«Je vais vous raconter un petit chouïa de tata Milouda. Un petit chouïa… Si je vous raconte tout, il faudrait 15 ans…» confie celle qu’on surnomme «Tata milouda» lors d’une conférence de presse dans le cadre de la 18e édition du SIEL. Cette grande dame a, en effet, réussi à faire craquer Grand Corps Malade et Jamel Debbouze par sa musique, mais aussi par sa personnalité. Deux documentaires sont en cours, un livre est en projet et un disque se prépare pour rendre hommage à cette femme exceptionnelle. C’est donc tout le monde du slam qui fait un joli ramdam autour de Tata Milouda.
Originaire de Settat, elle est arrivée en France en 1989, à la quarantaine, avec trois mots pour viatique : «bonjour, merci, au revoir» et 100 francs en poche. «Je suis venue seule, j’ai laissé mes six enfants.
J’ai fui mon ex-mari, qui était violent, et un pays qui maintient les filles dans l’analphabétisme», a-t-elle expliqué. En région parisienne, elle a vécu plus de cinq ans sans papiers. «Je travaillais au noir comme femme de ménage, plongeuse, garde d’enfants… J’étais libre, mais perdue, seule. Jusqu’à ce qu’on me conseille d’aller dans un cours d’alphabétisation.» Ce sera le déclic. Elle noircit des cahiers avec son crayon, sans relâche. Elle a une vie de silence à rattraper. D’ailleurs, écrire est, «un rêve que je réalise. J’ai toujours voulu aller à l’école, prendre un stylo, un cahier… J’ai trouvé tout cela à 50 ans», explique-t-elle avec fierté.
Son surnom, elle le doit à la tendresse respectueuse de l’artiste Grand Corps Malade, à qui elle doit une grande partie de son succès. Questionné sur ces années de souffrance où elle a galéré avant de voir le bout du tunnel, Tata Milouda déclare n’avoir eu pour compagnon que son courage et sa volonté de s’en sortir. «Courage et volonté étaient mes compagnons de route», a-t-elle insisté. Et bien que les gens ne soient pas toujours d’accord avec ce qu’elle dit ou fait, sa passion, sa joie de vivre et son optimisme inébranlables imposent le respect, même aux plus récalcitrants. Ses spectacles pourraient n’être que des soirées de «slam», avec des textes militants sur les femmes battues, la soif d’apprendre, le corps qui danse… Mais Tata Milouda n’est jamais exactement là où on l’attend, imprévisible et joyeuse, humaine et chaleureuse, ivre de vie et du bonheur de dire.
Plutôt qu’un plaidoyer indigné contre la bêtise et l’asphyxie, ses spectacles sont un fabuleux témoignage du triomphe contre toutes les peurs qui empêchent de vivre. Tata Milouda incarne magnifiquement ce combat, mais elle le fait en artiste, avec un sens du spectacle qui lui vaut l’unanimité. Tous les publics se reconnaissent dans son histoire, adolescents refusant l’éducation qui l’a sauvée, femmes de toutes cultures…
À la fin, tous se lèvent pour l’ovationner. Une énergie, un dynamisme et un courage tout à fait exceptionnels : tels sont les secrets de la réussite de Tata Milouda.
Le slam : des mots pour chanter la vie
Le slam est une forme moderne d’art oratoire où on s’exprime dans des compétitions et devant une foule. Le mouvement est né dans un bar jazz de Chicago, sous l’impulsion d’un ouvrier-poète, Marc Smith.
Lassé par le côté élitiste des clubs de poésie, il démocratise cet art oral en organisant des tournois où n’importe qui peut monter sur scène et déclamer un texte court et de son cru devant un public devenu juge. Un slammeur peut ne pas connaître du tout la musique ni la poésie et pourtant chanter sa vision de la réalité sans limite, ni censure. Ainsi, plusieurs artistes se sont reconnus dans cette forme d’art, dont le fan-club ne cesse de s’agrandir.
