La lutte contre les bidonvilles, une des priorités nationales du Royaume, qui est, d’ailleurs, applaudie par l’ONU-Habitat, depuis 2010 à ce jour, avance, à un rythme de plus en plus soutenu malgré les contraintes et les problèmes rencontrés. Après le relâchement affiché, en 2011, le programme de résorption a redémarré de plus belle en 2012. Le pic est enregistré au niveau du Grand Casablanca qui reste une région problématique. Durant les deux derniers mois, l’opération de relogement et de transfert des bidonvillois a atteint un nouveau tournant et a fait couler beaucoup d’encre, par la même occasion. Et pour cause, après avoir épuisé toutes les voies de négociation, l’État, via son bras armé, qu’est le holding Al Omrane, a déposé plainte devant la justice, pour déloger les contestataires, qui a tranché en sa faveur. Résultat : pour déménager les ménages réticents bloquant les opérations programmées au niveau du Grand Casablanca, il a fallu une intervention des forces publiques pour appliquer les jugements rendus. Selon Al Omrane Casablanca, le but de cette action en justice est de permettre au programme «villes sans bidonvilles» d’avancer dans les meilleures conditions. «Ce n’est pas une minorité qui va bloquer ce programme et imposer sa loi», nous a confié Nabil Kerdoudi, directeur général d’Al Omrane Casablanca. Et d’ajouter : «Le grand problème c’est les familles composées qui veulent grignoter plus d’avantages. Pis encore, il y a des parents de familles qui veulent déménager, mais qui ne peuvent pas le faire car leurs enfants le leur interdisent pour bénéficier eux-mêmes de logements, au même titre que leurs ascendants». Ce phénomène n’est pas uniquement lié à la capitale économique, tout le Royaume en souffre.
Pour stopper cette course aux lots, il a été décidé d’octroyer un terrain pour deux familles. Fini donc le temps où chaque ménage bénéficiait d’un lot, vu la rareté du foncier. Les bénéficiaires avaient également droit, soit à une indemnisation de l’ordre de 100 000 DH/ménage, soit à un appartement. Ces deux dernières options ont été abandonnées sauf pour quelques opérations où les ménages voulaient rester dans le quartier et se contentaient d’opter pour un logement sur place, mis à leur disposition par Al Omrane.
Pour le Grand Casablanca, il y a deux programmes qui sont menés en parallèle. Le premier concerne le nouveau programme présenté, à Sa Majesté le Roi, en avril 2011 qui concerne 47 000 ménages. Il a été décliné en 14 opérations qui sont ventilées comme suit : 9 opérations menées par Al Omrane, 3 opérations par Idmaj Sakane, 1 par Dyar Al Mansour qui est à sa première intervention de ce genre et 1 par l’Agence urbaine de Casablanca. Le coût de cette opération s’établit à 3,8 milliards de DH dont 992 MDH mobilisés par le Fonds solidarité habitat (FSH), 670 MDH financés par le budget général de l’État pour la construction des équipements publics, 1,4 MMDH issus des recettes de la péréquation et enfin 800 MDH financés par les bénéficiaires
(20 000 DH/ménage, soit 40 000 DH/lot). Au total, il est prévu la distribution de 20 000 lots sur un terrain
de 656 ha, mobilisés, sur Hautes instructions royales, en guise de solution pour éradiquer les baraques au niveau du Grand Casablanca, qui abrite, à lui seul, près du tiers de ces taudis.
Côté réalisations, sur les 9 opérations menées par Al Omrane, 7 opérations sont lancées dont 2 sont déjà prêtes (Al Fadl à Hay Moulay Rachid abritant 899 lots et Marwa sise au niveau de la préfecture de Challalat pour 767 lots). Pour le relogement, le traitement des dossiers est en cours. Il a également été mis en place un guichet unique pour faciliter la tâche aux bénéficiaires qui profitent également d’un accompagnement social mené par un bureau d’études privé. Pour encadrer davantage l’auto-construction, Al Omrane fournit aux ménages concernés des plans d’architecture et des plans de béton validés et autorisés gratuitement, en plus d’un suivi tout au long du processus de construction.
D’autres opérations sont en cours, dont celles menées par Idmaj Sakane (Zaitouni, dans la commune Challalat, 370 lots), tandis que d’autres sont en cours de lancement (3 opérations par Al Omrane et celles prévues par Idmaj Sakane et Dyar Al Mansour). Certaines devront être achevées, selon le planning préétabli, fin 2013.
Pour ce qui est du second programme ciblant le Grand Casablanca, il concerne des quartiers mythiques, notamment Bachkou, Carrières Centrales et Sidi Moumen. Concernant Bachkou, sur un total de 1 942 ménages seulement 160 ménages, occupant 124 baraques refusent de déménager et font de la résistance.
Au niveau des Carrières Centrales, les statistiques font état de 84% de démolition, soit 4 000 unités sur un total de
4 640 baraques. Les familles consentantes sont relogées sur un terrain prévu, à cet escient, de 101 ha qui est entièrement achevé, relié au réseau d’assainissement et équipé en infrastructures et en équipements publics (90% de taux de réalisation). A ce titre, le comité local de suivi mis en place a reçu 2 500 requêtes qu’il a étudiées. Après avoir étudié ces doléances, c’est au comité préfectoral, présidé par le wali, de prendre la relève pour prendre les décisions y afférentes. Une fois la liste des bénéficiaires affichées, s’il n’y avait pas de réclamations, le dossier est clos. Pour ce qui est de Sidi Moumen, le taux de démolition des bidonvilles a atteint, actuellement, près de 50%, soit 6 500 unités détruites sur un total de près de 13 700 baraques. Pour les regroupements de Skouila et Thomas, le taux de relogement a atteint 77%, contre 35% à Zaraba et 5% à Rhamna. Pour ces deux quartiers insalubres, le retard enregistré est dû au manque de foncier ; concernant Zaraba, il y a des pistes de réflexion pour mobiliser une partie du foncier supplémentaire (50%) et le reste des bénéficiaires seront relogés, in site, dans les appartements à
140 000 DH, notamment ceux qui veulent rester sur place. En revanche, pour Rhamna, il n’y a pas encore de visibilité sur le foncier supplémentaire à mobiliser. A noter que pour améliorer davantage les conditions de vie des habitants des bidonvilles, une zone industrielle intégrée va être lancée bientôt à Sidi Moumen. Le but est de créer des opportunités d’emploi et des activités génératrices de revenus pour les riverains.
Questions à : Nabil Kerdoudi, directeur général d’Al Omrane Casablanca
«Il y a un retour au respect de la loi»
Comment se déroulent les opérations de relogement des bidonvillois ?
En matière de lutte contre les bidonvilles, il y a une réelle reprise en main conjuguée à une volonté et une synergie qui se déploie entre les différentes parties concernées. Il y a, également, une grande compréhension de la part des concessionnaires, que ce soit l’ONE, l’ONEP ou la Lydec. Les autorités publiques sont mobilisées. Autre fait marquant : il y a un retour au respect de la loi et la mise en œuvre des décisions de la justice par l’usage de la force qui reste l’ultime recours après avoir épuisé toutes les voies de négociation.
Quelles sont les contraintes qui persistent ?
Il y a de petites contraintes liées au financement de la construction des équipements publics que le groupe Al Omrane exécute pour le compte de l’État. Ces infrastructures étant prises en charge par le budget général de l’État, d’où le retard de paiement enregistré. Heureusement que ces problèmes ont pu être dépassés récemment grâce à l’implication des ministères des Finances et de l’Habitat. Il y a également le problème lié au transport public. Les quartiers d’accueil ne sont pas bien desservis par les moyens existant, voire pas du tout. Ajoutons à cela le manque d’animations culturelle et sociale pouvant offrir une meilleure qualité de vie aux populations concernées.
Et à Casablanca ?
La raréfication du foncier, autour de Casablanca, pose problème. Malgré la mobilisation de plus de 656 ha, il nous manque des terrains pour boucler Sidi Moumen. A mon avis, c’est très difficile, voire impossible d’éradiquer définitivement les bidonvilles à Casablanca. Ça a été, d’ailleurs, soulevé, dans le cadre des discussions de la conférence internationale tenue à Rabat par l’ONU-Habitat et le ministère de l’Habitat, de l’urbanisme et de la politique de la ville. Peut-être qu’on arrivera à démolir une bonne partie mais il faudrait éviter que le problème d’augmentation prenne de l’ampleur. La densification en interne, à l’intérieur des baraques, est également un problème qui est inquiétant et qui favorise la prolifération des familles composées.
Concernant le financement, il faut savoir qu’il y a une toute petite minorité qui recourt au Fonds Fogarim pour financer la construction. Dans la majorité des cas, les bénéficiaires (2 ménages/lot) font appel à des personnes tierces qui leur construisent leurs maisons (80 m² sur R+3). Cette relation gagnerait plus à être encadrée pour éviter les problèmes qui émergent et pour sortir de ce cadre informel.
Quelles sont les nouveautés introduites par le groupe Al Omrane, pour accélérer le rythme de résorption des
bidonvilles ?
Un travail énorme a été réalisé par Al Omrane, depuis le lancement du nouveau programme en avril 2011, en présence de Sa Majesté le Roi. Nous avons initié, au niveau d’Al Omrane Casablanca, une nouvelle approche. Celle-ci n’est autre que le concept clé en main.
Suite à un appel à manifestation d’intérêt, nous avons retenu un prestataire externe privé pour la réalisation des travaux de viabilisation du terrain en entier.
A la fin, ce promoteur privé nous livre les titres fonciers disponibles. Mieux encore ces mêmes promoteurs participent à l’achat des lots en front bâti proposés à la vente, dans le cadre de la péréquation. C’est un concept qui a permis l’aménagement de
40 ha en seulement 10 mois. C’est dire que c’est une prouesse technique de qualité.
