Si avant on ne parlait que des vieilles filles qui passaient leur vie chez papa et maman tant qu’elles étaient célibataires, aujourd’hui, les hommes aussi sont concernés par cette situation. Ils sont de plus en plus nombreux à être âgés de plus de 35 ans et même plus de 45 ans et qui ont toujours du mal à couper le cordon avec leurs parents. Selon Mohssine Benzakour, psychosociologue, les raisons sont multiples qui vont du psychologique au social passant par le politique et le financier.
«D’un point de vue psychologique, les gens qui n’arrivent pas à couper le cordon ombilical avec leur famille vivent le départ et le fait de quitter le nid parental comme une trahison, avec une bonne dose de culpabilité. Il ne leur est pas facile d’apprendre à voler de leurs propres ailes quand les liens d’attachement sont encore forts. La fidélité aux parents tient davantage à un état d’esprit qu’à un geste concret», explique-t-il.
Le manque de moyens
Par ailleurs, beaucoup d’hommes n’arrivent pas à quitter le domicile familial par manque de moyens. Souvent, les contraintes financières les empêchent de devenir indépendants. C’est normal puisqu’ils n’entrent pas dans la vie active juste après l’adolescence. La période des études est devenue très longue sans oublier que la formation est rarement adaptée au marché de l’emploi, ce qui rend la recherche d’emploi extrêmement difficile. Résultat : sans travail ni argent, il serait presque impossible de trouver un logement et de se marier.
Qu’ils soient chômeurs ou pas, ces hommes sont généralement accueillis par leurs parents les bras ouverts, comme s’ils étaient des enfants qui ont besoin d’être surprotégés. Certains parents ont même du mal à se séparer de leur progéniture, ce qui rend ces hommes encore plus attachés à leur foyer familial.
L’emprise des parents
Pas facile de quitter un endroit quand on y est choyé, quand on n’y est privé de rien, et quand, en plus, on n’a pas de lourdes responsabilités familiales et financières à assumer. «Pour couper un cordon vieux de plusieurs années, il faut d’abord être au clair avec soi-même et avec ses choix. Nos parents ont été notre premier objet d’amour et ils le restent. Si les parents maintiennent les enfants sous leur emprise et que ces derniers acceptent en rechignant, c’est qu’ils y trouvent quand même un certain réconfort : celui d’éviter l’effort colossal de se définir et de se déterminer seuls, comme des grands de 30 à 40 ans», affirme le Dr Benzakour.
Certains parents, bien qu’ils soient contents d’avoir leurs enfants à leurs côtés, continuent à penser que réussir sa vie c’est se marier et fonder une famille. Du coup, les repas et évènements familiaux deviennent souvent l’occasion pour les parents d’exprimer leur inquiétude «Alors toi, c’est pour quand ? Je voudrais bien être grand-mère…» «Mes parents insistent beaucoup sur la question du mariage. Ils n’attendent que ça alors que moi je n’y pense même pas. Je ne sais pas comment leur faire comprendre cela. C’est très gênant d’en parler tout le temps. Parfois, j’ai l’impression qu’ils n’attendent que de me voir sortir de la maison», se plaint Mohamed, 36 ans.
Les relations saines parents-enfants selon Mohssine Benzakour, psychosociologue
«Le rôle des parents est de faire en sorte que leurs enfants gagnent la capacité
de voler de leurs propres ailes»
Dans des relations saines parents-enfants, lorsque l’enfant est encore petit, il a un rôle consultatif et les parents sont décisionnaires. Au fur et à mesure que l’enfant grandit, les rapports tendent à s’équilibrer jusqu’au jour où l’enfant devient suffisamment adulte pour que les rapports s’inversent ce qui signifie que les parents n’ont plus qu’un rôle consultatif et de conseils. Le rôle des parents est bien entendu de faire en sorte que leurs enfants gagnent cette capacité à voler de leurs propres ailes. Toute personne adulte dispose en théorie de ce libre arbitre, encore faut-il qu’elle en ait conscience et que l’exercice de ce libre arbitre ne soit pas entravé. Ceci nous amène à poser la question suivante : comment doit-on comprendre l’obéissance dans le cadre de la famille marocaine ? L’obéissance correspond à l’attitude de la personne qui se soumet à l’autorité. Cette soumission peut être vécue comme dégradante ou saine, selon le tempérament de la personne, selon l’estime qu’elle a pour celui qui fait autorité, et notamment selon la démarche de dernier (par exemple, s’il ne glisse pas vers l’autoritarisme, s’il est respectueux, etc.)
Et notre éducation, selon pas mal d’études, se base sur l’autoritarisme. Ce qui explique cette obéissance dans laquelle nos Marocains se voient confondre indépendance et soumission à tel point qu’il leur est difficile de couper le cordon ombilical. C’est ce qu’on appelle l’ascendance (fascination, soumission, obéissance, etc.). La conférence (ou l’attribution) de l’autorité à un parent provient de divers mécanismes psychologiques, tels que la crainte, le respect, la reconnaissance, la fascination, etc., et elle a différentes conséquences, telles que l’obéissance, la paralysie du jugement, le consentement, l’approbation, l’assentiment, l’exécution... Et si on approchait le problème du point de vue psychologique chez les parents, on constate que beaucoup de femmes n’ont pas d’autres raisons de vivre que leur progéniture.
Or, on ne lâche pas sa raison de vivre sinon on meurt ! Les mères sont humaines. Elles ne sont pas infaillibles pour autant. La vie pleine (un boulot, un mari, un enfant) de la nouvelle génération de femmes renvoie probablement les mères à leur propre frustration. Les coups de fil répétitifs sont là, probablement, pour qu’elles paient les rendez-vous manqués de la mère avec elle-même. Quant à l’aspect financier du phénomène, le taux de chômage pour cette tranche d’âge et assez fort, le loyer est à des prix exorbitants, le pouvoir d’achat par rapport au coût de la vie est très inférieur. Enfin et ce qui couronne le tout c’est l’idée persistante et qui trouve ses sources dans notre culture selon laquelle : tant qu’on est célibataire (zoufri) on n’a pas le droit de vivre indépendamment de ses parents.
