À l’instar des autres pays du monde, le Maroc célèbre aujourd’hui la Journée mondiale sans téléphone mobile. L’objectif de cette journée est de savoir quelle relation on entretient avec son appareil. Mais qui serait capable de ne pas toucher à son mobile pendant 24 heures ?
«Impossible ! Je ne peux pas me séparer de mon portable. Je l’ai tout le temps dans la main. Évidemment, il est toujours allumé. Si je sors et que je m’aperçois que je l’ai oublié, ce qui est très rare, je fais immédiatement demi-tour, même si je suis à une demi-heure de chez moi. Je sais, je suis une véritable addicte à tel point que la nuit, je le garde avec moi. Et s’il sonne, je me jette dessus. Quand je suis sous la douche, je le pose à portée de main. Je n’arrive même pas à me retenir de décrocher quand je mange. En fait, j’ai toujours peur de rater quelque chose. J’aime être tout le temps joignable et que les gens que j’appelle le soient aussi. J’ai horreur des messageries ou des gens qui ne répondent pas ! Et puis on ne sait jamais, il peut y avoir une urgence», confie Yasmine, 27 ans. Celle-ci n’est pas la seule à devenir accro à son téléphone portable. De plus en plus de gens s’attachent à leur appareil à tel point qu’il devient un objet essentiel à leur existence, voire une extension de leur personne. Il suffit de regarder autour de soi pour se rendre compte que le mobile est le seul outil électronique que l’on a en permanence sur soi et pas forcément par nécessité, mais par besoin.
Ce petit engin est donc devenu un véritable phénomène de société, surtout avec des Smartphones qui sont de plus en plus sophistiqués, et leurs applications toujours plus ingénieuses. Il devient réellement difficile de s’en séparer. En effet, tout le monde raffole de ces bijoux de la technologie. Qu’ils soient tactiles, à clavier ou combinant les deux, les Smartphones, initialement réservés aux professionnels, ont basculé de leur rang de mobiles utiles au boulot à des gadgets pratiques, amusants… qui simplifient le quotidien, et ce, grâce aux multiples applications facilement téléchargeables sur Internet. Le nombre de ces applications disponibles se compte, en effet, par millions. «Je trouve que les Smartphones et surtout leurs applications sont la meilleure invention de tous les temps. Personnellement, j’adore ! J’ai, par exemple, sur mon mobile une application qui me permet d’avoir l’actualité du jour où que je sois. Aussi, j’ai découvert récemment une application qui m’évitera les ennuis avec les policiers de la circulation. Il s’agit d’un détecteur de toutes sortes de radars de contrôle routier. Dès que je commence à m’approcher d’un radar, mon adorable téléphone me prévient de la distance qui me sépare de celui-ci», se réjouit Karim, 35 ans.
L’addiction au téléphone portable est donc devenue une réalité que l’on ne peut plus nier. Parfois, certaines personnes peuvent ressentir une réelle souffrance lorsqu’ils sont séparés de leur appareil. On parle alors de la nomophobie. Il s’agit d’une nouvelle maladie dérivée de l’anglais «no mobile phone phobia». En clair, les victimes ne supportent pas d’être éloignées de leur téléphone. Selon les spécialistes, la nomophobie peut se traduire par des attaques de panique, une respiration qui deviendrait courte, des nausées, des tremblements ou un rythme cardiaque accéléré. Essayons donc de contrôler notre obsession pour les téléphones portables du mieux qu’on peut pour ne pas finir nomophobe !
Avis du spécialiste : Dr Khalid EL Alj, psychiatre-psychanalyste
«Le téléphone portable est devenu comme un prolongement de la personne»
L’addiction désigne au sens phénoménologique une conduite qui repose sur un plaisir, qui conduit à une envie répétée et irrépressible en dépit de la motivation et des efforts du sujet pour s’y soustraire. Le sujet s’y livre malgré la conscience aiguë qu’il a de l’asservissement, de l’abus et de la perte de sa liberté d’action, ou de leur éventualité. La recherche de plaisir différencie généralement l’addition du comportement obsessionnel compulsif. En quoi téléphoner y fait-il appel ? Quel est l’objet de jouissance quand on téléphone ? Est-ce l’appareil ou l’autre qui se trouve au bout du fil ?
Nous nous orientons par là vers le lien établi avec cet autre, le lien social et ses modalités. Au début de l’air des portables, on les arborait à la ceinture à la manière d’un colt d’un cowboy… puis, avoir deux portables est devenu un signe de réussite sociale… progressivement, avec l’accès à Internet, et les différentes applications, le Smartphone est devenu comme un prolongement du sujet lui-même… Cependant, cette avancée technologique a des revers. Le consommateur peut tomber dans l’immédiateté du plaisir, et l’autre risque de ne devenir pour lui qu’une image sur laquelle il peut projeter à loisir ce que son imaginaire lui chante. L’autre risque de perdre beaucoup du réel de son contact lorsqu’il est à distance. N’avez-vous pas remarqué qu’on arrive à dire au téléphone ce que l’on ne se permet pas face à l’autre ? Pour l’anecdote, n’avez-vous pas remarqué qu’il devient à la mode chez nos patients hallucinés de parler d’un appareil éteint pendant des heures ?
L’immédiateté, l’incapacité à différer son plaisir en est aussi une conséquence, mais à rester captif du brouhaha des sons et des images dont vous êtes submergé, c’est le sens des choses qui en fait les frais. La captation par l’image étouffe le symbole. Rappelez-vous les anciens Arabes, le silence du désert leur a permis de parler la plus belle langue qui puisse exister, une langue poétique, qui transporte de signifiant à signifiant, au point qu’elle a toujours résisté à l’absence de subjectivation du discours scientifique.
