Le Matin : Vous étiez fin mai à Washington à l’occasion de la première rencontre des investisseurs marocains résidant aux États-Unis «CEO SUMMIT 2013». Quelle est l’importance d’un tel événement pour le groupe BMCE Bank ?
M’fadel El Halaissi : L’importance de cet événement aussi bien pour le Maroc que pour notre groupe est qu’il permet de promouvoir les opportunités d’investissements dans le Royaume, notamment auprès des Marocains résidant aux États-Unis. Dans cette grande économie mondiale, nous observons la présence d’une communauté marocaine très active et très fertile en termes d’entrepreneuriat et d’investissement. Sur les 300 000 Marocains résidant aux États-Unis, plus de la moitié sont des hommes d’affaires, des chefs d’entreprises ou de hauts cadres. La rencontre, organisée par l’association Moroccan American Network (MAN), a été en outre une occasion pour faire connaitre le Maroc auprès des investisseurs et décideurs américains. Environ 200 personnes y ont participé entre acteurs économiques, banques de la place, mais aussi des politiciens, dont le Congressmen Jim Moran, un grand ami du Maroc. BMCE Bank était donc là pour les écouter, mais aussi pour leur dire que nous sommes là pour les soutenir dans leurs investissements Maroc.
Sur quoi a porté votre intervention lors de cette rencontre ?
Mon intervention avait pour objectif d’expliquer, d’une part, pourquoi investir au Maroc, et maintenant, et d’autre part, pourquoi investir au Maroc avec le groupe BMCE. Je leur ai présenté, d’une manière générale, 4 raisons fondamentales pour investir au Maroc. J’ai d’abord mentionné l’importance de la situation géographique de notre pays vis-à-vis d’un grand marché européen de 500 millions de consommateurs. Mais aussi en tant que pays qui se trouve dans la continuité du monde arabo-musulman, donc le marché de la région MENA, et au nord de l’Afrique, le continent qui enregistre actuellement les meilleurs taux de croissance économique dans le monde. Ensuite, j’ai évoqué le facteur stabilité et sécurité dont bénéficie le Maroc. Pour les investisseurs étrangers, il est important de souligner l’environnement politique et social stable afin de les rassurer. C’est pour cette raison d’ailleurs que j’ai tenu à leur souligner que notre pays existait en tant qu’État depuis plus de 12 siècles et que la Monarchie régnante aujourd’hui a plus de 3 siècles. Puis, il est intéressant d’investir au Maroc parce que c’est aujourd’hui un pays émergent qui a enregistré un taux moyen de croissance de 5% ces 10 dernières années. Et parce que les critères macroéconomiques restent très raisonnables. C’est aussi un pays qui consacre 30% de son PIB à l’infrastructure et à l’investissement. Sa formation brute de capital fixe est aujourd’hui de l’ordre de 300 milliards de DH annuels pour un PIB de 900 milliards. C’est donc un pays dynamique, qui mise sur l’avenir et qui est confiant. Enfin, un autre facteur qui permet aux Américains de venir investir chez nous est que notre pays a signé d’importants accords avec plusieurs économies dans le monde, dont l’ALE avec les États-Unis mêmes, mais qui reste malheureusement peu utilisé de l’autre côté de l’Atlantique.
Quelle a été la réaction de l’audience ?
Il y avait deux catégories. L’une qui découvrait notre pays et l’autre qui le connaissait, mais qui avait besoin d’être rassurée et informée davantage pour venir investir. Il faut dire que le regard que portent certains sur le Maroc est un peu biaisé, car non ou mal informés des changements intervenus ces dernières années. Or le Maroc a remarquablement changé les 10 dernières années sur tous les plans. Les deux catégories ont très bien reçu le message et les premiers échos sont très favorables. J’ai eu l’occasion de découvrir une communauté très intéressante dont la valeur ajoutée pour le Maroc et pour la banque est indiscutable. Ma première réflexion est que nous avons peut-être tardé à aller vers eux. Il faut désormais les mettre au courant des évolutions politiques, sociales, économiques et même bancaires, car il faut qu’ils sachent que nous avons toutes les qualités de Wachovia bank, Bank of Boston ou Bank of America.
Allez-vous vous rattraper et donc vous installer aux États-Unis ?
Pour l’instant, aucune banque marocaine n’est présente physiquement aux États-Unis. Les idées se développent aujourd’hui avec la volonté du président du groupe, Othman Benjelloun, de développer un groupe bancaire au service d’un partenariat euro-maroco-africain élargi à d’autres régions comme la Chine et les États-Unis. Le projet pourra porter au début sur la création d’un bureau de représentation, à l’instar de ce que nous avons fait à Pékin. Ce bureau a une mission beaucoup plus d’information et d’instruction des investisseurs potentiels. Mais il permet aussi d’établir des contacts, d’ouvrir des comptes au Maroc et de proposer des facilités administratives.
À quand la concrétisation de ce projet ?
La réflexion est en cours. Nous allons en discuter avec notre président. Des suites favorables ne sont pas à écarter. Nous suivons de près ce que font notamment les Marocains là-bas et, «why not», si le potentiel est très important, nous pouvons même créer un réseau d’agences à l’instar de ce que nous avons fait en Europe. Aujourd’hui, je rappelle que nous disposons d’une vingtaine d’agences avec deux filiales en Europe, l’une à Londres et l’autre à Madrid. Leur mission est d’aider les Marocains à rapatrier leurs économies dans leur pays d’origine et à y réaliser des investissements. Mais il est évident que l’idée d’installer un Desk est plus que nécessaire de part et d’autre.
Outre le marché des MRE, il y a aussi les échanges commerciaux entre les deux pays. Qu’est-ce qui empêcherait de voir BMCE, par exemple, à Manhattan dans la 5e Avenue ?
C’est une question d’opportunités d’affaires. On n’est pas des mécènes, mais des businessmen, d’autant plus que les banques doivent respecter certains ratios. Il est vrai qu’il y a 6 ans, le commerce extérieur avec les USA ne représentait que 4% dans le total des échanges commerciaux avec le monde. Aujourd’hui, il a évolué à environ 12%. Mais dans ce commerce, il y a beaucoup d’énergie, de phosphate et des produits classiques. Nous aspirons à ce que le business se développe désormais dans d’autres secteurs.
Quelles sont les activités qui intéresseraient donc les Américains ?
C’est l’un des axes qui a été largement abordé lors de cet événement. Il y a bien évidemment tous les secteurs du plan Émergence qui sont aujourd’hui devenus un exemple de réussite, dont l’automobile, l’aéronautique, mais aussi des secteurs en pleine croissance, notamment les nouvelles technologies, l’offshoring et la logistique. Nous avons donné des exemples de grands groupes qui ont déjà fait confiance au Maroc. Certains participants ont été agréablement surpris d’apprendre que Boeing sous-traitait au Maroc. En outre, l’agroalimentaire pourrait être un secteur attractif pour les Américains et les Marocains résidant aux USA, d’autant plus qu’il a été renforcé par le Plan Maroc Vert. Ce dernier a au moins triplé les surfaces arables et cultivables et présente des opportunités très intéressantes d’investissement, d’autant plus que le Maroc est le pays le plus riche en phosphate, d’où une importante production de fertilisants. Les opportunités existent donc, toutefois il faudra capitaliser sur l’ALE et ses avantages pour les Américains.
Quel rôle peut jouer BMCE Bank à ce niveau et comment compte se positionner le groupe ?
Notre présence à cet événement témoigne, entre autres, que nous avons la volonté d’accompagner les investisseurs américains, notamment d’origine marocaine, et les inciter à investir au Maroc. Nous leur avons clairement dit que la BMCE non seulement leur assurait le financement, mais leur offrait aussi tout ce qui est conseil et accompagnement, en mettant à leur disposition des cellules spécialisées dans plusieurs domaines. En plus, je leur ai également précisé que la création d’une joint-venture avec des partenaires locaux pourrait être une formule intéressante pour approcher le marché marocain. J’ai dit : «si vous voulez réaliser ce genre de partenariat, dites-nous le profil recherché et nous nous en occuperons en garantissant de trouver le meilleur. Le groupe peut leur offrir par ailleurs d’aller en Afrique en toute sécurité et d’utiliser le Maroc en tant que hub vers le continent où BMCE est implantée dans plus de 20 pays et où nous comptons nous développer dans 2 à 3 nouveaux pays par an.»
Qu’en est-il maintenant des Marocains souhaitant aller sur le marché américain ?
Nous avons des clients exportateurs, notamment des producteurs de tomate qui ont réussi à pénétrer ce marché qui, soulignons-le, est très difficile et exige des labels FDA (Food Department Administration, ndlr) très stricts. Néanmoins, nous devons prospecter davantage les Marocains qui peuvent réussir aux USA à travers des niches, par exemple dans le secteur agricole, notamment dans l’huile d’olive. Nous avons des clients italiens qui importent de l’huile d’olive marocaine en vrac et qui l’emmènent en Italie pour la mélanger avec la leur – pour plus d’arôme – et la vendre avec succès sous un label italien aux États-Unis. Pourquoi donc ne pas créer nous-mêmes directement un réseau de distribution de produits agroalimentaires sur ce marché ? Le groupe BMCE est prêt à les financer et les accompagner, car nous sommes persuadés que dès que nous aurons un réseau de distribution bien ciblé aux États-Unis, ou dans quelques États de ce pays, nous pouvons aider à créer des success-stories. Car le potentiel existe et le marché aussi. Reste à initier le projet et à créer une logistique maritime et aérienne.
BMCE Bank va-t-elle prendre l’initiative de promouvoir elle-même le Maroc et le groupe sur le marché ?
Notre président Othman Benjelloun, à titre personnel, ou en tant que président du groupe, ou encore du Conseil maroco-américain depuis des années, promeut le Maroc auprès des investisseurs et des décideurs américains. Le président vient de recevoir en mai dernier la distinction d’Honorary Trustee du Center For Strategic And International Studies, pour la grande contribution à ce Centre (Centre des études stratégiques et internationales, dont le président d’honneur est le Dr Henry Kissinger, ancien secrétaire d’État américain aux Affaires étrangères, et qui représente un centre de réflexion et d’influence majeure sur la politique étrangère et de sécurité des États-Unis d’Amérique, ndlr). De notre côté, nous continuerons après ce «CEO SUMMIT 2013» de développer les contacts déjà établis avec les investisseurs marocains qui ont émis le souhait de venir investir au Maroc. Mon autre souhait est qu’une joint-venture soit créée entre un groupe américain et un autre marocain venant des États-Unis pour monter un projet au Maroc et le réussir. Et à partir de là, créer un effet de levier pour d’autres projets. Le challenge aujourd’hui c’est : comment faire en sorte d’attirer ces investisseurs ?
Peut-être que votre filiale londonienne BBI a un rôle à jouer puisque les fonds américains sont très présents à Londres ?
BMCE Bank International est pour nous le pivot de toutes ces stratégies africaines, notamment le financement international de projets en Afrique, y compris le Maroc. La création de BBI s’imposait, car nous voulions créer une banque qui canaliserait des capitaux et les orienterait vers des projets d’infrastructure et d’envergure sur le continent africain. Passer par BBI est quasi évident. Si demain j’ai un promoteur américain qui veut venir investir x millions de dollars au Maroc pour le marché local ou étranger, le financement par devise se fera par BBI. Je dois signaler que Londres, à travers la City, attire entre 20 et 25% des flux des États-Unis, essentiellement des fonds d’investissements américains installés sur place. D’ailleurs, au niveau de l’émission que nous sommes en train de réaliser et qui concerne un emprunt obligataire en devises de 500 millions de dollars sur les marchés de capitaux internationaux, je suis persuadé qu’une grande partie proviendra des fonds américains installés à Londres et à Genève. Enfin, je dois signaler que nous ne sommes pas absents du marché américain. Nous avons déjà des partenariats avec des banques de la place depuis des années. Nous avons à peu près 5 grands partenaires dont Wachovia et Bank of America. Ce sont des banques qui ont fait et font toujours confiance à la BMCE.
