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Anticiper, inventer, agir, prévenir, protéger...

Il existe d’excellents rapports sur la politique étrangère française, comme celui d’Hubert Védrine «la France dans le monde» ou celui moins connu qui le précède d’Henri Nallet intitulé «Le monde en face» publié en 2008. Ancien ministre de l’Agriculture et de la Justice, Henri Nallet est vice-président de la Fondation Jean-Jaurès et vice-président de la Fondation européenne d’études progressistes (FEPS).

Anticiper, inventer, agir, prévenir, protéger...
Le Premier ministre français et le Chef du gouvernement marocain. Ph. Saouri

Dans ce rapport qui n’a pas pris une seule ride, l’auteur fait état des «instabilités économiques qui sont les plus visibles. La mondialisation actuelle, dit-il, atteint une ampleur inédite, et les conséquences en sont très largement imprévisibles… Face à la crise financière et au drame alimentaire que nous connaissons, des réponses fermes et courageuses sont nécessaires de manière urgente, car si le pire n’est pas sûr, il ne doit cependant pas être écarté. On ne peut donc pas se contenter d’un discours nous exhortant encore une fois à nous “adapter” à la mondialisation, à nous soumettre au “fait inéluctable”, dans une attitude largement passive. Il nous faut au contraire prévoir, agir, prévenir et protéger…»

Agir en pensant parfois aux scénarios du pire, car le pire n’est jamais incertain. Au lieu donc de nous préparer à une «multipolarité», écrit Henri Nallet peut-être devons nous au contraire nous préparer à agir dans un monde «sans polarité», extraordinairement complexe à maîtriser et face auquel nous sommes, pour l’instant, culturellement et institutionnellement plutôt désarmés. Dans ce monde instable, où les grands équilibres sont à définir, des questions clefs, comme celle de la sécurité alimentaire qui a fait l’objet d’une session au Conseil économique et social, d’une intervention au Parlement du chef du gouvernement M. Benkirane, sont mises en évidence par l’ancien ministre français de l’Agriculture : «l’approvisionnement en matières premières, y compris agricoles, risque de remettre en cause profondément la cohésion de nos sociétés par la multiplicité des chocs externes, etc. Ils mettent déjà en cause l’unité de nos sociétés. Ils pourraient les menacer plus gravement encore. Les ressources alimentaires sont le grand enjeu d’avenir : l’explosion démographique exige de repenser en profondeur le système productif et d’échanges agricoles dans une optique bien différente de celle qui fut imposée par les organisations internationales et les États-Unis depuis quarante ans. Y parviendrons-nous ?» se demande Henri Nallet.

Regarder «le monde en face» : un contexte incertain et déstabilisé

«La mondialisation, dit-il encore, fragilise également des pans entiers du système productif global. Là encore, nous devrions tirer les conséquences de la crise alimentaire : l’instabilité des prix alimentaires depuis trente ans a abouti aujourd’hui à des pénuries qui pourraient créer les conditions d’affrontements entre nations. Ce type de crise peut se reproduire à l’identique dans d’autres secteurs où existe un sous-investissement chronique. Il serait dangereux d’éluder cette probabilité. Des risques sur l’accès aux ressources vitales émergent ensuite. Nous entrons dans une ère de compétition qui sera de plus en plus aiguë avec tous les grands ensembles consommateurs d’énergie. Les difficultés concernant les sources, les transports, les coûts, le stockage des ressources énergétiques, autant de questions face auxquelles nous sommes mal préparés, représentent autant de dangers pour notre propre appareil productif. Tout ceci évidemment surplombé par un risque environnemental qui met en jeu très directement l’avenir de la planète, voire sa survie. La crise des subprimes, totalement imprévue, devrait nous alerter sur le sujet : d’autres crises de ce genre, aux conséquences incertaines, mais potentiellement dévastatrices pour l’économie, peuvent à tout moment surgir. On nous les annonce déjà… Il faut s’y préparer», conclut-il dans cet excellent rapport intitulé «Le monde en face». Prise dans l’engrenage des crises, notre région, malgré les discours lénifiants, n’échappe pas à ces crises dévastatrices, rattrapée par le réel douloureux financier, économique et social.

Pourtant, comme le soulignait hier à Casablanca Jean Louis Guigou, président de l’Institut de prospective économique du monde méditerranéen (IPEMED), présent à la rencontre France-Maroc, il existe une réelle complémentarité entre la Rive-Nord et la Rive-Sud de la Méditerranée, la région est un espace pertinent pour servir «de laboratoires» à de nouvelles pratiques innovantes comme la coproduction et la colocalisation, nouvelles formes innovantes de partenariat entre le Nord et le Sud, dans la grande région euroméditerranéenne qui intégrera l’Afrique subsaharienne. Un travail de réflexion est actuellement initié, comme l’a indiqué la ministre française du Commerce extérieur, Nicole Bricq, qui a déclaré : «c’est un chantier important où il faut identifier les avantages comparatifs de nos pays et créer des activités pérennes et créatrices d’emplois. L’idée est que le Maroc et la France pourraient ensemble produire et conquérir des marchés aux États-Unis, en Afrique.

C’est aussi une manière de trouver ensemble les bonnes coopérations, les bons partenariats, qui nous permettent non seulement de développer de l’emploi au Maroc et de l’emploi en France, des investissements au Maroc, des investissements en France, mais dans une politique de partenariat beaucoup plus ambitieux, d’aller aussi comme une plateforme, ensemble, vers d’autres pays, vers d’autres marchés avec les Marocains et les Français ensemble», a telle expliqué en donnant l’exemple des secteurs de l’«aéronautique et l’automobile». «C’est bon pour l’export marocain comme pour l’export français. La colocalisation, c’est ne pas se faire la guerre, c’est ne pas parler de délocalisation parce qu’on produit ici», a-t-elle poursuivi. «Quand on produit ici (...) ça produit de l’emploi et de l’activité en France». Ce à quoi répond la présidente de la CGEM, Mme Bensalah : «Nous sommes prêts à œuvrer dans les faits pour que cette ambition française, mais également marocaine, devienne notre projet commun. Nous sommes prêts à renforcer notre partenariat qui préfigure une plateforme pouvant devenir un poumon de compétitivité et un relais de croissance pour les entreprises françaises et marocaines, au profit de toute la région et du continent africain». Une étude a été initiée pour identifier les filières, les complémentarités et les potentiels. C’est Dominique Bocquet, ex-chef du service économique de l’ambassade de France au Maroc qui sera en charge de la partie consacrée aux potentiels du Maroc.

«Faire plus et mieux»

En septembre 2005 à Rabat, à l’occasion de la réunion mixte franco-marocaine, les chefs de gouvernement marocain et français avaient décidé la création d’un groupe de travail composé de chefs d’entreprise de leurs pays respectifs. Dominique de Villepin, Premier ministre français, nous déclarait qu’il fallait «faire plus et mieux», impliquer davantage la communauté des affaires des deux pays en lui donnant un mandat de promotion d’investissements et d’impulsion de partenariats entre leurs entreprises. L’objectif fixé à ce groupe, baptisé GIEFM, était de contribuer par des propositions concrètes à la dynamisation des relations économiques entre les deux pays en associant des chefs d’entreprise leaders, français et marocains, capables d’apporter par leur expérience, leur poids, leur notoriété et leur rayonnement, des idées et des propositions qui peuvent aider à atteindre les objectifs fixés. Les objectifs portés par le plan Émergence ont été atteints comme l’a souligné le coprésident du Club des chefs d’entreprise France-Maroc Mohamed Kettani.

«60 chefs d’entreprises avec une parité strictement respectée entre Marocains et Français ont été, dit-il dans son discours, mobilisés depuis 18 mois dans nos travaux avec les services de l’ambassade de France et n’ont ménagé aucun effort pour la réussite de nos travaux. Ces travaux font état d’avancées incontestables enregistrées par le Royaume et portées par les stratégies sectorielles qui ont permis l’émergence d’une industrie de l’offshoring, le positionnement du Maroc sur la carte mondiale de l’industrie aéronautique et une accélération considérable des transports, le renouveau d’une offre marocaine ciblée dans le secteur de l’automobile, fournissant un cap incitatif aux équipementiers, une rupture apportée par le Plan Azur qui a enregistré une hausse significative de ses indicateurs, le développement des filières agricoles à fort potentiel d’exportation et la concrétisation des agropoles, la mise en place progressive de 16 plateformes industrielles intégrées dans diverses régions du pays qui ont permis la mise à disposition de 2 000 hectares répondant à la demande du foncier industriel viabilisé de centaines d’investisseurs.»


Comment, dans un contexte de stabilité du Maroc et au-delà des questions classiques de la fiscalité, des coûts des facteurs de production et des ressources humaines, renforcer la dynamique des relations France-Maroc dans un contexte de coopération triangulaire France-Maroc-Afrique, France-Maroc-pays du Golfe ? Pour lui, cette idée de colocalisation est recevable. «La réaffirmation des politiques sectorielles à l’horizon 2020 permet de donner de nouvelles perspectives d’affaires à nos opérateurs économiques dans différents secteurs d’activité et ouvre la voie à un développement plus soutenu de la colocalisation compétitive créatrice de richesses et d’emplois en France et au Maroc, comme en témoignent les expériences dans les secteurs de l’automobile ou de l’aéronautique…» Le co-investissement des entreprises françaises et marocaines en Afrique est une voie d’avenir qui donne une dimension nouvelle à notre partenariat, capitalisant ainsi sur la dimension hub du Maroc en tant que plateforme commerciale et d’investissement régional. Tout ceci crée les conditions d’une confiance renouvelée en l’avenir pour exploiter ensemble les formidables opportunités de croissance et de création de richesses.»

Comment aller plus loin ?

Le contexte politique s’y prête, les relations entre le Maroc et la France, deux pays à forte culture, comme le soulignait dans son discours le chef du gouvernement, n’ont cessé de se «bonifier». «Malgré une période de crise, la France qui reste un grand pays, dit-il, ne doit plus considérer le Maroc, qui a su traverser avec intelligence le Printemps arabe, comme un simple marché, mais comme un partenaire avec qui il faut construire ensemble et conquérir d’autres marchés».

«Le gouvernement, dit-il, travaillera dans ce sens, celui de renforcer la relation France-Maroc, de rendre la vie plus facile aux hommes d’affaires, d’améliorer les services de l’administration, de réformer la justice, la fiscalité et d’écouter et trouver les solutions». Un discours «fort, éclairant, stimulant» que le Premier ministre français a écouté avec attention avant de défricher «ce qui peut se faire ensemble, dans une période de mutation et d’aspiration démocratiques où nos destins sont liés, alors même que les deux pays sont confrontés à des défis majeurs : trop faible croissance, chômage qui monte et endettement public».
Dans un discours passionnant où il a réaffirmé toute l’importance que le Président François Hollande et le gouvernement français accordent aux relations France Maroc, M. Ayrault rappelle que l’un des enjeux de cette nouvelle situation, c’est la place de nos pays, de l’espace euro-méditerranéen dans la compétition économique mondiale qui est en train de se jouer. Que peut-on faire ensemble au-delà du partenariat d’exception, comment tirer parti de ce monde qui est en train de se construire ? Comment aller plus loin dans un contexte de concurrence, comment être au rendez-vous ? En déclinant un partenariat d’exception au service d’une compétitivité partagée. En dépassant le modèle traditionnel d’échanges fondés sur la simple fourniture de marchandises, en mettant en place des modes d’organisation, des méthodes de production innovantes qui doivent être mises en partage au profit des deux économies. Telle est la colocalisation qui peut être bénéfique des deux côtés de la Méditerranée et qui fait l’objet d’un accord signé entre les deux gouvernements.

Il s’agira de renforcer une logique de cercles vertueux combinant la recherche de l’excellence et du meilleur coût qui fonctionnera en améliorant les fédérations et les coopérations professionnelles entre des acteurs de terrain du Maroc et de France, mais aussi d’Afrique et du Proche-Orient.»
Colocalisation, le concept est lancé, répété, applaudi. Il reste qu’il faut au-delà de l’effet d’annonce, y travailler, sans cesser d’anticiper, d’inventer, de proposer.
Car assurément, au milieu des grandes reconfigurations structurelles, des acteurs qui changent, des doutes qui émergent, comme le souligne l’auteur du rapport «le monde en face», la prime ira à celui qui arrivera le mieux à anticiper et à utiliser les interstices de ce système mondial très largement imprévisible, fragmenté et éclaté».

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