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Entre la Crise et le Kairos

Le terme de crise en chinois provient de l’association de deux notions : danger et opportunité, et un des observateurs rappelait que «la confrontation de ces deux notions devient plus parlante et plus dynamique : elle montre l’opportunité qu’induit la crise». En effet, ne pas tenter de saisir l’opportunité de la crise, c’est tout simplement laisser passer sa chance, peut-être cachée, mais à portée de main, et ne plus entreprendre.

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C’est ce mot d’ordre que l’on retrouvera dans toutes les interventions qui appellent à l’action, après avoir analysé et décrypté sous toutes ses formes le phénomène de la crise. On retiendra, pour nous résumer, la définition reprise par un historien de l’économie, Philipp Chalmin, professeur et fondateur de Cyclope, qui rappelle que la crise «c’est l’explosion aigüe d’un état morbide antérieur». «Nous sommes, dit-il, à la troisième grande crise majeure du monde contemporain, après celle de 1929 qui se termina par une guerre mondiale, après celle de 1973 et celle de 2008, toutes ces crises étant intervenues après une période d’euphorie. Une constante à ces crises qui aboutissent à de profondes ruptures, c’est la critique du marché qui devient le bouc émissaire. Alors même, dit ce spécialiste des marchés des matières premières, qu’il faut écouter les marchés qui jouent un rôle indispensable à toute planification, qui amplifient nos faiblesses, ces marchés miroirs de nos déséquilibres et amplificateurs de nos faiblesses.»
Les regards croisés des experts qui sont intervenus au Forum ont montré tous les mérites de l’action et a contrario les risques de l’inaction. L’exemple des Qataris, nouveaux acteurs au Moyen-Orient qui, en investissant en Europe, veulent diversifier leurs sources de revenus et créer des points de repère internationaux pour mieux résister aux influences de «l’Arabie saoudite et de l’Iran rappelle le bien-fondé d’une économie qui se diversifie pour devenir une économie productive». D’autres exemples des pays d’Amérique latine, développés par Jorge Arguindegui, sont de même tonalité. Tous ces pays émergents, comme celui de Singapour et de la Corée du Sud, présentés par Abdelhak El Khair El Idrissi, directeur d’ingénierie à Renault Samsung Motors en Corée du Sud, qui nous rappelle que ces deux pays sont passés en deux générations de pays pauvres à puissances économiques. Grâce à la formation du capital humain, à une ouverture de leurs économies à une bonne gouvernance, à leur capacité de réagir à la crise.

Un autre exemple nous aura été donné par le directeur de la Caisse de dépôt et de gestion qui a su, au lendemain des turbulences qu’ont connues les économies de notre région, initier une réflexion interne au sein de l’institution poser les vrais questionnements pour sérier les modes de gestion, les modes de gouvernance qu’il faut et se remettre en question. Après le constat des risques et des incertitudes, plus difficiles à appréhender, les systèmes de gouvernance et de prise de décision sont passés au peigne fin avec un mot d’ordre : ne pas rester bloqué dans l’inaction en laissant le temps passer, agir sans se laisser immergé dans la complexité du quotidien qui est le lot de tout manager. Agir après concertation et écoute attentive des managers, pour créer plus d’entropie en tenant compte des fondamentaux invariants qui sont toujours là et qui optimisent toutes les situations : croissance économique, création de richesse, notamment en Afrique, nouvelle frontière de croissance pour qui sait saisir les opportunités, demain ouverture des frontières avec l’Algérie... Il reste qu’il ne s’agit pas d’un optimisme béat, car il faut planifier et surtout, répète M. Alami, rester vigilant face aux possibilités de ruptures conjoncturelles, l’économie marocaine fonctionnant en interaction avec l’international. Tout process de business planing doit être enrichi de scénarios d’intelligence collective qui exigent que l’on se prépare à de nouvelles situations pour ne pas être dépassé par des événements positifs ou négatifs. Agir vite, souligne encore M. Alami, dans la cohérence en phasant les projets à échelle humaine qui permettent d’évaluer, d’expérimenter et de corriger les erreurs, de limiter les risques.
Si le concept chinois de crise signifie aussi l’opportunité, il est un autre concept grec que l’on utilise en philosophie, en théologie, en psychologie, en pédagogie… et en politique. C’est le Kairos, le temps de l’occasion opportune, le bon moment d’agir.

C’est en mathématiques le point d’inflexion et en physique le «moment de changement, de basculement à partir d’un barycentre par nature toujours en mouvement» qu’est la politique. Aujourd’hui, le Maroc, en comparaison avec ce qui se passe dans son environnement régional, peut encore vivre ce moment de Kairos, moment opportun entre le temps et l’action. À condition, comme le souligne Adil Diouri dans une sortie très remarquée, «d’exploiter tous les acquis d’une Constitution moderne qui intègre une claire répartition des rôles et des responsabilités, de l’exécutif et du législatif, d’éviter les temps morts, d’avancer dans le chemin du développement, de mettre fin à l’attentisme face aux dangers qui nous guettent, de mobiliser les acteurs politiques et économiques, d’éviter la course aux voix aux électeurs aux prochaines communales et législatives, de redresser la trajectoire économique qui dérape, d’actionner les leviers pour redresser cette trajectoire… Nous avons besoin, dit encore le président de l‘Alliance des économistes istiqlaliens, d’un leadership économique : quand la roue tourne, nous avons besoin de sentir que quelqu’un prend le volant. Gouverner, c’est rassurer, motiver, donner confiance». Reste à savoir comment résoudre les équations des déficits budgétaires abyssaux qui «atteignent, dit-il, des trous d’une cinquantaine de milliards de dirhams par an» et comment mener les réformes de décompensation.

Nizar Baraka, ministre de l’Économie et des finances

«Il faut oser la rupture»

Notre rencontre ici, à la quatrième édition du Forum de Paris Casablanca Round, intervient dans un contexte mondial en profonde mutation, toujours aux prises avec une crise internationale aux incidences économiques, financières, sociales et politiques conséquentes. Certaines parties du monde s’en sortent toutefois mieux que d’autres : alors que la zone euro affiche un taux de croissance négatif de -0. 2% en 2012, les États-Unis et le Japon avoisinent les 2%, alors que les pays émergents affichent un taux de 5,1%.
Le Maroc fait partie de cette dernière frange avec un taux de croissance moyen depuis le début de la crise (2007-2012) de 4,8%, et un taux de chômage maintenu à 9%, soit moins que les 9,7% de départ en 2007. Mais même si nous pouvons nous enorgueillir de cette situation, la vigilance doit rester de mise. Avec l’installation de la crise dans la durée, les marges de manœuvre de l’État s’amenuisent progressivement, et le risque d’ébranlement de nos équilibres fondamentaux et de notre rythme de croissance, avec toutes ses implications sociales et économiques, est là.
Que dire des pays qui sont déjà sévèrement touchés par la crise et se sont lancés dans des plans d’austérité ? Quelles marges de manœuvre ont-ils récupérées ? Les politiques d’austérité menées de par le monde sont reconduites et se durcissent davantage, avec en parallèle un mécontentement de plus en plus affirmé des populations nationales.
C’est pourquoi le renouveau dans l’appréhension des réponses à la crise s’impose. Le besoin de changement est là. D’innovation surtout : face à un contexte de crise des modèles à la fois économique, social et sociétal, les solutions et alternatives mises en œuvre restent classiques et redondantes. Il faut oser la rupture, dans les modes de gouvernance, dans les modèles de développement et même dans les interactions entre politique, société civile et entreprises. Deux principes directeurs doivent régir ce changement de paradigme :
• D’abord, il faut «humaniser la mondialisation» et corriger la dé-corrélation qui s’est créée entre la sphère réelle et la sphère financière, provoquant ainsi une forte volatilité des matières premières.
• Deuxièmement, il faut accélérer la mise en place du nouvel ordre économique mondial et assurer une nouvelle division internationale du travail, qui intègre les pays et les continents émergents dans une logique de compétitivité partagée et de développement inclusif.
Sinon, et malgré les quelques signes de reprise timide, le risque est grand de voir la crise économique et sociale s’enliser alors que les marges de manœuvre des États se rétractent comme peau de chagrin.

Pour un «pacte de croissance
transmaghrébin»

Sur le plan régional, l’élan démocratique que connaît notre région doit être investi et consolidé, car la démocratie n’a de sens que si elle se traduit par la création d’emplois, la remise en marche de l’ascenseur social, l’amélioration du niveau de vie des citoyens et leur accès à une vie digne. C’est pourquoi, pour nous, le choix de l’intégration économique s’impose et pourrait se matérialiser autour d’un «pacte de croissance transmaghrébin», au nom d’une ambition commune et d’un projet fédérateur : une prospérité partagée par tous et l’instauration d’une société de confiance en Afrique du Nord.
Le potentiel économique d’une union sacrée maghrébine, s’il est réalisé, sera garant de :
• Stabilité politique interne dans les pays concernés ;
• Attractivité de la zone en termes d’IDE ;
• La formation d’un bloc de taille critique et compétitif, à même de se positionner comme interlocuteur de poids et de confiance avec le voisin européen, et comme un hub en Afrique et la région MENA.
Cela vaut pour notre pays aussi : le Maroc est considéré comme modèle de stabilité politique et économique, mais pour se maintenir et déjouer les aléas de la crise, la solidarité et la mobilisation générale doivent prévaloir. Le Maroc a délibérément choisi la voie de la démocratie et a initié de manière précoce des changements majeurs qui ont été couronnés, sous l’impulsion du Souverain, par une nouvelle Constitution qui instaure une nouvelle gouvernance globale du pays, avec une ambition rénovée de démocratie participative soucieuse de la dignité humaine et du droit à un développement durable inclusif. Ces efforts ont été, et sont toujours salués par la communauté internationale et nos partenaires commerciaux, qui continuent à renouveler leur confiance en notre pays à travers :
• Le statut avancé accordé au Maroc par l’UE ;
• Le partenariat conclu avec les pays du CCG ;
• Le maintien de la notation du Maroc par les principales agences de notation internationales ;
• Les taux et niveaux d’adjudication du dernier emprunt obligataire émis par le Royaume en décembre dernier ;
• Le maintien par le FMI de la qualification du Maroc à bénéficier des ressources de la Ligne de précaution et de liquidité, approuvée en août dernier, portant sur un montant global de 6,3 milliards de dollars.

Il n’y a qu’UN Temps Maroc

De la pérennité et du succès de notre modèle de développement économique inclusif dépend la réalisation des aspirations sociétales et économiques des citoyens marocains. C’est pourquoi une véritable convergence entre la politique et l’économie est nécessaire pour réaliser cet objectif et saisir pleinement les opportunités économiques et géostratégiques qui s’offrent à notre pays. Il y a un Temps Maroc qu’il faut saisir, il n’y a pas un temps Rabat et un temps Casa, mais un seul Temps Maroc.
Nous appelons donc de nos vœux à formaliser cette convergence en un «pacte national de progrès» et à le traduire en une feuille de route claire sur la manière et le rythme des réformes structurelles que doit mener le gouvernement, à savoir : les réformes de la justice, la régionalisation avancée, la compensation, la protection sociale, la fiscalité et le système de retraite, la réforme de la loi organique des Finances...
Avec ce pacte, notre pays sera à même de répondre progressivement aux aspirations des populations en termes de liberté, de dignité et de bien-être, de réaliser un développement économique soutenu et durable, et de constituer, en cette période de crise économique, un véritable relais de croissance ouvert pour les pays de la Rive-Nord de la méditerranée, mais aussi les pays du continent africain et de la région MENA.
Pour conclure, je dirais que la grande opportunité de la crise réside dans la conjugaison des intérêts de toutes les forces actives, à l’échelle aussi bien de la nation que de la région. Il s’agit donc de tout mettre en œuvre pour réaliser ce potentiel.

Jalloul Ayed, Premier ministre des Finances de la Révolution du Jasmin en Tunisie

«Repenser notre modèle pour sortir de la crise»

Je voudrais vous dire combien je suis bouleversé ce matin et profondément inquiet, car je viens d’apprendre l’assassinat de Choukry Belaid, l’un des opposants les plus en vue dans mon pays, membre fondateur du Mouvement des démocrates. La Tunisie a réussi sa première phase de transition démocratique qui s’est achevée par la tenue des premières élections libres et démocratiques le 23 octobre dernier. C’était l’objectif de mon gouvernement qui a été atteint. On a abordé la deuxième phase de transition démocratique, celle que nous vivons actuellement et qui devait mettre en place un cadre institutionnel pour un gouvernement fort qui puisse assurer la sécurité et le respect des lois. Et c’est ainsi que nous devions commencer la consolidation démocratique avec la tenue des prochaines élections. Pour réussir cette étape, il y a une condition sine qua non : assurer le développement économique. Deux raisons expliquent la révolution tunisienne, le chômage qui atteint aujourd’hui une moyenne de 18% et la marginalisation des régions intérieures où le chômage atteint jusqu’à 40% de la population active. Aux problèmes économiques, il faut non de l’idéologie, mais des solutions économiques !
Pour cela, il n’y a pas 50 000 solutions. Il y en a une seule, c’est l’investissement public et privé qui assure un niveau de croissance, c’est l’investissement qui pourra assurer un décollage des régions. L’investissement public doit être prépondérant, car c’est à l’État d’y pourvoir. Le gouvernement peut investir par la dépense publique, même si 60% du budget tunisien sont consacrés aux salaires des fonctionnaires, avec une autre part consacrée aux subventions qui atteint le budget de l’équipement. Cette situation où le gouvernement consacre autant d’argent à la consommation qu’à l’investissement est aberrante ! En 2012, 35% seulement des projets inscrits ont été réalisés. D’où la nécessité pour l’investissement privé marchand de prendre la relève et de proposer des solutions.
Dans mon ouvrage qui vient de paraître sous le titre «La route du Jasmin», je propose d’autres alternatives pour changer le mode de gouvernance et proposer d’autres modèles et modes opératoires. On ne peut plus aujourd’hui continuer à gérer nos pays comme cela a été fait depuis l’indépendance. Le monde a changé et les attentes de la population sont immenses. Pour répondre à ces attentes, l’État providence devrait devenir un État partenaire qui créerait des conditions pour les investisseurs, conditions qui aideraient le privé par le biais de fonds d’investissement jouant le rôle d’effet de levier. C’est l’État qui doit aider la société et les citoyens à tirer le meilleur des opportunités qui se présentent, à renforcer l’esprit de partenariat, en laissant la gestion au privé. L’État doit créer les conditions d’un bon environnement en mobilisant les forces vives du pays. Les moyens existent : je pense à la réserve foncière importante, aux entreprises publiques qui gagneraient à être privatisées… Au Maroc, la CDG joue un rôle essentiel dans l’accompagnement des politiques publiques, dans le développement économique des régions, dans les projets d’infrastructures et le renforcement du tissu des PME-PMI. Une des premières actions que j’ai envisagées quand j’étais ministre des Finances, c’était de créer une Caisse de dépôt et de gestion en Tunisie avec la collaboration de nos amis marocains. L’État doit également ouvrir le chantier des réformes et je pense aux fondamentaux d’Ibn Khaldoun qui rappelait que «l’éducation, la culture et la bonne gouvernance» constituent les fondements d’une société civilisée. Il nous faut former les ressources humaines de qualité qui restent un capital inestimable, inculquer l’efficacité et la performance.
Le Maroc a entrepris des réformes depuis près d’une décennie dans le système financier. Aujourd’hui, il existe un marché de capitaux performant inexistant en Tunisie. Il faut aussi un cadre d’investissement pour toute la chaîne de création de valeur : PME-PMI, microfinances, grands projets... qui se traduirait par la création de Fonds d’investissement pour accompagner les PME et PMI, qui représentent 80% du tissu économique et qui ont besoin d’un marché de fonds propres pour lever des capitaux. L’effet de levier serait ainsi assuré et l’accès aux marchés de fonds propres et de capitaux assuré.
Je ne saurais finir mon intervention sans rappeler l’impérieuse nécessité de l’Union du Maghreb, un Maghreb qui doit faire face à une crise multidimensionnelle qui frappe à nos portes. La meilleure réponse reste une Union du Maghreb pour nous, pour les prochaines générations, une Union qui permettrait une prospérité partagée pour tous les peuples de la région.



 

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