À quelle époque a-t-elle été réalisée ? Par qui ? Que raconte-t-elle ? Quels moyens l’artiste a-t-il utilisés pour susciter le plaisir, l’émotion ?… sont autant de questions auxquelles Rim Laâbi a tenté de répondre pour assouvir la curiosité et le désir de tout passionné des arts plastiques. Et ce tout en présentant, à priori, la première fonction de l’art qui est de «produire une émotion esthétique. Car l’art s’adresse à notre sensibilité. Celle-ci, sous l’emprise du quotidien, de l’habituel, de l’utilitaire, des sens imposés par l’idéologie, est souvent menacée d’étiolement», souligne-t-elle. Et d’ajouter que «lorsque nous sommes en contact avec une œuvre d’art pour la première fois, et que nous n’avons aucune ou une rare fréquentation de l’art, nous percevons sans apercevoir».
Cette œuvre d’art, précise Rim, est perçue comme une vision de plus, au départ, nouvelle, brillante, mais qui vient vite se perdre dans la foule des visions qui se recouvrent, interfèrent réciproquement dans notre expérience usuelle ; jusqu’à faire de notre rapport à elle une vision pâle et décolorée : un évanouissement.
Donc, d’après la spécialiste d’arts plastiques, l’émotion reste un critère privilégié d’accès à l’œuvre. Cette émotion que seul un «public éclairé» peut ressentir. Car l’œil biologique ne voit rien. Et là, Rim Laâbi montre l’exemple de l’œuvre des «Époux Arnolfini» de Jan Van Eyck qui ne peut créer chez nous une émotion esthétique que si nous la voyons, la mettions en perspective et en prenions conscience selon une certaine direction. «Il faut que la conscience de cette sensation l’oriente selon un mode spécifique vers d’autres images, d’autres sensations éprouvées. Cette conscience ouvrira notre sensation vers des images de foyer, de chaleur, de sécurité, de temps qui passe. Mais aussi d’étrangeté, et la nostalgie qu’elle suscite en nous, se coloriera d’une tonalité émotionnelle d’ordre artistique».
Et comme l’a souligné Rim Laâbi dans sa conférence, on ne peut acquérir cette expérience esthétique, sans avoir un minimum de connaissance et d’enseignement sur les arts plastiques. Et ce, en visitant les espaces d’exposition et en s’initiant à l’histoire de l’art. C’est tout un parcours de sensibilisation qui prend naissance depuis la petite enfance et où l’école joue un rôle capital pour permettre un épanouissement idéal et avoir une vision plus pénétrante de la toile. «Quand on est en face d’une œuvre d’art, il faut vraiment la regarder, s’étonner, s’émerveiller, se souvenir, regarder le ciel et les nuages, les tâches sur un vieux mur, l’analogie des formes et des matières, enfin, regarder le monde».
Ceci se cultive progressivement avec la fréquentation des œuvres qui élargit la faculté perceptive, celle de juger et nous amène à découvrir de nouveaux rapports à la réalité.
La conférencière conclut en relevant qu’apprendre à regarder, c’est élargir son horizon, s’arracher à sa particularité : ce que le philosophe Emmanuel Kant appelle la pensée élargie par rapport à l’esprit borné. «En s’arrachant à sa particularité, on rentre plus dans l’humanité. Par exemple, en apprenant une langue, une autre culture, on entre dans l’universel. Par cet élargissement de l’horizon, on découvre un rapport au monde qui n’est pas purement sensible, ce qui nous élève vers une autre dimension. Celle de l’universalité qui laisse entrevoir à l’homme la possibilité de se penser au sein de l’humanité et d’avoir une autre attitude vis-à-vis des hommes et du monde, que celle du déterminisme proprement sensible».
