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«Agir pour un modèle de rupture»

Le 1er Forum international exclusivement dédié à la TPE se tient les 29 et 30 mai à Casablanca sous le thème : «Les TPE, vecteurs de l’innovation et du développement économique et social». Par TPE, il faut entendre, nous déclare Amal Cherif Haouat, qui est à l’origine de cette initiative, les très petites entreprises, les micro-entreprises.

«Agir pour un modèle de rupture»

Ce sont les auto-entrepreneurs, indépendants et dirigeants des petites entreprises qui sont concernés, en un mot toutes ces millions d’entreprises qui constituent la colonne vertébrale de l’économie et assure la stabilité sociale du pays. Le forum tombe à point nommé après le séminaire consacré à la PME dans le monde rural et après, souligne Amal Cherif Haouat «le lancement de la stratégie nationale de promotion de la TPE le 17 mai 2013 par les pouvoirs publics et la loi en gestation sur le régime de l’auto-entrepreneur qui viendra élargir la palette de solutions permettant aux jeunes entrepreneurs potentiels d’entreprendre comme ils le veulent».

Ce forum est une opportunité, dit-elle encore, il y aura des conférences, des débats, des mises en relations, mais surtout des rencontres avec les institutions publiques et les ministères – MAGG (ministère des Affaires générales et de la gouvernance), MICNT (ministère de l’Industrie, du commerce et des nouvelles technologies), MEFP (ministère de l’Emploi et de la formation professionnelle) ANPME (Agence nationale pour la promotion de la petite et moyenne entreprise), OFPPT (Office de la formation professionnelle et de la promotion du travail) – qui élaborent les stratégies mises en place pour les promouvoir et leur faciliter les démarches de création et de développement et les organismes privés (CGEM, fédérations et associations professionnelles, assurances, banques, bureaux d’études) qui les accompagnent dans les actions pré et post création tant au niveau financier que technique.

Il reste que c’est en amont qu’il faut travailler, dans le monde rural et, comme le constate l’économiste Driss Guerraoui, lui-même auteur d’un ouvrage avec Noureddine Afaya sur les entrepreneurs au Maroc : «Le premier enseignement de ce constat est qu’il y a aujourd’hui une impossibilité objective pour le milieu urbain d’absorber le surplus de main-d’œuvre que dégage annuellement le monde rural.» Travailler donc en amont dans le monde rural et travailler auprès des femmes, qui sont par leur dynamisme et leur ténacité au travail, l’une des clefs du développement au Maroc. Travailler aussi à simplifier au maximum toutes les procédures administratives qui rebutent et désespèrent les jeunes. En fait, et comme le soulignait Zakaria Fahim, ex-président du CJD, il faut agir, pour que chacun de nos jeunes et moins jeunes puisse entreprendre s’il le souhaite en optant pour des modèles de rupture que sont l’auto-entrepreneur et l’entreprise individuelle à responsabilité limitée.

Cet expert comptable, aujourd’hui président d’une commission à la CGEM, aime à répéter cette citation : «Il a été établi que le bourdon ne peut pas voler. Sa tête est trop grande et ses ailes trop petites pour soutenir son corps. Selon les lois de l’aérodynamique, il est incapable de voler. Mais personne ne l’a dit au bourdon et il vole.» Soyons tous des bourdons. Osons, conclut-il.


Entretien avec Driss Guerraoui, professeur à l’Université Mohammed V Agdal-Rabat

«Comment et pourquoi entreprendre en milieu rural ?»

Le Matin : La PME rurale a été présentée au cours d’une rencontre comme est une voie d’avenir ? N’est-ce pas la version trop optimiste ?
Driss Guerraoui : Il y a plusieurs raisons qui justifient cette perspective optimiste. La première réside dans la gestion de la relation entre la population active et la création des activités économiques. La deuxième a trait à la nature de l’évolution des rapports hommes-terre dans l’agriculture. La troisième raison, enfin, concerne le rythme de développement des activités non agricoles en milieu rural.

Abordons, si vous le permettez, ces raisons l’une après l’autre. Qu’en est-il de la gestion de la relation entre la population active et la création d’activités économiques ? Qu’entendez-vous par là ?
L’observation empirique de la situation de la relation entre la démographie et l’économie révèle qu’il arrive chaque année sur le marché national du travail entre 350 et 450 000 nouveaux demandeurs d’emploi, auxquels il convient d’ajouter environ 250 000 personnes qui quittent annuellement la campagne en direction des principaux centres urbains. De l’autre côté, le système productif national, toutes branches confondues, dénote une création nette d’emplois avoisinant en moyenne 150 à 250 000 emplois par an. Les dernières données disponibles au titre de l’année 2012 évaluent à 138 850 le nombre d’emplois créés.

Quel constat en dégagez-vous ?
Il y a aujourd’hui sinon une impossibilité, du moins des difficultés croissantes à réaliser conjointement et la croissance et le plein emploi de l’ensemble de la population active à la recherche d’emploi qui arrive chaque année sur le marché national du travail. Ceci s’explique aisément, car le taux d’augmentation de la population active en milieu urbain reste sans commune mesure avec les capacités limitées de création d’activités économiques nouvelles. Le premier enseignement de ce constat est qu’il y a aujourd’hui une impossibilité objective pour le milieu urbain d’absorber le surplus de main-d’œuvre que dégage annuellement le monde rural.

Abordons la question qui a trait à l’évolution des rapports homme-terre dans l’agriculture et le constat que vous en tirez ?
Cette évolution révèle un nouvel équilibre entre la population urbaine et la population rurale et entre la ville et la compagne dans la population totale du Maroc. Les données disponibles montrent que la population rurale est passée de 8 215 000 en 1960 à 9 953 000 en 1971, à 11 716 000 en 1982 et à 13 448 000 en 2010, passant ainsi de 70,7% de la population totale du Maroc en 1960 à 42,2% en 2010. Il se dégage de ces chiffres que malgré le nouvel équilibre entre la ville et la campagne, la population rurale reste numériquement et en valeur absolue beaucoup plus importante. Aussi, sur la même surface agricole utile, vit une population plus importante que par le passé. La conséquence de cette réalité démographique est une tendance à l’aggravation de la pression des hommes sur les terres cultivables et de parcours, avec comme corolaire la saturation objective des activités agricoles proprement dites.

Qu’en est-il du rythme de développement des activités non agricoles en milieu rural et de la PME rurale ?
À ce niveau, les données disponibles montrent que la part de l’emploi non agricole dans l’emploi total en milieu rural évolue à un rythme très lent, puisque cette part est passée de 15% en 1960 à 18% en 1971 et à 20% en 1987. Elle serait aux environs de 25% en 2012. Nous constatons l’incapacité des villes à offrir des opportunités réelles, décentes, suffisantes et durables de création d’emplois et de revenus stables en quantité et en qualité en conformité avec le degré de pression exercée sur le marché national du travail. Autre fait, c’est la saturation objective des activités agricoles proprement dites, particulièrement dans l’agriculture familiale et communautaire qui représente 80% de l’activité de la population, et ce, malgré la dynamique relative, somme toute à ses débuts, introduite par le Plan Maroc Vert. Il y a enfin l’existence de potentialités importantes en matière de création d’activités économiques nouvelles et de PME rurales, soit insuffisamment exploitées, soit tout simplement non encore explorées. Ce qui place la promotion de la PME rurale au rang des composantes indispensables de toute stratégie future de croissance, créatrice de richesses et d’opportunités d’emplois.

Dans quels domaines ?
Les domaines où la PME rurale peut concrètement connaître un véritable développement sont très divers et très différenciés selon les spécificités des terroirs où elles s’implantent. Il y a l’artisanat, le tourisme, les industries de transformation des produits agricoles et alimentaires, la pêche, les services aux ménages ruraux et aux exploitations agricoles, les énergies renouvelables et les activités liées à la valorisation du patrimoine culturel. Les expériences originales initiées par le Groupe OCP, le Crédit Agricole du Maroc et la Fondation de la jeune entreprise, la Fondation Mjid, l’Agence du Sud et d’autres instituions publiques et fondations montrent la richesse de cette voie et l’importance réelle de ce potentiel, qui demeure le domaine par excellence de l’économie sociale et solidaire et de l’investissement productif en milieu rural.

Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ces expériences et nous éclairer sur leur impact en matière de création d’emploi ? Quels sont les emplois et quelles sont les formations dont bénéficient les jeunes qui s’engagent dans l’entrepreneuriat rural ?
L’expérience initiée en 2011 par le Groupe OCP, baptisée OCP Skills, concerne l’amélioration de l’employabilité de 150 000 jeunes âgés de 18 à 30 ans. Elle prend appui sur trois piliers : la formation qualifiante, l’accompagnement pré et poste création et le soutien aux jeunes entrepreneurs des zones phosphatières d’implantation du groupe. Le tout en partenariat entre le groupe, les entreprises, les structures de formations, le Crédit Agricole du Maroc et la Fondation de la jeune entreprise. Dans ce cadre, 300 projets ont été accompagnés et ont débouché sur la création de 76 entreprises ayant généré 249 emplois. De son côté, le Crédit Agricole du Maroc a initié en 2010, par le truchement de Tamwil Al Fallah, un financement dédié à la PME rurale et agricole évoluant dans les zones fragiles. Il s’adresse, en effet, aux 50% des exploitations agricoles qui ne peuvent bénéficier ni des crédits bancaires connus du circuit moderne structuré, ni des activités des organismes classiques de la microfinance. Il existe d’autres expériences comme celle portée par Maghreb Start-up Initiative, celle portée par la Fondation Mjid ou celle que tente de promouvoir l’Agence du Sud dans le cadre de sa stratégie de développement de l’économie sociale et solidaire et les produits du terroir dans les provinces du sud du Royaume. Mais l’expérience sur laquelle le Maroc peut fonder un véritable espoir dans l’avenir en matière de promotion de la TPE rurale et qui pourra à son tour représenter une réelle perspective, si elle arrive à être inscrite comme pilier nouveau et essentiel de sa stratégie globale, c’est celle de l’Initiative nationale pour le développement humain. Le séminaire organisé à Casablanca le 18 mai 2013 à l’occasion du huitième anniversaire de l’INDH sur le thème de «l’intégration économique» autorise à penser que l’on s’achemine vers cette direction. Cependant, si on ne veut pas que l’impact de ce pilier reste limité en termes de développement d’activités non agricoles en milieu rural, il est de la plus grande importance que ce nouveau pilier ne s’inscrive pas uniquement dans le cadre d’un traitement social de la pauvreté rurale, mais aussi et surtout dans celui d’un traitement économique productif des problèmes des zones fragiles, enclavées et marginalisées du monde rural et les zones périurbaines défavorisées. Car c’est dans ces zones que les besoins d’insertion socioprofessionnelle et d’auto-emploi en faveur des jeunes sont importants.

Quels sont les avantages à tirer de la promotion de ces activités non agricoles en milieu rural ?
Les activités non agricoles en milieu rural sont importantes pour an moins trois raisons. Elles constituent de véritables opportunités pour des investissements productifs en milieu rural et corrélativement de promotion de l’emploi, notamment des jeunes ruraux. Elles contribuent à l’élargissement du marché intérieur tant pour les produits industriels et agricoles que pour les services s’adressant aussi bien aux ménages ruraux qu’aux exploitations agricoles. Et elles génèrent une amélioration du niveau de vie des populations rurales, nécessaire à une régulation positive de leur comportement démographique et des mouvements de main-d’œuvre entre la ville et de la campagne.

Quelles sont les conditions pour réussir cette stratégie ?
Toutes les expériences de par le monde montrent que pour réussir une meilleure diffusion des activités économiques en milieu rural et une promotion de la PME rurale il convient de disposer d’une vision pertinente appropriée dans ce domaine. Il faut disposer d’abord d’une politique nationale dédiée spécifiquement à la promotion de la PME rurale. Cette politique doit, cependant, être guidée plus par l’objectif stratégique de modernisation généralisée du monde rural que par la levée des contraintes liées à la régulation des mouvements de main-d’œuvre en milieu rural. De même, le développement de la PME rurale ne doit pas être limité aux seuls villages ruraux, mais doit s’étendre aux petites et moyennes communes périurbaines. Il doit aussi être inséré dans les programmes de développement comme concernant des activités complémentaires et indépendantes travaillant pour le même marché. La promotion de la PME rurale dépend également de la capacité des collectivités territoriales du milieu rural à stimuler auprès de leurs populations et surtout auprès des jeunes ruraux les motivations entrepreneuriales, et ce, par la sensibilisation, la formation et la préparation d’un environnement économique et social favorable à l’entrepreneuriat et à la vie en milieu rural. Dernier point, la promotion de la PME rurale ne doit pas être uniquement une réponse d’appoint aux problèmes du chômage, des migrations et de la pauvreté rurale, mais constituer un facteur actif dans la croissance économique et le développement humain durable du Maroc. 

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