Menu
Search
Vendredi 10 Mai 2024
S'abonner
close
Vendredi 10 Mai 2024
Menu
Search
Accueil next Fête du Trône 2006

«Équité et efficacité fondent la confiance entre les citoyens et l’impôt»

Pour Abdelatif Zaghnoun, directeur général des Impôts, les assises qui s’ouvrent aujourd’hui constituent une étape importante dans le processus de modernisation du système fiscal. Le système fiscal marocain actuel date de 1984 avec l’adoption d’une loi-cadre, articulée autour de trois principaux impôts : la TVA qui remplaçait en 1986 la taxe sur les produits et services, l’impôt sur les sociétés et l’impôt sur le revenu. Cette réforme avait été mise en place à la suite de la politique d’ajustement structurel qui imposait d’améliorer le rendement fiscal pour faire face notamment aux charges de la dette extérieure.

«Équité et efficacité fondent la confiance entre les citoyens et l’impôt»
Abdelatif Zaghnoun, directeur général des Impôts

30 années plus tard, dans un contexte semblable, avec un déficit budgétaire de plus de 7%, des recettes fiscales en baisse, il serait temps de finaliser une «réforme fiscale performante». Les grandes lignes de cette réforme seront au centre des discours d’ouverture du Chef du gouvernement, Abdalilah Benkirane, et de Nizar Baraka et de clôture d’Idriss Azami Al Idrissi. Sans parler de la mise à plat du système dont le socle, l’impôt sur le revenu (IR), l’impôt sur les sociétés (IS) et la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), sera préservé, on peut s’attendre à des réajustements d’envergure. Dans quel sens ? celui d’une plus grande équité avec l’élargissement de l’assiette fiscale mieux répartie et accompagnée d’une réduction des niches fiscales de plus en plus mal acceptées. Dans le sens aussi d’un système qui soutient la solidarité nationale et la compétitivité économique, car l’impôt peut être, comme le soulignera Christine Lagarde en duplex aux Assises, «un levier de développement économique et social». Pour cela, il faut rétablir «la confiance» entre les contribuables et l’impôt, car comme le souligne notre confrère et économiste Larbi Jaidi : «Sans impôts démocratiquement consentis, il ne peut exister de destin commun et de capacité collective à agir».

Le Matin : Depuis 2010, vous avez animé une série de rencontres et de séminaires sur la fiscalité avec différentes institutions et corporations, mais vous avez également beaucoup «écouté» en interne. Pour aborder une nouvelle étape et réformer progressivement le système, quelle inflexion forte avez-vous tirée
de la remontée d’informations ? Quelles devraient être selon vous les axes de la réforme ?
Abdelatif Zaghnoun : Tout nouvel élan de réforme doit tenir compte de trois points d’amélioration affectant l’efficacité et l’efficience du système fiscal. Le premier point, c’est qu’il existe un important potentiel fiscal encore non exploité, inhérent à une faible culture du civisme fiscal au sein de la société et se traduisant par une forte concentration des recettes fiscales sur un nombre limité de contribuables.
Le deuxième constat c’est qu’il existe nombre de distorsions économiques alimentées par la multiplication des dépenses fiscales, par le manque de neutralité de la TVA pour les entreprises, par la multiplication des modes de calcul de l’Impôt sur le revenu… Le troisième point, qui nécessite un travail de fond auquel je me suis attelé dès mon arrivée dans cette grande administration, a trait à un aspect de culture, c’est l’insuffisance de confiance des citoyens vis-à-vis du système fiscal, due en partie au déficit de communication des administrations et à une perception négative à l’égard du pouvoir d’appréciation de l’administration fiscale.
Les mutations sociales et institutionnelles que connaît notre pays et qui érigent les principes d’équité et de bonne gouvernance appellent avec force le traitement de ces dysfonctionnements.
Elles appellent également l’instauration d’un système fiscal au service d’un développement socio-économique solidaire et respectueux de l’équilibre budgétaire.
Équité, efficacité
et confiance

Vous avez évoqué un point important, celui de la culture du civisme fiscal, qui passe par l’amélioration des relations avec les usagers, mais aussi par leur adhésion au système fiscal qui doit tenir compte à la fois de leurs besoins et de leurs attentes. Tout changement de culture passe avant tout par les usagers qui pourront ainsi devenir acteurs de la transformation. Quelles sont, selon, vous les lignes force attendues pour toute réforme ?
Les concertations menées avec nos partenaires nous ont permis de dégager trois dimensions : un système fiscal équitable, où chaque citoyen ou entreprise contribue à hauteur de ses capacités ; un système fiscal moteur d’un développement socio-économique volontariste et pérenne : le système doit soutenir la compétitivité des entreprises et permettre à l’État de poursuivre ses politiques de développement du pays ; un système fiscal reposant sur une relation de partenariat et de confiance entre administration et citoyens.

Prenons chacune de ces dimensions, qu’entendez-vous par système fiscal équitable ?
Un système qui replace le civisme fiscal au centre de ses préoccupations. L’incivisme fiscal et la prolifération des activités informelles sont aujourd’hui à la base d’importants déséquilibres nuisant à l’équité du système fiscal. Afin d’adresser cette problématique, il est proposé d’adopter une imposition reflétant les capacités contributives des petites et moyennes entreprises et les encourageant à adopter une culture du civisme fiscal (mise en place, pour les TPE et les PME, de taux d’imposition et de règles de détermination de l’assiette fiscale adéquats, révision des règles de la cotisation minimales, etc.). Il s’agit également de mettre en place un dispositif efficace de répression de la fraude fiscale en renforçant les moyens d’action de l’administration fiscale afin de lui permettre d’exercer pleinement ses missions. Parallèlement à ces mesures, il est recommandé de mettre en place une politique globale et concertée pour adresser les enjeux soulevés par le développement de l’informel, qui dépasse le simple cadre de la fiscalité.

À revenu égal, impôt égal ?

L’élargissement de l’assiette passe également par la suppression des systèmes dérogatoires, des dérogations fiscales qui privilégient certaines catégories et qui minent la relation de confiance entre les citoyens et l’impôt. On est bien loin du principe «à revenu égal, impôt égal». Quelle est votre analyse sur ce point précis ?
La réforme passe effectivement par la mise en œuvre d’un système répartissant plus équitablement la charge fiscale et limitant les distorsions concurrentielles. Concernant les personnes morales, le développement de l’équité passe notamment par la réduction des distorsions concurrentielles induites par la multiplicité des dépenses fiscales consenties. Un juste équilibre entre neutralité du système fiscal et soutien aux entreprises doit donc être trouvé, et ce, à travers la rationalisation du système des exonérations. Concernant les personnes physiques, la réforme fiscale doit tendre vers une imposition plus équitable des individus, quelles que soient leurs sources de revenu (capital ou travail). En ce sens, il faut poursuivre la révision des taux d’impôt sur le revenu pour assurer une cohérence de la taxation des différentes sources de revenus des personnes physiques.

La deuxième dimension est celle de la compétitivité constamment mise en avant par les milieux du patronat qui soulèvent la question de l’attractivité. Qu’entendez-vous par un système fiscal soutenant la compétitivité du tissu économique ?
La question de la compétitivité dépasse largement le cadre de la fiscalité, celle-ci doit aller dans le sens de l’amélioration de l’environnement des affaires et offrir de la visibilité aux opérateurs économiques sur l’évolution future du système fiscal. D’autre part et suite à l’élargissement de l’assiette et à la concrétisation du potentiel fiscal, il s’agira de poursuivre une politique de baisse des taux d’imposition et de rationalisation des règles de détermination de l’assiette fiscale, propices au développement de la compétitivité des entreprises à l’échelle mondiale. La fiscalité doit également être adaptée à la réalité du tissu des entreprises, dont 95% sont des PME et des TPE. La fiscalité mise en place (taux, assiette et cotisation minimale) devrait être en adéquation avec les capacités contributives des petites et moyennes entreprises. Pour favoriser la consolidation du tissu des entreprises, il faudrait minimiser l’impact fiscal sur les opérations de restructuration du tissu économique (révision de la fiscalité des opérations de fusion-acquisition-transmission d’entreprises). L’État doit veiller également à ce que la fiscalité n’entrave pas la performance des entreprises en grevant leur trésorerie. L’atteinte de cet objectif fait de la réforme globale du système de la TVA un chantier à traiter de manière prioritaire : la généralisation du droit à déduction, la résolution du problème du butoir, l’amélioration des conditions de remboursement et la simplification du système par l’adoption d’un nombre réduit de taux de TVA sont les principales actions à mettre en œuvre dans le cadre d’une telle réforme. Pour accompagner le développement économique de notre pays, il faudrait aussi réviser la fiscalité de l’épargne longue et des nouveaux instruments financiers afin de mobiliser davantage de ressources pour le financement des entreprises.

La culture du civisme passe par la confiance

Dès votre arrivée dans cette administration, vous vous êtes attelé à travailler sur un volet très important, dites-vous, celui de la relation de confiance entre l’administration fiscale et les contribuables. Une relation qui passe par les chantiers mis en place, comme la simplification des textes, la transparence ou la dématérialisation fiscale dont le but est d’améliorer les rentrées fiscales.
Que pouvez-vous nous dire sur ce point précis ?
L’instauration d’un climat de partenariat et de confiance entre administration fiscale et citoyens est un des grands objectifs de la réforme fiscale. L’atteinte de cet objectif passe par la valorisation et la poursuite des efforts déployés par l’administration fiscale pour améliorer la qualité de ses services au contribuable. Il s’agit de rééquilibrer la relation de pouvoir entre administration fiscale et contribuable, notamment en encadrant le pouvoir d’appréciation de l’administration, en clarifiant les textes fiscaux, en améliorant les procédures de contrôle, de sanction et de recours, ou encore en promouvant l’éthique au sein de l’administration et auprès des citoyens. Il est tout aussi important de crédibiliser le système fiscal dans sa globalité en adoptant une approche plus ouverte de communication sur les recettes fiscales et leur utilisation par les pouvoirs publics. Une telle démarche nécessite de la part du citoyen l’adoption d’une culture du civisme fiscal. Ce n’est, en effet, que dans le cadre d’un engagement réciproque entre administration fiscale et société civile qu’une véritable dynamique de réforme pourra être engagée allant dans le sens d’un système fiscal juste, équitable et favorisant le développement de notre pays.

Vous avez consacré votre dernière rencontre publique au contrôle. Un contrôle que beaucoup d’usagers appréhendent ?
Notre objectif, c’est la sécurité juridique des contribuables. Tout avis de vérification est accompagné par la Charte du contribuable, un guide simple et pratique qui rappelle les droits et obligations du contribuable et les démarches à suivre. Le contribuable a également d’autres recours devant les instances d’arbitrages comme la CLT et la CNRF ou devant des tribunaux compétents. La sécurité juridique se fonde sur certains principes comme la présomption de bonne foi, la reconnaissance du droit de contrôle de l’administration, la garantie de contrôle selon une procédure légale, le droit de défense selon une procédure contradictoire et le droit d’être assisté par un conseil de choix. Le système fiscal marocain est un système déclaratif basé sur la déclaration et le paiement spontané des droits correspondants et sur la confiance. Les déclarations et documents comptables déposés sont présumés exacts et réguliers tant que leur validité n’a pas été remise en cause dans le cadre d’une vérification dument engagée qui contribue à une maitrise des risques. En renforçant la confiance, le degré de fidélité des contribuables à leurs obligations fiscales s’améliore, ce qui consolide la justice fiscale et les ressources budgétaires. Dans ce sens, nous avons travaillé à améliorer la qualité du service, la prise en charge des contribuables dans les bureaux d’accueil avec la mise en place d’outils qui facilitent l’accès à l’administration. Nous avons également travaillé sur de nouveaux modes opératoires qui visent des contrôles ponctuels, intelligents et simplifiés, et ce, tout en améliorant le système d’évaluation des risques.
Nous travaillons à renforcer cette politique du long terme. 

Lisez nos e-Papers