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Samedi 04 Mai 2024
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Comment faire revivre l’histoire pour nourrir le présent ?

C’est à Tiddasuen, une commune rurale de la province de Khémisset dans le Moyen-Atlas riche en événements historiques, que la rencontre a eu lieu dans la Maison des jeunes.

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Tiddas en berbère signifie l’ensemble des collines et ce jour-là, précisément, ce samedi 29 juin, ce sont les jeunes de l’ensemble des collines avoisinantes qui étaient présents à cette rencontre, mais aussi l’élite de la région, les amis de l’université, professeurs de droit, agrégés en mathématiques et en physique, un peu aussi pour rappeler, selon l’un des participants, que «l’héritage berbère ne se décline pas qu’en littérature ou en émotion, mais aussi en sciences». Lahcen Brouksy, l’auteur de l’ouvrage «Moha Ouhammou Azayi et ses compagnons», rend hommage à tous ces grands hommes qui ont combattu pour l’indépendance de leurs pays, ceux qui ont fait l’histoire du Maroc.

À un moment où les vertus patriotiques s’édulcorent, où la confusion s’installe, il faut nous déclarer. Lahcen Brouksy crée une dynamique culturelle pour rappeler la mémoire de ces héros, rappeler le souvenir de la résistance et éclairer des zones d’ombre qui se multiplient avec la mondialisation effrénée»... L’occasion de rappeler aussi les batailles célèbres d’Elhri, d’Anoual, du Rif, de Tazizaout, de Saghro dans le Haut Atlas et de rendre hommage à Moha Ouhammou Azayi, à Cheikh Bouazzaoui, à Abdelkrim Khattabi et à bien d’autres grands militants. Les poésies et les chants qui se sont succédé ont rappelé la force d’une mémoire collective toujours vivante, qu’il faut continuer à nourrir comme le fait Brouksy qui nous offre un récit de son Moha Azayi vu par Aït Alla des Aït Hkem des Zemmour. L’histoire du Maroc, ce sont bien sûr des documents écrits, comme le souligne le professeur Mustapha El Qadery de l’Université Mohammed V-Rabat, présent à cette rencontre, mais pas seulement...

C’est toute cette mémoire orale, ces silences de l’histoire qu’il faut décrire, comme l’écrit à son tour le professeur Mohamed El Manouar dans ce témoignage dont nous publions de larges extraits : «Il faut, dit-il, trouver dans la mémoire de bons sujets pour faire revivre l’histoire, la remettre debout, l’accepter telle qu’elle est, et la communiquer aux générations du présent et du futur, car le savoir peut se faire obéir par le pouvoir politique parce qu’il est source de lumière. Le savoir, l’intelligence, la pensée et la sagesse permettent de retrouver la culture, la dignité et l’identité. Toutes ces interrogations sur ces personnages illustres, Moha Ouhammou, Hmad ou Mouloud, El Bouazzaoui, Assou ou Baslam, El Khettabi, Moha n Lksiba, Moha n Ba, Itto Tazayyit, Kdita, Mellouka, Harroun et d’autres sont décuplées par ces temps chargés de les traduire, par les narrations en images, en peinture dans un récit, qui est un agencement d’événements, dans une relation avec la temporalité, y contribuent. L’ouvrage de Lahcen Brouksy, écrit-il encore, invite à revisiter l’histoire. Il est une quête visant à faire remonter à la surface la vitalité naturelle des anciens contre le mal de vivre d’aujourd’hui et de rendre proches des hommes illustres, géants, du passé pour le souvenir, alors que d’autres voix incitent à laisser “les morts aux morts”.»


«La Romance de Moha Ouhammou Azayi et ses compagnons»

Je ne saurais trop présenter dans sa substance cette belle œuvre de notre ami à tous, Lahcen Brouksy, connu par ses multiples escapades dans la littérature politique marocaine. C’est avec délice que j’ai lu d’un seul trait cette belle contribution, attachante, captivante, attrayante par son contenu et son contenant à couper le souffle. J’étais ravi d’en lire avec intérêt et satisfaction le manuscrit avant la parution de cette belle œuvre qui fera date, qui fait déjà date et dont on se rappellera, une œuvre qui interpelle les bonnes et mauvaises consciences, une œuvre qui met deux mondes, deux cultures sous les phares de l’histoire, le vrai et le faux, le rural fait d’une seule étoffe et le citadin belliqueux et corrompu. Le texte est émaillé de métaphores retentissantes : «le chêne robuste et le roseau qui s’incline aux désirs des vents».
Sous et avec une plume légère et raffinée, un fleuron dédié à la gloire des aïeux vient de naître. Avec cette fresque délicieuse, je dirai à son auteur qu’il est un fou. Mais comme avait dit Moha Ouhammou à Hammou Youghcha «j’aimerais avoir comme toi beaucoup de fous dans ma tribu», celle des imazighens dans leur fougue à la recherche du temps perdu.

Le titre est un arbre qui cache une forêt dense faite de tous ceux et celles qui ont fait honneur et don en chantant, de leur vie, sans importance, à cette terre nourricière, de valeurs, de culture, du «moi» profond, loin de «l’être» et du «paraître». Il est une réécriture d’une évidence qui s’évanouit, combattue par une pensée unique qui engloutit la diversité et la richesse qui nous sont léguées par nos aïeux épris de façon atavique de justice, de convivialité chevaleresque, d’ouverture et de tolérance. Elle est une romance qui chante la gloire d’une vie ardente dont les rochers, les forêts, les sapins, seront témoins d’une éclaircie qui éclaire la vision des ces grands hommes vertueux dépositaires d’une histoire qui a donné le temps au temps et qui a su donner aux valeurs et à l’éthique toutes les valeurs qu’elles méritent. Elle est une symphonie des montagnes meurtries par le temps dans ses espaces pluriels faits de probité, d’honneur, de fierté, loin du plat pays. Cette romance qui équivaut à une magie des rêves est une tragédie des hommes qui ont vécu ces péripéties sans pouvoir y changer grand-chose.

Sur le plan des thématiques, la contribution a su ainsi se faire multiforme. Au fait, Moha Ouhammou a été mis par l’auteur sur un piédestal. Mais la profondeur est toute autre. Des entrailles de l’histoire millénaire des imazighens, aux multiples conquêtes, aux intrigues internationales, cette belle œuvre nous plonge dans des interrogations, des malentendus, des ambiguïtés avec l’histoire, des faux vrais, du mal-vivre que notre jeunesse ressent souvent avec amertume, du moi perdu, du paraître que je ne souhaite pas être. Une escapade, une odyssée qui nous ramène dans un style envoûtant au siècle que nous vivons.

Ne plus laisser les morts aux morts

Les mots glapissent joyeusement dans tous les sons, dans tous les sens, font rêver, hallucinent par leur connotation sublime, intriguent par leur alchimie magique, hors du temps et dans le temps. Un ballet de souvenirs, souvent obscurs et bouleversants, assaille l’esprit jusqu’à hanter les rêves. Comment, dans ces conditions, ouvrir l’écriture à la vie des hommes morts que seule l’imagination fait revivre dans une révolte intellectuelle de ne plus laisser «les morts aux morts» ?

Ces personnages illustres sont des musées du silence. Tous ces martyrs ont été ignorés par l’histoire. Mais ils sont vivants dans le secret des consciences lucides. Et comme disait Saint-Augustin «les morts ne sont pas des absents, ils sont invisibles» ou comme dit Hassan Aourid dans l’un de ses poèmes amazighs : «Les morts ne meurent jamais quand ils habitent les cœurs de ceux qui les aiment».

Cette contribution rentre avec préméditation dans leur vie intime et par effraction. C’est ce grand sommeil qui était au cœur de la vie qu’il faut saisir et interroger. L’écriture fait revivre, exorciser l’oralité. Victor Hugo a fait revivre dans «Les Misérables» des personnages comme Gavroche et Cosette. L’auteur a enfin, comme Hugo, mis sa plume, comme Franz Fanon, Albert Memmi et d’autres, au service des damnés de la terre, les oubliés de l’histoire, les humbles, les imazighens dont il fait partie. Il se réveille étourdie, d’une léthargie accablante, avec le repentir en prime. Il adhère à Gaston Bachelard, dans «La philosophie du non», à Camus dans «L’homme révolté», à Alain et à d’autres… qui disent non pour dire oui à la vérité. L’auteur a contribué par sa plume exquise, faite dans une alchimie de mots, de sons et de sens, à immortaliser, à faire revivre Moha Ouhammou et à dévoiler tout un pan de l’histoire des imazighens dans le dit, le mal dit et le non-dit.
Historien, il n’est pas, il nous livre une contribution d’histoire romancée avec délicatesse et subtilité. Moi, historien je suis, j’en fais une lecture littéraire. Cette contribution est le fruit de rencontres avec des hommes très âgés des Aït Hkem, qui ont été les enfants des vaillants guerriers qui ont dit non au protectorat de 1912 à 1936. Ce n’est pas un récit historique, c’est un roman-récit. La littérature permet à l’auteur de rester libre. Elle lui permet de rendre compréhensible la tragédie.

L’histoire n’est pas toujours un fleuve tranquille. Elle est l’œuvre des peuples dans leur générosité et leur médiocrité. Elle met en face deux sociétés, celle qui tourne avec le vent et celle qui contrarie les vents. Les aristocrates des montagnes, Moha Ouhammou, Moha u Said, Moha n Nba, Itto et ses enfants, Abdelkrim El Khettabi, Assu u Basslam, Imhiwach, U Skunti, Nguadi et d’autres nombreux peuplent ce récit qui est un théâtre de vie et un théâtre de mort. Ce temps qui a fait ces hommes nous les a rendus encore plus grands. Ils étaient des hommes d’ouverture culturelle, à la limite des utopistes. Ils croyaient ce qu’ils faisaient et faisaient ce qu’ils croyaient.

Ces hommes braves, morts les armes à la main, ont témoigné. Il faudrait donc en les refaisant revivre, témoigner pour eux dans ce Maroc des mystères où parfois les morts parlent aux vivants. Cette œuvre nous rappelle, nous interpelle sur les principales valeurs des imazighens : la sacralité de la terre, du village, la démocratie directe, l’honneur, la liberté de la personne tout en étant au service du groupe, la femme, les orphelins, la tolérance, l’ouverture, l’hospitalité, la solidarité, l’ordre social, la protection, dont Izerfanes retracent toute la substance.

Le général Guillaume disait : «Aucune tribu n’est venue à nous dans un mouvement spontané. Aucune ne s’est soumise sans combattre…» Et le général Huré faisait autant dans la guerre de Bou Gafer en 1933. La mort de Moha Ouhammou Azayi a aiguisé la guerre et la résistance dans les Atlas. La guerre, l’école ont encore creusé le fossé entre les milieux urbains et ruraux. La guerre culturelle a entrainé la destruction de la personnalité de l’homme amazighe. En 1934-36 les élites urbaines de Rabat, Fès avait des diplômés. De l’autre côté, c’était le désert culturel chez les ruraux et les jeunes imazighens des Atlas. Le dressage des imazighens leur a soustrait la culture de leurs ancêtres, ce qui s’est traduit par une peur lancinante devant l’autorité. La responsabilité était le noyau de la culture amazighe.

Elle est individuelle et collective, ce qui induit une morale sociale sévère et explique l’ouverture, la tolérance, l’amour, l’hospitalité qui vont à l’encontre de la civilisation des murs. L’inconscience voulue cultive, de façon sournoise, le déni de légitimer les actions insurrectionnelles, comme s’il s’agissait de faits divers sans résonance nationaliste, culturaliste et patriotique. Elle jette l’anathème sur le courage, la bravoure, la mort pour le pays. C’est par la culture que l’on reconnait les grandes civilisations. Ce voyage historique du temps virtuel a fait entrevoir un conflit des cultures, une histoire rêvée, inaccomplie, des esprits inassouvis. Le vieux Maroc était le produit de l’équilibre des cultures plurielles, ce qui s’est produit en 1912, c’était une déculturation du Makhzen.

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