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Réforme de la fiscalité : les économistes interpellés

La principale réforme fiscale que le Maroc a connue depuis son indépendance remonte aux années 80 du siècle précédent. Dans un contexte de crise aiguë des finances publiques, celle-ci s’était imposée dans le cadre d’une politique dite «d’ajustement structurel» largement dictée par les institutions financières internationales qui avaient été sollicitées pour aider le pays à sortir de l’impasse de la dette extérieure où il s’était embourbé. Un quart de siècle plus tard, alors que les ressources fiscales arrivent à peine à couvrir 60% des dépenses du Budget général de l’État (loi de Finances 2013), et que l’endettement du pays retrouve des niveaux pour le moins inquiétants, la question de la réforme fiscale se trouve posée de nouveau avec acuité. Les pouvoirs publics conviennent de l’impérieuse nécessité d’une telle réforme et ont organisé un débat national dédié à cette question lors des Assises nationales de la fiscalité, en avril 2013.

Réforme de la fiscalité : les économistes interpellés
M. Bouslikhane, du comité éditorial.

Les économistes marocains, naturellement interpellés, participent à ce débat national et apportent leurs éclairages. Nous publions, sous forme de verbatim, quelques pistes de réflexion des économistes et experts ayant participé au septième colloque de l’AMSE (Association marocaine de sciences économiques) qui a porté sur la réforme de la fiscalité : conjuguer efficacité et équité.

La politique fiscale en crise


Hind Jalal 
(experte en genre et économie),
«Analyse genre de la politique
fiscale au Maroc : cas de l’impôt
sur le revenu»
«L'introduction de la dimension genre dans les finances publiques prend sa véritable dimension dans le cadre du développement humain, car la persistance des inégalités conjuguée à la faible capacité des femmes ralentit le développement du pays. La lutte contre la pauvreté et les inégalités nécessite de recourir à des démarches novatrices. Il est en effet nécessaire de penser autrement l'économie du développement et de souligner l'importance des approches multidisciplinaires et des théories hétérodoxes pour atteindre les Objectifs de développement du millénaire.
L'examen du volet recettes du Budget du point de vue du genre se présente comme une démarche complémentaire de la budgétisation sensible au genre, de plus en plus adoptée par plusieurs pays, dont le Maroc, visant la réduction des inégalités entre les sexes et le développement humain en général. L’analyse porte plus particulièrement sur l'impôt sur le revenu afin d'identifier les biais de genre explicites et implicites contenus dans ses dispositions vis-à-vis des différentes catégories de contribuables et de formuler des recommandations de politique fiscale visant à les corriger.»

Abdelmonaim Tlidi
(Université Mohammed V-Souissi, Rabat),
«Impôt sur le revenu au Maroc :
diagnostic, comparaison et pistes de réforme»
«Plus que tout autre impôt, celui sur le revenu constitue un instrument de lutte contre les disparités sociales et de redistribution des revenus vers les personnes à revenus modestes grâce à son caractère de progressivité. Au Maroc, l’impôt sur le revenu est l’un des postes importants et générateurs de recettes fiscales. Il représente 15% des recettes fiscales au titre de l’année 2011, soit 27 milliards de DH. Depuis 1993, l’impôt sur le revenu a connu plusieurs réformes, notamment à partir de 2006 où les tranches du barème et de leurs taux ont connu des réaménagements qui consistaient en abaissement du taux marginal d'imposition, la refonte des tranches du barème et de leurs taux.
Certes, ces différents réaménagements de l'IR auront sans nul doute un impact positif sur le pouvoir d'achat des ménages. De même, ces réaménagements profitent aux employeurs puisqu'ils constituent pour eux une réduction de leurs charges salariales, ce qui est à même de favoriser la création d'emplois. La question qui se pose à ce niveau est celle de savoir si ces différents réaménagements ont atteint le seuil souhaité.»

Mohammed Nmili
(Université Sidi Mohamed
Ben Abdellah, Fès),
«Quel contrôle des dépenses publiques non budgétisées ? Cas des dépenses
fiscales»
«Au Maroc, les dépenses fiscales posent un problème de transparence et de contrôle. Leur présentation ne respecte pas les principes budgétaires de base, à savoir les principes d’annualité, d’unité, d’universalité, de spécialité et de sincérité. Pour les pouvoirs publics, les dépenses fiscales sont devenues un complément habituel des crédits budgétaires. Or elles sont accordées en dehors de toute maîtrise des règles budgétaires. Elles ne sont pas soumises au contrôle budgétaire de la même façon que les dépenses ordinaires. À la différence des crédits budapenses fiscales échappent à tout examen détaillé par le Parlement. D’autant plus qu’au Maroc, il ne s’agit pas de “budget de dépenses fiscales”, mais seulement d’un “rapport sur les dépenses fiscales” établi au titre de l’exercice budgétaire déjà écoulé.
En raison de l’absence d’une procédure parlementaire des dépenses fiscales, ces dernières ne font pas l’objet d’un processus de révision annuelle. Ce qui leur donne un caractère de permanence. Elles ne font pratiquement pas l’objet d’un vote qui leur est dédié chaque année par le législateur. Elles sont donc moins susceptibles d’être révisées ou refondues. Si les dépenses fiscales sont difficiles à concilier avec les principes budgétaires, ce qui ne manque pas d’altérer le bon fonctionnement du budget, les particularités des dépenses fiscales peuvent faire l’objet d’un mode spécifique de gouvernance.
Ce mode doit viser à justifier le recours aux dépenses fiscales, les limiter dans le temps, améliorer leur évaluation, mesurer leur performance et les imputer à des programmes de dépenses. Pour cela, il faut mettre la lumière sur les entorses occasionnées par les dépenses fiscales aux principes budgétaires, les difficultés de contrôle de ces dépenses et la nécessité de leur appliquer des règles spécifiques de gouvernance budgétaire.»

Mohamed Jellal 
(Al-Makrizi Institut d’économie)
et Mohamed Bouzahzah
(Université Mohammed V-Souissi, Rabat),
«Transparence, corruption et politique optimale de taxation»
«Notre objectif est de fournir une explication rationnelle de la structure de la taxation dans les pays en développement comme le Maroc. En effet, dans ces pays, on observe une nette prépondérance des taxes indirectes. Or, au sens de la justice sociale, une telle structure induit tout naturellement une issue inéquitable. Afin d’expliquer cette idée, nous offrons une théorie basée sur le paradigme principal-superviseur-agent, lequel met en avant le rôle fondamental de l’information et de la transparence dans la politique de taxation.
En particulier, nous montrons que l’agence de recouvrement de l’impôt est amenée à modifier les régimes optimaux dans le but de baisser la fréquence de la corruption entre le percepteur et le contribuable. Ainsi, la politique optimale contre la prévalence de la corruption fiscale endémique peut expliquer le recours contraint, mais néanmoins optimal aux impôts indirects dans des pays en développement comme le Maroc.»
(texte intégral : www. amse. ma)
La réforme fiscale en perspective

Rajaa Mejjati Alami
(Observatoire national
du développement humain, Rabat),
«Fiscalité et secteur informel»
«Notion polysémique largement méconnue, le secteur informel est utilisé pour désigner soit des activités frauduleuses, soit les micro-entreprises de l’économie informelle. Dans un contexte d’aggravation des équilibres budgétaires et financiers de l’État, par l’ampleur qu’il a prise dans l’économie, il fait l’objet d’un regain d’intérêt, du point de vue fiscal, de la part des pouvoirs publics.
Le débat autour de la fiscalisation du secteur informel renvoie au débat plus large autour de la “formalisation du secteur informel”. Ce débat soulève de nombreuses questions relatives : à la définition des contours du secteur informel et des causes de son expansion ; à la non-pertinence de la vision dichotomique entre formel et informel en matière d’acquittement de la fiscalité ; aux causes de la sous-fiscalisation du secteur informel. La distinction entre micro-entreprises informelles et activités souterraines frauduleuses a des conséquences sur la politique fiscale à adopter.»



Abdelaziz Messaoudi
(Faculté des sciences et des techniques de Mohammedia),
«La fiscalisation de l’agriculture, entre efficacité et équité»
«Après avoir été pendant longtemps sous-imposé, le secteur agricole a été exonéré depuis 1984, en matière d’impôt sur le revenu et d’impôt sur le bénéfice. En matière de TVA, les activités agricoles sont traitées fiscalement comme étant hors champ. Voici bientôt trois décennies que cette exonération dure, après deux prorogations. Elle devrait, en principe, prendre fin le 31 décembre 2013. La dernière reconduction de cette exonération date du discours royal du 20 août 2008 dont le principe a été repris dans la loi de Finances 2009. Aujourd’hui, et bien que le contexte soit objectivement favorable à une “refiscalisation” du secteur agricole, les résistances sociopolitiques ne sont pas négligeables.
En fait, il y a lieu d’examiner les véritables causes de l’exonération accordée en 1984 qui sont d’abord d’ordre politique. Par ailleurs, quels ont été le manque à gagner fiscal et l’impact réel de cette exonération qui dure presque 30 ans (notamment l’impact sur la sécurité alimentaire, sur les exportations et donc sur la balance commerciale, sur les autres secteurs économiques, tel que le secteur agroalimentaire…) ?»

Ouafaa Khallouk 
(Université Mohammed V-Souissi, Rabat), «Renforcer la neutralité
de la TVA marocaine»
«Quelle vision globale et quelle feuille de route pour moderniser la TVA marocaine et renforcer sa neutralité ? Vingt-sept ans après sa mise en place, il est nécessaire aujourd’hui de réfléchir à la manière de réformer le système actuel, en s'inspirant des meilleures pratiques internationales, tout en prenant en compte les caractéristiques propres du pays. La mise en œuvre d'une réforme de seconde génération permettrait à la TVA marocaine de devenir un impôt économiquement neutre, facile à gérer, bien accepté et capable de mobiliser une part importante de recettes. Notre perspective s’inscrit globalement en ligne avec les principes qui font consensus parmi les experts, les universitaires et les organisations internationales. Néanmoins, compte tenu du contexte marocain, nous formulons des recommandations spécifiques qui se distinguent du consensus sur plusieurs points essentiels. Nous insistons enfin sur la nécessité de conduire des études empiriques approfondies, comme préalable à toute réforme de la TVA, notamment sur les effets redistributifs.»

Meryem Chiadmi, Mohamed Karim et Meriem Obada
(Université Mohammed V-Souissi, Salé), «Structure de la fiscalité marocaine entre les considérations d’équité
sociale et d’efficacité économique :
une analyse en équilibre général appliquée»
«La recherche de systèmes fiscaux adéquats aux structures économiques et sociales des pays est une préoccupation pour répondre aux objectifs de compétitivité (attractivité du pays par sa fiscalité), d’équité (acceptation sociale) et d’efficacité (générer des ressources pour fonctionner).
C’est dans ce sens et surtout dans un contexte de crise des finances publiques que le Maroc a connu sa principale réforme fiscale en 1984 qui s’est traduite par l’introduction des principaux impôts actuels. Par la suite, une réflexion a été menée sur les mécanismes permettant la simplification, l’efficacité et l’harmonisation du système fiscal.
Ces réaménagements ont permis au Maroc de se doter d’un système fiscal comportant les caractéristiques d’une fiscalité moderne, mais sans pour autant atteindre les objectifs assignés, à savoir l’équité sociale et l’efficacité économique.
À travers la conception d’un modèle, nous souhaitons contribuer à mettre la lumière sur le meilleur dosage à opérer entre fiscalités directe et indirecte afin d’optimiser la variable fiscale et lui permettre de jouer pleinement le rôle qui lui est dévolu.»
(texte intégral : www. amse. ma)

Khalid El Ouafa
(Université Cadi Ayyad, Marrakech), «Quelle réforme du système fiscal
sans réforme du système comptable ?»
«L’évolution et les changements continus de la conjoncture économique soumettent les gouvernements des pays à un exercice constant de réforme de leur système fiscal. L’objectif de ces réformes est d’assurer en permanence le triple rôle joué par l’impôt en levant les ressources nécessaires à la production de biens et de services publics, incitant à l’efficacité économique et corrigeant la répartition du revenu par la redistribution. La morosité du contexte économique actuel due à la crise financière a incité les finances publiques des pays à repenser leur fiscalité et à adopter des réformes de telle façon à rendre le système fiscal plus efficace, plus efficient et plus équitable.
Au Maroc, les chiffres sont éloquents et il parait plus que jamais nécessaire de réformer justement notre fiscalité. Selon le rapport de la Direction des études et des prévisions financières : 65% de la population totale des sociétés assujetties à l’IS déclarent un déficit de manière répétitive, une situation d’autant plus anormale que 2% des entreprises génèrent 80% de l’IS. De plus, 53% des salariés déclarés touchent selon leur patron moins de 2 500 DH par mois, donc ne paient pas l’IR. Sachant qu’au Maroc 75% des assujettis à l’IS sont des TPE et toute réforme fiscale exogène ne peut qu’impacter négativement leur trésorerie et, par conséquent, le volume de l’emploi et de la croissance économique.
La prochaine réforme fiscale doit être, à nos yeux, de nature à rendre l’économie marocaine plus compétitive et plus équitable, il s’agit d’une carte stratégique entre les mains du gouvernement. Ainsi, une série de mesure nous semble indispensable et doit faire l’objet de profondes discussions : la comptabilité marocaine doit être repensée et simplifiée surtout pour les TPE de nature à la rendre plus lisible, plus réaliste et plus accessible, démunie de tout item susceptible d’ouvrir la voie à des manipulations ; application de taux plus compétitifs en s’alignant sur les taux des pays concurrents en matière d’attraction des IDE ; instauration d’une éthique et d’une culture de participation et de partage par des campagnes continues de sensibilisation et l’adoption de mesures répressives pour dissuader les mauvais payeurs.» (texte intégral : www. amse. ma)

Ahmed Taqi
(Université Abdelmalek Essaâdi, Tanger),
«La budgétisation de la zakat : quels enjeux pour les finances publiques ?»
«Bien qu’étant une obligation religieuse, la zakat n’en a pas moins une dimension économique évidente et peut, vu sa fonction de transfert de richesse des plus nantis vers les plus démunis, jouer un rôle déterminant dans le combat contre la pauvreté. La zakat est en effet le troisième pilier de l’Islam, c’est une forme de charité obligatoire pour tout musulman dans une situation financière au-dessus d’un certain minimum dit “Nissab”, elle doit être acquittée une fois par an en faveur d’une catégorie de personnes qui la méritent. Si l’obligation de son acquittement fait le consensus de tous les musulmans, au point que celui qui la rejette est considéré comme rejetant l’Islam entier, il n’en est pas de même de ses modes de collecte et de distribution. Au Maroc, depuis toujours, la zakat est considérée comme une affaire personnelle en rapport étroit avec la foi de l'individu, sa distribution est faite directement aux pauvres par les soins de celui qui la doit ou par l’intermédiaire des associations caritatives. Toutefois, et vu les niveaux de plus en plus inquiétants que connaissent la pauvreté et la précarité à l’échelle nationale, les décideurs ont convenu que la pratique de la zakat peut être mieux organisée à travers la création d’un fonds national dit de la zakat. Ce dernier permettrait au gouvernement d'administrer les sommes importantes actuellement versées par des bienfaiteurs aux organisations ne relevant pas du contrôle de l'État, et de les canaliser pour intégrer des aspects sociaux dans de nombreux domaines, comme l'emploi, la santé et l'éducation.» 

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