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Réformes des retraites : plusieurs niveaux d’alerte

● Caisse marocaine des retraites (CMR): «Arrêt cardiaque» annoncé en 2019
● RCAR, les premiers déficits en 2021
● CNSS, une situation moins inquiétante, mais…
● CIMR, encore un demi-siècle de «grâce» Le schéma pour réformer le système global est validé. Mais ce n’est pas pour autant le bout du tunnel. D’autres études doivent encore être lancées.

Réformes des retraites : plusieurs niveaux d’alerte
27% seulement de la population active cotise au système de retraite. Le Maroc est loin des ratios des pays en transition économique (60%) ou des pays de l’OCDE (80%).

Le feuilleton de la réforme du système des retraites est loin de connaître son épilogue. Après la validation par la Commission nationale, fin janvier, du schéma de réforme en deux pôles, l’attentisme semble de retour. La Commission technique n’a pas encore, valeur aujourd’hui, établi de planning pour réunir ses membres afin d’élaborer le schéma de mise en œuvre de la formule finale.
Une information confirmée par plusieurs membres de la Commission même. Et la dernière décision des principales centrales syndicales n’est pas pour arranger les choses. Les syndicats veulent en effet que la réforme de la Caisse marocaine des retraites (CMR), qui gère les retraites des fonctionnaires, soit discutée au sein du Dialogue social.
Un cadre déjà en panne. Réunissant l’Exécutif, les syndicats et les patrons, il peine à redémarrer depuis l’installation du nouveau gouvernement.

Les syndicats joueraient ainsi cette nouvelle carte pour faire pression. Pour eux, il fallait mettre le gouvernement pied au  mur pour l’obliger à faire des concessions, aussi bien au niveau du Dialogue social que de la réforme urgente de la CMR. Cette dernière est dans un état de détresse tel que sa réforme doit être traitée à part, en dehors donc de la réforme globale des autres caisses. L’organisme de retraite des fonctionnaires est déficitaire depuis fin décembre 2012 et ne pourra plus verser de cotisations à ses pensionnés dans 6 ans. Et ce, contrairement aux trois autres caisses (RCAR, CNSS et CIMR) dont la situation financière est moins inquiétante et qui peuvent s’offrir le luxe de patienter encore un peu (voir encadrés).
En attendant que les membres de la Commission technique reprennent du service, des observateurs estiment déjà que l’équipe Benkirane «semble tourner en rond», prise entre le marteau et l’enclume.

’un côté, le gouvernement doit répondre à la pression du Fonds monétaire international (FMI) et, de l’autre, négocier avec les syndicats le schéma de réforme adoptée. Rappelons que la formule validée le 30 janvier dernier repose sur deux pôles. Le pôle public qui regroupera les adhérents du régime civil de la CMR et ceux du Régime collectif d’allocation des retraites (RCAR). Il renfermerait un régime de base et une couverture complémentaire. Le second pôle est dédié au secteur privé. Il sera géré par la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) avec une couverture de base obligatoire par répartition et un plafond de cotisations fixes. Le schéma de la couverture complémentaire pour le privé n’a pas encore été identifié. Des études devraient être lancées pour le définir. La Commission technique veut aussi lancer dans les prochaines semaines une étude nationale sur la généralisation de la couverture (le taux est de 30% actuellement), un des enjeux de la réforme des retraites.
L’objectif de cette étude, selon Mohamed Hakech, membre de la Commission technique et représentant de l’UMT, est de définir de nouveaux groupes socio-économiques qui pourraient intégrer les caisses de retraite.
Une démarche qui sent le «déjà vu» pour certains. «Le gouvernement dit vouloir lancer des études pour l’élargissement de la protection sociale, sans étudier d’anciennes formules telles qu’Addamane Al Hirafi, ni Addamane Al Bahri, lancées par la CDG dans les années 1980 et 1990», précise l’économiste Mohamed Chiguer, fin connaisseur des régimes de retraite marocains.

Ce dernier rappelle aussi qu’il faut prendre en considération la Caisse de retraite des Ordres des avocats et la Caisse des retraites parlementaires pour ne citer que celles-là. «Je crois que le gouvernement veut imposer aux Marocains une réforme paramétrique et ne pas aborder la réforme de fond», lance Chiguer.
Le gouvernement semble en effet être favorable à une formule, proposée il y a deux ans, pour réformer la CMR. Celle-ci consiste à revoir à la hausse l’âge de départ à la retraite, augmenter les cotisations et revoir la méthode de calcul du taux de remplacement (rapport entre la première pension et le dernier salaire).

Pourquoi la réforme est-elle devenue urgente ?
Une chose est sûre, la réforme urge. Une étude que vient de livrer le Haut Commissariat au plan (HCP), sous l’intitulé «Les effets du vieillissement de la population marocaine sur la situation financière du système de retraite et sur l’évolution macroéconomique», lance des S.O.S à l’infini : la réforme doit être mise en œuvre le plus tôt possible. Le gouvernement en est également convaincu, mais que fait-il pour accélérer la cadence ? Le document du HCP rappelle que le nombre de cotisants a évolué à un rythme moins rapide que celui des bénéficiaires. Concrètement, la population cotisante aux principaux régimes de retraite (CMR, CNSS, RCAR, CIMR) n’aura évolué que de 4,1% entre 2000 et 2009, contre une hausse moyenne de 6,6% pour l’effectif des bénéficiaires. La situation est d’autant plus alarmante quand on sait aussi que ces quatre régimes couvrent actuellement à peine 2,7 millions de travailleurs, à la fois dans le public et le privé. Autrement dit, seuls 27% de la population active cotise au système de retraite. Le Maroc est donc très loin des ratios enregistrés dans les pays en transition économique (60%) et les pays de l’OCDE (80%). Dans le même document, le HCP enfonce le clou : le rapport démographique global des caisses de retraite ne cesse de se détériorer. Si 15 actifs couvraient un retraité en 1980, ils n’étaient plus que 3,9 en 2009. Cette dégradation est telle qu’elle a amorcé un déséquilibre entre les dépenses et les ressources des différents régimes. De fait, le niveau des cotisations de ces régimes est en baisse depuis 2005.
Il frôle à peine 3,2% du PIB en 2009. Inversement, les dépenses se sont inscrites à la hausse pour atteindre 2,9% du PIB la même année. Résultats des courses, l’excédent financier des régimes va en diminuant. Sur la seule période 2005-2009, il a régressé de plus de la moitié, passant de 0,95% du PIB à 0,33%.

Dix années de «réflexions»
Voilà donc un chantier ouvert depuis plus d’une décennie et dont les tâtonnements ne sont pas près de s’achever. Et tant pis pour l’opinion publique tenue en haleine depuis le gouvernement Jettou I ! Les premiers signes de crise au sein de la CMR pointaient déjà depuis les années 1990, du fait d’un État qui n’honorait plus ses contributions. Un premier rapport de la DAPS (Direction des assurances et de prévoyance sociale relevant des Finances) avait été remis à Abderrahmane El Youssoufi en juin 2000, puis un autre en janvier 2002. Il faudra attendre décembre 2003, sous le gouvernement de Driss Jettou, pour que soit organisé un débat national autour des retraites (colloque national des 16 et 17 décembre 2003). L’événement a réuni l’ensemble des intervenants. Une année après, deux commissions ont vu le jour. La première, technique, réunit les représentants des principales centrales syndicales, les représentants du patronat et les ministères concernés par le Dialogue social. La seconde, nationale, est composée des secrétaires généraux des centrales syndicales, des directeurs généraux des quatre caisses de retraite, et présidée par le chef du gouvernement.


Un nouveau diagnostic de la situation est dressé en 2008 par le cabinet Actuaria. Il sera actualisé en 2010. Trois scénarios ont été envisagés par le cabinet français. Un scénario de base avec le maintien de l’organisation institutionnelle et des mécanismes de fonctionnement actuels avec l’introduction de réformes paramétriques.
Le deuxième reposait sur le principe d’une organisation institutionnelle dualiste qui vise l’intégration de la CMR et du RCAR dans un pôle public, de la CNSS et de la CIMR dans un pôle privé. Et c’est donc celui-là même qui a été validé le 30 janvier dernier. Le troisième scénario enfin consistait en un régime unique avec un système de retraite intégré pour l’ensemble des travailleurs.

Il faudra attendre deux longues années avant que la Commission technique chargée du suivi de la réforme des retraites reprenne ses réunions avec l’avènement du gouvernement Benkirane. Sa première réunion a eu lieu le 26 mars 2012. L’ordre du jour devait aborder un seul point : examiner les conclusions du rapport réalisé par le cabinet français Actuaria et les résultats de l’étude effectuée par le Bureau international du travail (BIT, étude réalisée à la demande des syndicats). Sept mois s’écouleront avant que la Commission technique ne soumette, en novembre de la même année, son rapport au chef du gouvernement qui réunira la Commission nationale en janvier 2013 pour la première fois depuis de longues années. Sauf que cette fois-ci, il est décidé à trancher en faveur d’un scénario, celui des deux pôles.
Le mandat du gouvernement Benkirane suffira-t-il à lui seul pour boucler les études de mise en œuvre et remettre sur pied la CMR ? Pas sûr. Car en parallèle, il doit aussi mener la grosse réforme de la Caisse de compensation pour laquelle le niveau de visibilité est également faible.


Questions à Mohamed Chiguer, chercheur et économiste

«Les autres caisses peuvent attendre, l’urgent c’est la CMR !»

La révision du taux de remplacement de la Caisse marocaine des retraites est une nécessité, de l’avis de Mohamed Chiguer. L’économiste insiste sur l’urgence de réformer en premier cette Caisse, les autres organismes n’étant pas au même niveau de détresse.

Les syndicats veulent discuter de la réforme de la CMR dans le cadre du dialogue social, que pensez-vous de cette démarche ?
Du point de vue des syndicats, c’est logique et je partage leur point de vue. C’est du donnant donnant. La réforme qui urge actuellement est celle de la CMR et si on l’intègre dans le cadre d’une réforme globale, cela va prendre beaucoup de temps.
D’ailleurs, c’est l’État qui est le plus concerné par le devenir de cette caisse. Il doit assumer ses responsabilités. Pendant un bon bout de temps, il n’a pas versé sa part de cotisations pour les retraites de ses fonctionnaires, d’où un énorme manque à gagner concernant le placement de ces fonds. Dans la problématique des retraites au Maroc, le rapport démographique actifs/inactifs est le plus important. Vu de près, il s’agit à la base d’un problème de recrutement. L’État ne recrute pratiquement plus et l’opération des départs volontaires pèse jusqu’à aujourd’hui sur la CMR.

Donc, seule la réforme de la CMR est la plus urgente ?
Oui. Les autres peuvent attendre. La CNSS, par exemple, dispose de 8 actifs pour 1 retraité, alors qu’à la CMR, ce rapport est de 3 pour 1. Pour la CNSS, il suffit d’appliquer la loi afin de généraliser la couverture sociale à d’autres secteurs, comme l’agriculture, et renforcer le contrôle de la Caisse. Par contre pour la CMR, le gouvernement n’a pas le choix. Ou bien il va choisir la réforme paramétrique, une formule à laquelle le gouvernement semble favorable, mais qui va peser sur les fonctionnaires en premier lieu, ou bien s’affranchir de la politique du FMI et disposer d’une politique propre au pays basée essentiellement sur l’emploi.


Que proposez-vous pour réformer la CMR ?
Il faut d’abord revoir le taux de remplacement qui est le plus généreux de toutes les caisses de retraite. Ce taux est de 85% à la CMR et de 54% ailleurs. Il faut mettre sur un même pied l’ensemble de ces caisses. Autrement dit, le réduire à la CMR et le revoir à la hausse dans les autres caisses.
D’un point de vue scientifique et technique, la CMR est très généreuse. Il faut trouver un équilibre, car si on opte pour le prolongement de l’âge de départ à la retraite, il ne faut pas oublier son impact sur l’emploi. Par contre, si on augmente les cotisations, sachant qu’on n’a pas encore réformé la Caisse de compensation, le pouvoir d’achat va accuser le coup qui, à mon avis, sera fatal pour la classe moyenne. La solution fondamentale est d’un côté, élargir la protection sociale et de l’autre, renforcer à travers une réforme de la Fonction publique l’encadrement au niveau de l’administration.

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