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«Colocalisation : comment opérationnaliser et avancer plus vite ?»

Au tout début du quinquennat, le Président François Hollande avait proposé de faire de nos productions communes un élément d’approfondissement du lien France-Maroc.

«Colocalisation : comment opérationnaliser  et avancer plus vite ?»

Dans ce sens, la ministre Nicole Bricq a lancé, le 14 juillet 2012, le thème des colocalisations comme un élément de la relation bilatérale entre les rives nord et sud de la Méditerranée. Ces gestes politiques ont été suivis du lancement d’une étude, d’abord confiée à deux corps de l’État, le Contrôle général économique et financier de l’État, auquel j’appartiens, et l’ancien Conseil général des mines, que l’on appelle le CGEIET (Conseil général de l’économie, de l’industrie, de l’énergie et de la technologie). Ces deux corps ont mobilisé six personnes pour décortiquer différentes filières industrielles et regarder comment, du point de vue de l’intérêt de la compétitivité de notre économie, nous pourrions jouer cette carte de colocalisation. Le premier mars, une seconde étape a été engagée et a fait l’objet d’une lettre de mission qui m’a été adressée par Nicole Bricq portant sur l’élaboration de monographies sur les 5 pays identifiés pour faire partie de l’étude : le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, la Libye et l’Égypte.

Une révolution dans l’acte de produire Cette étude, qui n’est pas encore publiée, part de l’idée que les colocalisations sont des révolutions productives, révolutions dans l’acte de produire, et sont une opportunité pour la relation franco-marocaine. Pourquoi ?
Les colocalisations introduisent les partages des tâches au cœur de l’acte de production et elles font franchir à l’internationalisation des économies une étape qualitative. Il y a en fait 3 étapes, celle de Ricardo, qui disait qu’il y avait des pays qui fabriquaient des produits manufacturés et d’autres des matières premières, qui étaient la base du commerce international. Il y a eu ensuite le commerce intra branche : on a découvert que pour un même produit manufacturé, on pouvait commercer entre pays développés, par exemple, la France vend des voitures à l’Allemagne et en même temps elle lui en achète. À l’intérieur des branches, il peut y avoir un intérêt à commercer, notamment pour répondre à la diversité des attentes des consommateurs. On entre alors dans une nouvelle ère qui s’appelle la segmentation internationale des processus productifs. À l’intérieur d’un produit donné, il entre du travail qui est fourni dans différents pays et le meilleur exemple nous est donné par l’aéronautique et l’automobile qui sont des biens complexes avec des centaines de pièces, ce qui autorise une décomposition fine. Ce changement de production vaut pour certains secteurs plus que pour d’autres. Si on veut faire de la colocalisation un levier pour aller plus loin, il ne faut pas y mettre tout et n’importe quoi. Cela ne doit pas être un fourre-tout. Raffiner du pétrole produit ailleurs, ce n’est pas une colocalisation par exemple… Celle-ci suppose que pour un même bien, il y ait plusieurs sites situés dans des pays différents, avec chacun une part réelle de valeur ajoutée. Les colocalisations concernent surtout l’industrie manufacturière, comme l’aéronautique, l’automobile, le textile, les industries agroalimentaires, en partie, de même une partie de la chimie fine, du médicament et les services à forte teneur en savoir-faire. La grande chance qu’apporte cette révolution productive, c’est de permettre à un pays comme le Maroc d’être partie prenante à la fabrication de produits très avancés technologiquement, alors même qu’il n’a pas la technologie pour l’ensemble du cycle du produit. Pour un pays comme la France, cela offre la chance de créer plus vite des produits et services grâce aux capacités de nos partenaires et au fait que l’on ait des alliés. Chacun y gagne.

Comment cependant opérationnaliser les choses ? Il faut bien distinguer les colocalisations des investissements directs. L’essor des investissements directs a été le premier étage d’une fusée qui a commencé à unir le Nord et le Sud dans la production. Les colocalisations sont le deuxième étage. Elles supposent de réunir les conditions dont l’investissement direct a besoin et demandent encore plus de confiance mutuelle parce que chaque élément de la chaine de valeur dépend des autres. En contrepartie, cela crée plus de liens parce que l’on est dans le même processus. Le Maroc a pris en compte cet élément de confiance qui fait partie des atouts dont dispose le pays. Il faut rendre hommage aux autorités marocaines et aux chefs d’entreprise marocains pour avoir accepté cette démarche plus vite que d’autres.

Comment avancer plus vite ?
Question difficile, car cette idée de colocalisation part d’une vision moderne de l’investissement direct qui est antiprotectionniste. C’est une vision qui fait confiance au jugement des entreprises et il ne faut donc pas inventer une politique qui aboutisse à du dirigisme. L’intervention des États doit être respectueuse de la liberté des investissements. Comment concilier la nécessité d’une politique de filières avec l’autonomie des investisseurs, c’est une question importante qui met en évidence la liberté de l’investisseur dans l’investissement international, qui est plus risqué. On peut imaginer que certaines actions de soutien des États puissent être réservées aux entreprises qui ont des démarches collectives.
Les colocalisations sont un levier de compétitivité, mais il faut des colocalisations offensives pour gagner en compétitivité et pour cela il faut travailler ensemble, observer les marchés mondiaux et les tendances. Et c’est ainsi que l’on pourrait être capable de conquérir les marchés. Il faut pour cela mettre l’innovation au cœur de la démarche de colocalisation. Le Président François Hollande a donné quelques repères de méthode dans ce sens en soulignant l’importance de l’innovation. Troisième remarque, les entreprises pourront marquer des points si elles agissent groupées, si elles unissent leurs forces, dialoguent et réfléchissent ensemble à l’instar de nos partenaires allemands. La capacité d’agir collectivement est un point extrêmement important. Le quatrième élément, c’est qu’il faut associer les PME qui sont importantes pour le développement de nos deux pays et qui peuvent favoriser le métissage économique et le partage des process de production.

On peut envisager que les PME engagées dans des colocalisations bénéficient de soutiens pour mieux acquérir les process. Les colocalisations nécessitent de la logistique, des process et donc une coopération renforcée.
L’un des pièges de la colocalisation, c’est que l’on en fasse un fourre-tout, le deuxième piège c’est de croire que parce que l’on va travailler ensemble, tout sera réglé. Il faut trouver des modalités de partenariat et de dialogue. C’est au niveau des secteurs, des clusters et des entreprises que ce dialogue sera le plus efficace. C’est là que l’on pourra jeter une passerelle entre les politiques publiques et l’investisseur. Le travail des groupes sectoriels en 2012 constitue une expérience précieuse parce que l’on est dans une politique collective avec les chefs d’entreprise. Le travail conjoint est important, amis, cela suppose que chacun fasse son «homework». Cela suppose que nous, Français, soyons capables de nous organiser pour avoir des branches dynamiques, même chose du côté marocain. Si l’on veut faire du partage de valeur ajoutée, ce sont les entreprises qui doivent se positionner dans la chaine de valeur, en sachant ce qui est bien pour elles. C’est cela qui va préparer la qualité du dialogue de demain et qui fera que les fruits passent la promesse des fleurs.

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