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L’avortement clandestin prend de l’ampleur

La polémique sur la légalisation de l’avortement continue. Plusieurs médecins, ayant pratiqué ce genre d’opérations illégales, ont dernièrement été condamnés à la prison ferme.

L’avortement clandestin prend de l’ampleur
Au moins 500 à 600 avortements sont pratiqués chaque jour.

Dans certains cabinets de médecins, la pratique de l’avortement clandestin est de plus en plus répandue malgré le fait qu’elle est interdite par la force de la loi. En effet, le code pénal punit l’avorteur et l’avortée ainsi que les personnes intermédiaires. Un seul cas d’avortement est autorisé par l’article 453 qui stipule que : «l’avortement n’est pas puni lorsqu’il constitue une mesure nécessaire pour sauvegarder la santé de la mère et qu’il est ouvertement pratiqué par un médecin ou un chirurgien avec l’autorisation du conjoint. Si le praticien estime que la vie de la mère est en danger, cette autorisation n’est pas exigée». Toutefois, les médecins qui pratiquent l’avortement risquent d’entacher leur carrière professionnelle et des années d’emprisonnement au cas où ils seraient découverts par les autorités, ce qui a été le cas récemment d’un médecin exerçant à Fkih Ben Salah et accusé d’avoir procédé à des opérations d’avortement clandestin.

Ce dernier a, en effet, été condamné par le tribunal de première instance de la ville à dix ans de prison, dont six ferme. Et ce n’est pas tout, la juridiction a également interdit à l’accusé d’exercer à vie sa profession. La secrétaire du médecin a, quant à elle, écopé de cinq ans de prison, dont six mois ferme, pour le même chef d’accusation, alors que quatre autres jeunes filles, âgées de 20 à 28 ans, poursuivies dans le cadre de cette affaire, ont été condamnées chacune à une année de prison, dont quatre mois ferme, pour avortement clandestin et atteinte aux mœurs. Cette histoire vient donc rouvrir le débat sur la légalisation ou non de l’avortement et révolte autant les professionnels de la santé et la société civile, que certains politiciens. «Le cas du médecin de Fkih Ben Salah n’est pas le premier dans son genre. Les condamnations des médecins pour avortement se sont multipliées ces derniers mois. Au niveau de l’association, nous avons compté au moins six répressions de ce type dans différentes villes», s’indigne Chafik Chraibi, gynécologue, obstétricien et président de l’Association marocaine de lutte contre l’avortement clandestin (AMLAC). Et de poursuivre : «Cette situation est ridicule. Il y a des centaines de médecins qui pratiquent l’avortement et les condamner pour cela ne va pas arranger la situation où réduire le phénomène, bien au contraire. Si l’on met tous les médecins en prison, les femmes se retourneront vers les moyens artisanaux, ce qui peut être très grave».

Une indignation partagée par Nouzha Skalli, députée au Parlement et ex-ministre du Développement social, de la famille et de la solidarité. «Je ressens un grand malaise et une compassion surtout après le grand débat qui a été soulevé dans la société par la question de la légalisation de l’avortement. La justice en l’occurrence s’est contentée d’appliquer la loi, mais cette dernière est clairement injuste, inadaptée aux réalités d’aujourd’hui et autiste à l’égard des souffrances des jeunes filles victimes de grossesses non programmées. Je suis triste également pour le médecin et son assistante. Après tant d’années d’études, et pour avoir porté secours à des femmes en détresse, il passera de nombreuses années en prison à l’heure où notre pays souffre cruellement de manque de médecins», indique-t-elle. Et de souligner : «Par contre, on pourrait parfaitement interpeller le juge sur la question suivante : le fait de condamner les jeunes femmes enceintes pour avortement clandestin et atteinte aux mœurs n’est-il pas en contradiction avec l’égalité entre les hommes et les femmes consacrée par la Constitution du pays ? En effet, comment peut-on accepter que les femmes victimes de grossesses subies soient condamnées alors que les hommes auteurs de la grossesse ne sont nullement inquiétés et par conséquent encouragés à faire de nouvelles victimes ? Je ne peux m’empêcher de penser que si notre pays avait amendé la loi sur l’avortement, comme n’ont cessé de le réclamer de si nombreux acteurs médicaux, politiques et associatifs, tous ces gens seraient probablement aujourd’hui libres et non pas en prison !».

L’ex-ministre s’était prononcée en faveur d’une légalisation de l’avortement dans les cas extrêmes, notamment le viol, l’inceste ou les malformations profondes du fœtus, lors d’une rencontre organisée dans ce cadre en 2011 et un projet de loi avait été annoncé. Une position qui avait soulagé les professionnels de la santé et les membres de la société civile, dont certains ont participé à l’élaboration dudit projet. «J’ai personnellement participé à la préparation de ce projet de loi, mais je compte en présenter un autre qui légalise l’avortement de manière plus large et non seulement quelques cas précis, parce que ces derniers ne représentent que 5% des cas d’avortement enregistrés, sachant qu’au moins 500 à 600 avortements sont pratiqués chaque jour», affirme Chraibi, qui précise que l’objectif de ce nouveau projet est de demander le respect de l’article 453 du Code pénal, mais selon les normes de l’Organisation mondiale de la santé.

«La santé, selon l’OMS, n’est pas que physique, elle est également psychique et sociale. Nous voulons que le législateur prenne cette définition en considération. Aussi selon les chiffres de l’OMS, 13% des cas de la mortalité maternelle sont dus à l’avortement clandestin», explique-t-il. Il faut dire que l’avortement clandestin peut avoir des conséquences tragiques sur la santé et la vie de la mère, comme les risques d’hémorragie, les infections, les intoxications, le tétanos, le délabrement de l’appareil génital… sans oublier les conséquences sociales, comme le suicide et les crimes d’honneur. «Je ne suis pas pour l’avortement, mais je suis pour la santé de la mère et celle de la société. Je ne considère pas l’avortement comme une solution, mais je pense que c’est la moindre solution. C’est la raison pour laquelle je milite pour le légaliser», conclut le président de l’AMLAC.


Questioins à : Nouzha Skalli, députée au Parlement et ex-ministre du Développement social, de la famille et de la solidarité

«L’État devrait assumer ses responsabilités pour la protection de nos filles»

Qu’en est-il concernant le projet de loi visant à légaliser certains cas d’avortement ?
Notre groupe parlementaire, le groupe du progrès démocratique, a déposé, récemment, une proposition de loi sur la violence fondée sur le genre. Elle comporte des dispositions pour dépénaliser l’avortement, en réservant les sanctions pénales à l’encontre de ceux qui effectuent un avortement sans le consentement de la femme. Cette proposition de loi devra être examinée par le Parlement lors de la prochaine session parlementaire d’avril. J’espère de tout mon cœur que les parlementaires auront le courage de mettre fin aux conséquences dramatiques des avortements clandestins qui se comptent par milliers chaque année en permettant un assouplissement de la loi sur l’avortement de telle sorte que cette opération soit pratiquée dans le cadre de la loi et dans des conditions sûres pour les femmes et pour les professionnels de santé.

Quelles sont les conséquences de l’avortement illégal au Maroc ?
La société civile et les professionnels de santé n’ont cessé de dénoncer les conséquences dramatiques des avortements clandestins sur la vie et la santé des femmes et qui sont pratiqués par centaines chaque jour. Les conséquences des grossesses non désirées sont terribles pour les femmes : mères célibataires parfois mineures, parfois aussi victimes de viol ou d’incestes. Les conséquences sont aussi terribles pour les enfants nés de ces grossesses, abandonnés, tués, stigmatisés, parfois handicapés du fait des tentatives d’avortement non abouties.
La société également subit des conséquences graves à travers un grand nombre de femmes et d’enfants en situation de précarité. Bien sûr des efforts sont déployés dans le cadre de l’INDH pour leur prise en charge en partenariat avec la société civile, mais on ne peut ignorer que ces catégories ne font l’objet que d’un intérêt très limité par les politiques sectorielles.

Comment pensez-vous qu’on peut réduire le nombre de cas d’avortement, surtout en ce qui concerne celui qui touche les jeunes filles ?

L’État devrait assumer ses responsabilités pour la protection de nos filles à travers deux approches en amont.
- Renforcer la protection des filles contre la violence et le harcèlement sexuel en adoptant une législation ferme contre la violence fondée sur le genre.
- Il s’agit aussi d’adopter une législation contre le travail domestique des fillettes qui les met dans une situation vulnérable et les expose à toutes formes de harcèlement sexuel et de violence.
- Un autre aspect de la prévention des grossesses non désirées est l’information en santé reproductive et l’éducation sexuelle des jeunes filles et garçons dès leur plus jeune âge. Il s’agit de décomplexer ce concept, car il ne s’agit nullement de le faire dans l’esprit de les encourager à des relations sexuelles précoces, mais au contraire pour leur faire prendre conscience de leur responsabilité, qu’ils soient filles ou garçons, et ainsi éviter les drames des grossesses non désirées.

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