Selon les derniers chiffres, 352 000 élèves ont abandonné l’école en 2011. Un chiffre alarmant qui fait de la lutte contre l’abandon scolaire l’une des priorités du ministère de l’Éducation nationale, mais aussi de la société civile qui milite contre le fléau.
La précarité et l’éloignement des établissements scolaires sont les principales raisons de ce phénomène qui touche selon le ministère plus souvent le milieu rural que citadin et plus les filles que les garçons. Mais pas seulement, la plupart de ces élèves et de leurs parents ne sont pas optimistes quant à l’avenir. En effet, un grand nombre d’entre eux s’attache à l’idée que la scolarité ne représente plus une ascension sociale comme avant surtout qu’étudier n’est pas une garantie contre le chômage. Cependant, selon les chiffres du ministère de l’Éducation nationale, le taux d’abandon scolaire est passé dans le primaire de 4,6% en 2007-2008 à 3,6% en 2011-2012. Justement, selon l’association «l’Heure joyeuse», le primaire est le niveau où on enregistre le plus grand nombre de déperditions scolaire. «Les collèges et lycées sont généralement plus éloignés, ce qui pousse les parents dans le milieu rural à interdire aux enfants de poursuivre leur scolarité, surtout les filles», affirme Karim El Kerch, directeur de l’association Heure Joyeuse. C’est dans cette perspective que le ministère de l’Éducation nationale a entrepris une multitude d’actions encourageant la scolarisation des enfants et luttant contre l’abandon scolaire telles que l’Initiative royale «Un million de cartables», le programme d’aide directe aux parents : «Tayssir», le transport scolaire, les «Dour taliba» qui visent à encourager la scolarité des filles, les cantines scolaires… mais avant toutes ces actions, il y a le programme «Éducation non formelle».
Éducation non formelle
«L’éducation non formelle est définie comme toute activité d’éducation organisée et systématique, exécutée à l’extérieur du cadre du système scolaire formel pour fournir un type d’apprentissage choisi, à des sous-groupes particuliers de la population. Au Maroc ce programme a été mis en place depuis 1998, pour endiguer le phénomène de la non-scolarisation des enfants en complémentarité avec les efforts de la généralisation de l’enseignement fondamentale, tout en s’appuyant sur la mobilisation de la société civile autour de l’école», explique Hssain Oujour, directeur de l’éducation non formelle au sein du ministère de l’Éducation nationale. Et d’ajouter : «De par son volet préventif l’éducation non formelle a contribué à réduire sensiblement le taux d’abandon scolaire, essentiellement à travers l’instauration de la veille éducative au sein des établissements scolaires (primaires et collèges), avec une attention particulière aux élèves à risque d’abandon en essayant d’apporter des solutions adéquates aux difficultés pédagogiques ou autres impactant négativement le cursus de ces élèves».
Le système de l’éducation non formelle est basé sur deux volets : la prévention en favorisant la rétention et la lutte contre l’abandon scolaire via l’instauration de la veille éducative au sein des établissements scolaires et auprès des autres acteurs via la sensibilisation et la mobilisation sociale de l’environnement scolaire. Une offre de 2e chance d’éducation de base, il vise ainsi, la récupération des enfants en dehors de l’école en vue de les réintégrer dans les circuits de formation et d’éducation.
«Ces enfants appartiennent à des catégories sociales vivant l’exclusion tels que les enfants en situation difficile (enfants de la rue, enfants des centres de sauvegarde et de bienfaisance), les enfants en situation de travail précoce (petites filles dans les maisons, apprenti artisan, secteur informel… ), ainsi que les enfants des zones rurales et des zones périurbaines non scolarisés ou déscolarisés», souligne Oujour.
Aussi, selon le ministère de l’Éducation nationale, l’éducation non formelle a réalisé des résultats significatifs. Ainsi de 2007 à 2012 plus de 251 000 garçons et filles ont pu bénéficier de l’école de la 2e chance, parmi lesquels 81 278 ont réintégré un cursus normal d’éducation et de formation, dont 67 113, en enseignement formel et 14 165 en formation professionnelle.
«Les programmes de l’éducation non formelle sont mis en œuvre dans un cadre partenarial avec la société civile sur la base de conventions et contractualisation avec les délégations du ministère qui s’engagent à subventionner ces associations pour contribuer à l’exécution de leur projet éducatif. Et en plus de l’encadrement pédagogique assuré par les inspecteurs de l’enseignement formel, des formations en alternance sont programmées et exécutées à raison de trois sessions par année au profit des animateurs et des outils didactiques. Cette année, par exemple, plus de 400 conventions ont été signées avec des ONG, 180 inspecteurs engagés dans l’encadrement pédagogique de 2000 animateurs», précise le directeur de l’éducation non formelle.
Travail associatif
Les associations partenaires du ministère dans le cadre du programme de l’éducation non formelle s’engagent à offrir des services éducatifs englobant la sensibilisation des parents et du public cible pour recruter et inscrire les enfants non scolarisés dans les classes, la réalisation et le suivi des cours, l’insertion en fin de cycle des bénéficiaires dans le formel ou dans la formation professionnelle et l’accompagnement des élèves insérés.
Lutter contre l’abandon scolaire est justement le cheval de bataille de l’association «l’Heure joyeuse» qui milite depuis sa création en 1959. Dans le cadre de son engagement, l’association a mis en place plusieurs programmes visant à encourager les élèves, du milieu rural surtout, à poursuivre leur scolarité. «L’abandon scolaire est l’un des projets phares de l’association, qui a été la première à lancer les initiatives : vélos et cartables. Les cartables fournis ont pour objectif d’aider les parents en situation financière précaire et les vélos sont principalement destinés aux filles qui ont du mal à franchir le passage entre le primaire et le collège vu la distance avec l’établissement scolaire qui varie entre 4 et 12 km», indique le directeur de l’association Heure Joyeuse. Et de poursuivre : «Cette initiative est devenue une tradition lors de chaque rentrée scolaire. Rappelons que ce projet a été créé après analyse de besoins avec les partenaires en l’occurrence les associations locales».
En plus de l’opération vélos et cartables, l’association veille également à la construction et au réaménagement des écoles, avec la mise à la disposition de la population de moyens de survie (eau, électricité, pistes…), sans oublier la mise en place d’une cellule d’orientation et d’insertion professionnelle toujours dans le but de lutter contre l’abandon scolaire et l’inadéquation des formations disponibles qui freinent l’accès des jeunes au marché de l’emploi.
Initiatives personnelles
La lutte contre l’abandon et la déperdition scolaires est le souci d’un grand nombre de citoyens. C’est le cas de deux instituteurs dans la région d’Essaouira qui ont décidé d’écourter la journée scolaire pour permettre aux enfants de répondre à la demande des parents de les aider dans le travail agricole.
«Nous avons remarqué, au cours de l’année, que les enfants étaient de moins en moins nombreux aux séances de l’après-midi. Alors nous avons décidé d’établir le programme sur la matinée de 8 h à 12 h 30. Par contre, nous n’avons rien pu faire concernant le manque d’effectif. Étant les seuls enseignants de l’école, nous sommes obligés d’assurer les cours à quatre niveaux en même temps, ce qui ne permet pas aux élèves de bénéficier convenablement du programme», assure Abderrahim, instituteur.
Questions à : Karim El Kerch, directeur de l’Heure joyeuse
«La déperdition scolaire est un point noir de notre système éducatif»
Que peut-on dire concernant le phénomène de l’abandon scolaire ?
La déperdition scolaire est un point noir de notre système éducatif. Sur la base des statistiques officielles, sur 1 000 élèves inscrits pour la première fois de l’enseignement primaire, 620 arrivent à atteindre la 6e année et 380 quittent les bancs de l’école avant ce niveau. Plusieurs facteurs contribuent considérablement à la gravité de ce phénomène, tel l’éloignement des collèges par rapport aux lieux d’habitation des élèves. Ajoutons à cela le manque d’établissements scolaires dans le milieu rural avec seulement 6 970 écoles primaires et 1 381 collèges, soit un taux de couverture de seulement 46,3% de la population. Le manque de transport scolaire, de structures d’accueil et d’hébergement laisse à désirer et rend ce problème beaucoup plus complexe.
Comment participez-vous à la lutte contre ce fléau ?
Hormis notre tradition qui consiste en la distribution de vélos et cartables à chaque rentrée scolaire, nous avons également mis en place un projet de «Bus scolaire» en partenariat avec Renault, dans la région de Tanger, parce que le climat et l’architecture de la région n’encouragent pas les enfants à poursuivre leur scolarité, surtout les filles auxquelles les parents interdisent de faire le trajet à pied ou à vélo, pour une question de culture. Rappelons quand même que le nord du pays représente la région qui a le taux de déperdition scolaire le plus élevé, surtout pour les filles. Nous avons aussi élaboré des projets liés indirectement à l’éducation, mais qui ciblent aussi la lutte de l’abandon scolaire, à savoir le réaménagement et la construction des écoles, en plus de la mise la disposition de la population des moyens de survie nécessaires comme l’eau, l’électricité, les pistes, les puits… L’association veille aussi à la distribution de vêtements dans les zones enclavées. Nous avons également des projets d’assistance technique avec les associations locales sous forme de formations pour apprendre à réaliser des analyses de besoins et des rapports, et ce dans le cadre de la pérennité des projets et l’étude de leur impact sur les populations concernées.
Questions à : Hssain Oujour, directeur de l’éducation non formelle
«2,5% des enfants scolarisables restent en dehors de l’école et un nombre toujours important quitte l’école avant le terme»
Comment le programme d’éducation non formelle contribue-t-il à la réalisation de l’objectif de l’obligation scolaire jusqu’à 15 ans ?
L’éducation non formelle s’inscrit étroitement dans l’objectif de la réalisation de l’obligation scolaire jusqu’à l’âge de 15 ans et contribue dans ce cadre à travers quatre niveaux d’intervention : D’abord, le programme relatif à la lutte contre le redoublement et le décrochage scolaire à travers trois mesures : le suivi personnalisé des élèves, le soutien pédagogique à ceux en difficulté et les sessions de mise à niveau. Ensuite, l’accompagnement scolaire pour les élèves de l’éducation non formelle insérés à l’école pour mieux réussir leur parcours scolaire, «de l’insertion à l’intégration». Le programme d’éducation non formelle s’effectue également avec la mobilisation sociale et la sensibilisation pour l’appui à la scolarisation, à travers des opérations connexes : opération «Child to Child» de sensibilisation des acteurs pédagogiques directs sur la déscolarisation et associant enseignants et élèves dans l’identification des enfants non scolarisés dans l’entourage de l’école et opération «Caravane pour la mobilisation sociale» destinée aux parents, aux autorités locales et aux communes en vue de réinscrire les décrocheurs et d’orienter les non scolarisés vers les centres de l’école de la 2e chance. Enfin, par cette école de la 2e chance ciblant les enfants non scolarisés pour leur permettre d’acquérir les compétences de base en vue de leur insertion en fin de cycle de l’ENF dans l’enseignement formel, la formation professionnelle ou la vie active, selon leur profil de sortie et leur âge.
Quelles sont les perspectives des programmes de l’Éducation non formelle ?
Le ministère de l’Éducation nationale a réalisé des résultats éloquents au niveau de la généralisation de l’offre éducative et de la lutte contre l’abandon scolaire par des mesures structurelles éducatives et sociales agissant sur les facteurs menant au décrochage. Ainsi, la généralisation a atteint le taux de 97 5% chez les enfants de 6-11 ans et le taux d’abandon a été réduit de 5 5% à 3 1% dans le cycle primaire. Cependant ces chiffres signifient aussi que 2, 5% des enfants scolarisables restent en dehors de l’école et qu’un nombre toujours important quittent l’école avant le terme. Cet état de fait a poussé le ministère à prêter plus d’attention à ces enfants et à résorber, à travers les programmes d’éducation non formelle, le stock des enfants hors système d’enseignement et de formation et par là attaquer l’analphabétisme à la source et contribuer à l’éducation pour tous. Ces perspectives d’amélioration s’inscrivent dans l’avis du Conseil supérieur de l’enseignement qui a recommandé à moyen terme et de façon urgente d’assurer, d’ici 2015, un rattrapage scolaire à tous les enfants en situation de déscolarisation et à long terme, d’intégrer les programmes d’éducation non formelle, de façon irréversible, au sein du système éducatif. Dans ce cadre le ministère œuvre, à travers le slogan «l’École est l’affaire de tous», et en relation avec les questions du droit à l’éducation et de la généralisation de l’enseignement et la lutte contre l’abandon scolaire et la non-scolarisation, à présenter des alternatives éducatives en partenariat avec la société civile.
