Il est 10 h 30. Nous sommes à la rue d’Agadir située non loin de Mers Sultan de Casablanca. Aux alentours du marché du coin, dans un temps à ne pas mettre le nez dehors, quelques groupes de femmes de ménage occasionnel, vêtues souvent en djellabas, se tiennent à l’intersection des deux rues voisines, rue Zerhoun et rue
Al Fourate. Cette place publique est communément appelée «moukef» où elles viennent tous les matins des quatre coins de la métropole et attendent, dans un mélange d’espoir et d’angoisse, que quelqu’un fasse appel à leurs services.
Elles s’arc-boutent dans l’attente d’un éventuel employeur souvent en voiture pour les engager, le temps d’une journée pour des tâches corvéables. Une quête quotidienne pour un revenu variant entre 40 et 100 DH au meilleur des cas. C’est ce qu’explique également Zahira, 48 ans, femme du «moukef» depuis plus de 15 ans. «Je n’ai pas d’autres alternatives. Je viens tous les matins au “moukef” et je tente ma chance dans l’espoir qu’une voiture s’arrête pour solliciter mes services en tant que femme de ménage», nous confie-t-elle, le cœur chagriné. Après le décès de son mari, un marchand ambulant, elle n’a pas trouvé mieux que ce métier pour la survie de la petite famille de cinq enfants, dont deux filles. Pour subvenir à leurs besoins, elle se lève tôt le matin et fait le long trajet de Lahrawiyine, périphérie de la ville blanche, jusqu’au marché pour élire place au «moukef». Ballotée par les vents hostiles de la marginalisation et de l’exclusion sociale, cette femme se profile comme une bonne à tout faire. Une main-d’œuvre à bon marché. Or, «cette activité tourne aujourd’hui à faible régime. Ce n’est plus comme avant. Il y a de moins en moins d’opportunités de travail. De toute façon, nous travaillons, dans des conditions pénibles : le mépris des passants et même des employeurs et les violences de tous genres… Ajouter à cela, le fait que cette place a perdu sa bonne réputation d’antan», poursuit-elle.
En effet, aujourd’hui, le «moukef» regorge plus de prostituées que de femmes de ménage journalières. Même constat chez les commerçants de la rue d’Agadir et les habitants. Abdelkrim, 55 ans, résident du quartier, qui parle de débauche à ciel ouvert. «Il est très difficile pour les clients de discerner les femmes qui proposent leurs services dans le domaine du ménage et celles qui s’offrent à la prostitution. Cela prête à confusion. Notre quartier est devenu le terrain de toutes les formes d’accrochage entre les prostituées, leurs clients et les “vagabonds” qui squattent les lieux voisins, dont le jardin du parc Yassmina», déclare-t-il. Suite à ce vrai casse-tête quotidien, plusieurs pétitions collectives ont été conjointement signées par les habitants et les commerçants du quartier et adressées à la wilaya de la ville. Ce qui a nécessité l’intervention de la sûreté nationale. De ce fait, les patrouilles de la police se multiplient pour remettre de l’ordre dans le quartier. Les femmes de ménage, ces habituées du «moukef», en défrayent les chroniques. «Nous sommes exposées à toutes les dérives de l’injustice.
Les commerçants nous interdisent même le droit d’attendre. Et quand la police est dans les parages, nous sommes automatiquement embarquées dans leur fourgonnette. Il nous arrive de passer 48 heures au commissariat pour rien. Que veulent-ils que nous fassions ?», se demande Naïma, une femme du «moukef». D’autant plus que les gens ne font plus confiance à ces femmes. «Rares sont les gens qui viennent ici pour demander le service des femmes de ménage. Et c’est tout à fait normal puisque la plupart des clients ont été victimes de vol ou de subterfuges…», raconte ce commerçant qui a préféré garder l’anonymat.
Pour lui, il faut prendre compte de leurs conditions sociales et les raisons qui ont amené ces femmes à venir demander du travail. C’est dire que le «moukef» est leur bureau d’emploi quotidien. Mais aussi, celui des prostituées et des vagabonds. «Nous devons protéger notre espace aussi. Nous ne pouvons pas accepter que cela dure», conclut-il.
