Le Ramadan de cette année aura deux particularités : le mois sacré comptera les journées de jeûne les plus longues depuis 33 ans et sera ponctué de cinq vendredi. Après les 15 heures d’abstinence quotidienne, les Marocaines et les Marocains espèrent bien se retrouver autour d’une table bien garnie.
Pour cela, le ministre chargé des Affaires générales et de la gouvernance, Najib Boulif, se veut rassurant : «le marché des produits de base, y compris le gaz butane, ne connaîtra aucun problème d’approvisionnement, ni aucune augmentation de prix durant le mois de Ramadan». Au marché El Houria de Benjdia, à Casablanca, El Jawhari Saïd, 45 ans dont 30 passés à s’occuper de ses oignons et de ses patates, semble confirmer les assertions du ministre : «À quinze jours du Ramadan (le reportage a été effectué le 25 juin,) ce n’est pas encore le grand rush, mais le marché est bien approvisionné et les prix sont stables sauf pour la tomate qui est cédée pour un prix allant de 7 à 5 DH le kilo, alors que l’année dernière et à la même période, elle était vendue à 3 DH». Notre bonhomme explique cette hausse du prix par l’augmentation des exportations de ce légume vers les pays de l’Union européenne.
L’affichage des prix, loin du compte
À quelques caisses de là, son confrère Ahram Lahcène, également commerçant en fruits et légumes, estime que ce n’est pas le Ramadan qui influe sur les prix, mais la bonne vieille loi de l’offre et la demande «les légumes les plus demandés sont la pomme de terre (entre 4 DH et 5 DH, “m’loukhia” gombos cédés entre 25 et 30 DH), “l’qayim” (sorte de petits coings) vendu entre 20 et 30 DH». Même si actuellement les gens ont l’esprit plutôt au farniente, pour ceux qui sont en congé, d’autres, en revanche, commencent déjà à faire des emplettes d’avant le Ramadan : «Je m’approvisionne petit à petit et selon mes moyens, ce que je trouve cher, je le laisse pour les autres. J’achète des dattes, des grains de sésames, des épices, des amandes...», confie une dame, la soixantaine bien frappée, mère de cinq enfants et dont le mari ne travaille pas, «il est malade. Moi, je travaille dans un “hammam”…» Cette sexagénaire, qui dit qu’elle aurait souhaité que le mois du jeûne dure l’année entière, est loin d’être un cas isolé. En 2011, le Haut commissariat au Plan avait estimé à 20% le nombre de ménages marocains dirigés par une femme.
Et comme le travail dans un «hammam» ne doit pas lui rapporter beaucoup, elle doit d’abord demander le prix d’une «rabâa» (250 g) d’amandes avant de se décider. Car au marché de Benjdia comme à la kissaria de garage Allal (voir plus loin), les prix ne sont pas toujours affichés comme l’exige la loi, mais cela semble dépendre des humeurs des uns et des autres. En 2008, le ministre des Affaires économiques et générales avait signé un arrêté réglementant les modalités d’affichage des prix qui était déjà prévu par la loi sur la concurrence qui date de 2001 mais manquait de clarté. Cette loi rend obligatoire l’utilisation de la langue arabe (et une autre langue au choix) afin qu’un client puisse prendre connaissance du prix du produit qu’il souhaite acquérir sans être obligé de le demander au commerçant. Mais depuis, les «ferrachas» ont poussé comme des champignons : «Certains commerçants refusent d’afficher les prix en raison de la présence des “ferrachas” auxquels on ne demande rien», témoigne Ahram Lahcène. Dans ce marché de Benjdia, les poissonniers, eux, semblent n’avoir perdu aucune écaille des assurances ministérielles selon lesquelles «le gouvernement a pris des mesures strictes pour assurer le contrôle des prix et de la qualité des produits […] Des instructions claires données aux services centraux et régionaux en vue de renforcer la surveillance des marchés et coordonner les actions pour barrer la route à toute spéculation».
Chez les poissonniers, entre 20 et 25% de marge bénéficiaire
Certains sont occupés à écailler des sardines, d’autres à les évider... Miloud, poissonnier depuis 44 ans, saupoudre ses poissons de glaçons concassés : «Cette année, le poisson est plus cher que les années précédentes, car l’offre est moins importante, la mer est actuellement agitée, les pêcheurs sortent moins». L’on ne sait pas si les conditions météorologiques qu’évoque celui qui semble bien connaître son métier sont à l’origine de cette hausse des prix, on sait, en revanche, que l’Office national des pêches (ONP) soutient le contraire. À fin avril 2013, l’ONP estime à 324 977 tonnes les captures de la pêche, toutes espèces confondues, en hausse de 21% par rapport à la même période de l’année écoulée. Quoi qu’il en soit, le pageot est vendu à 85 DH/kg, la crevette à 90 DH, le merlan à 60 DH… Mais contrairement aux marchands de légumes, chez les poissonniers le client n’est pas obligé de demander le prix. Dans l’ensemble des étals, les prix sont affichés : «les contrôleurs s’assurent régulièrement que nous respectons les 20 et 25% de notre marge bénéficiaire» assure Miloud.
Pas de Ramadan sans dattes
Qu’elles soient les journées d’abstinence les plus longues de ces trente-trois dernières années ou pas, aucun Marocain ne saurait rompre le jeûne sans se délecter de ce fruit gorgé de soleil et de miel, la datte. Dans cette catégorie de fruits, la production nationale est fortement concurrencée par la «Deglet Nour» d’Algérie et de Tunisie. «Le prix des dattes marocaines varie entre 30 et 60 DH, cela dépend de la variété alors que la “Mjhoul”, je la vends entre 100 et 150 DH», indique cet homme à la blague facile et au tablier d’un blanc immaculé. Ce dernier précise qu’il y a trois catégories de la «Deglet Nour» algérienne, la première est cédée à raison de 35 DH le kilo, la deuxième à 40 DH et la plus chère coûte entre 45 et 50 DH. Les dattes importées de Tunisie reviennent entre 35 et 40 DH. «Pendant les premiers jours du Ramadan, les prix peuvent augmenter de 2 ou de 3 DH, mais ils se stabilisent dès la fin de la première semaine». Nous voilà rassurés. Comme nous l’affirme Si Mohammed Tiji, qui a à son compteur 26 années passées dans le commerce des olives : «le Ramadan n’influe en rien sur le prix qui reste inchangé : un kilo d’olives coûte 16 DH sauf le “m’charmel” (olives marinées dans de l’huile d’olive et parfumées avec différentes épices) et qui vaut 20 DH». Et comme l’olive est omniprésente dans les divers plats : «Je travaille beaucoup mieux pendant le Ramadan», souligne-t-il.
À la kissaria de Derb Soltane
Laissons les caquètements des poulets de Benjdia, dont le kilo est vendu à 16 DH, et prenons la direction de Derb Soltane, le quartier populaire qui vit naître le Raja de Casablanca, champion de foot en titre du Maroc. Sur le trottoir, les champions ce sont eux, les marchands ambulants qui n’ont plus d’ambulants que le nom. Même si leur nombre a considérablement diminué, ces vendeurs qui ont le trottoir pour étals, et qui n’affichent évidement pas leurs prix, constituent autant d’obstacles aux piétons souhaitant faire des emplettes à la kissaria dédiée aux fruits secs et aux épices. Une fois protégé des morsures du soleil par la toiture de ce marché, vous ne manquerez pas de rencontrer un commerçant pas comme les autres. Sa particularité ne tient pas seulement à sa capacité phénoménale à calculer mentalement les prix du quart de kilo, des 50 grammes, des 20 grammes, des 100 grammes… des dizaines de produits qu’il vend. Mais c’est son parcours qui fait sa marque de fabrique : «J’ai travaillé pendant 20 ans en qualité d’ingénieur des mines dans une multinationale à Ouarzazate. Il y a quelques années, j’ai repris cette épicerie fondée par mon grand-père dans les années 40. Je suis donc de la troisième génération à tenir cette même boutique». Derrière son tiroir-caisse, il confie que l’affluence est encore faible et que les prix des fruits secs ont augmenté : «la raison est simple. Une bonne partie des fruits secs est importée et, à l’international, les prix des produits alimentaires ont flambé». Afin d’illustrer ses propos, il donne l’exemple des amandes importées de Californie dont le prix est passé de 60 DH, l’année dernière, à 75 DH actuellement. Les grains de sésame (notre «jenjlane» national) ont connu une autre fortune : «nous en importons d’Égypte, mais cette année, les autorités portuaires ont en refoulé une bonne partie d’où l’augmentation du prix». Cet indispensable ingrédient est cédé à 38 DH le kilo. Pour les autres épices, les tarifs sont comme suit, le gingembre (skenjbir) 60 DH le kilo, le curcuma (kharqom) 50 DH, le poivre (libzar) est cédé à 70 DH. Quant au raisin sec, il coûte 40 DH, les noix 170 DH et les pruneaux 44 DH.
