et le prix du gros est de 16,5 dirhams».
Au Maroc, il existe six espèces d’escargots, mais la spécialité nationale est le gros gris. Selon l’Agence de développement social, «le Maroc est le premier pays exportateur d’escargots terrestres en Europe. La production nationale d’escargots s’élève à plus de 10.000 tonnes par an dont 80 à 85% sont exportées soit entre 7000 et 8000 tonnes.
La consommation à l’échelle nationale ne dépasse donc pas 15 à 20% de la production totale». Dans son guide des projets ruraux, l’agence affirme que «le prix unitaire des escargots marocains destinés à l’exportation a été fixé par les Espagnols, principale clientèle et varie de 3 à 10 DH le kilo de “caracoles”. Mais en raison de sous-déclarations, le chiffre objectif se situerait autour de 60 DH».

24 plantes aromatiques dans la sauce

Il y a donc un manque à gagner dû notamment à une niche économique qui reste mal organisée. Car comme l’atteste notre «pharmacien», la récolte se fait par les gens de la campagne qui en font le ramassage et le revendent aux grossistes lesquels à leur tour approvisionnent Mokrim Mohamed et ses collègues.
Sait-il au moins pourquoi il a hérité de ce sobriquet, le «pharmacien» ? «L’origine est à chercher dans ma recette. La sauce que je prépare contient 24 plantes aromatiques différentes que j’achète chez un herboriste de Bab Marrakech : Anis vert, réglisse, thym, piment doux et fort, menthe, écorce d’orange... Mon breuvage est un véritable remède contre la grippe et tous les ennuis pulmonaires», affirme sans rire Mohamed, qui vante le goût de sa sauce relevée particulièrement appréciée par temps froid. Il précise sa recette : «C’est ma fille qui s’occupe du lavage.

Le lavage se fait deux fois. Puis les escargots sont mis dans une marmite qui peut contenir jusqu’à 30 kilos et sont bouillis afin de leur ôter la bave. Ensuite, je les cuis pendant quatre heures en rajoutant les 24 épices. C’est pour cette raison que mes clients viennent de partout et certains emportent leurs commandes».
Alors, si vous êtes de passage devant ce que les Casablancais ont baptisé «l’kora el ardia» (2), n’hésitez pas à franchir la porte principale de la médina. Une bonne «zlafa de bebbouche» de chez le «pharmacien» avec son cocktail aux 24 arômes mettra du piquant dans votre journée.

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