Dans un communiqué de presse simultanément publié à Casablanca et Singapour le 16 avril 2013, la SNI, actionnaire à hauteur de 63,7% de la société Cosumar, et Wilmar International qui est le premier groupe agroalimentaire asiatique, ont annoncé avoir conclu un accord portant sur la cession à Wilmar International de 27,5% du capital de Cosumar pour un montant de 2,3 milliards de DH (265 millions de dollars US). A l’issue de cette opération, SNI ne détiendra plus que 36,2% du capital de Cosumar. Dans la foulée, précise le communiqué de presse, un deuxième bloc de 26,5% sera constitué par un «large consortium» d’investisseurs institutionnels marocains qui, avec Wilmar International, formera un bloc de contrôle à hauteur de 54% du capital de Cosumar. SNI annonce que «sa part résiduelle» dans la société sera alors cédée en bourse, ce qui aura pour effet d’intéresser les petits épargnants et d’augmenter le flottant de Cosumar.
Dans le communiqué de presse qu’il a diffusé pour annoncer son achat de 27,5% des titres de Cosumar, le groupe Wilmar International a pour sa part exposé la rationalité industrielle, prometteuse pour Cosumar et flatteuse pour le Maroc, qui l’a conduit à opérer pour la première fois en matière de sucre dans la région Afrique et Moyen-Orient. Wilmar International indique qu’il réalise cette opération pour partie en fonds propres et pour partie en crédit bancaire sans incidence, précise son communiqué, sur ses dividendes à fin 2013. Le Maroc, a-t-il affirmé, «est une destination stable à l’économie résiliente avec une croissance soutenue de son industrie sucrière». L’objectif de Wilmar International, qui est le 8e producteur et le 5e opérateur de trading mondial du sucre, est de se doter, via Cosumar, d’une solide plate forme de production, de commercialisation et de croissance en Afrique. Selon son PDG, Kuok Khoon Hong, l’investissement dans Cosumar s’inscrit dans sa «stratégie de croissance mondiale» et doit permettre à Wilmar International, après l’Australie, la Nouvelle-Zélande et l’Indonésie, de prendre pied en matière de production sucrière «dans l’hémisphère occidental».
L’analyse des termes de l’accord tels qu’ils ont été rendus publics laisse apparaître un subtil dosage d’objectifs sociaux et industriels assortis, manifestement, du souci de garder au Maroc le contrôle sur la sécurité de son approvisionnement en sucre. De même, les intérêts des 2 000 salariés de Cosumar et ceux de ses quelque 80 000 agriculteurs fournisseurs et partenaires des régions de Doukkala, du Gharb, du Loukkos, du Tadla et de la Moulouya, ont selon toute évidence inspiré la configuration très équilibrée du scénario de cession et sans doute même le choix du partenaire retenu par SNI. Avec plus de 70% de son capital qui restera aux mains d’investisseurs nationaux, SNI se retire mais a assuré au Maroc le maintien d’un contrôle majoritaire sur la production de cette denrée stratégique qu’est le sucre. Pour sa part, Cosumar, désormais intégrée à un géant, qui emploie 93 000 personnes en Asie et en Australie sur 450 sites de production, disposera de l’expertise et des moyens nécessaires pour répondre à une demande qui va continuer de croître sur son marché domestique et sur les marchés africains.
Cosumar intervient dans la production de sucre à partir de la récolte nationale de betterave et de canne à sucre et, d’autre part, dans l’importation et le raffinage de sucre brut. Avec une production annuelle de 1,6 million de tonnes de sucre par an, elle est le troisième producteur de sucre sur le continent africain. L’entreprise compte une usine de raffinage à Casablanca et 7 sucreries réparties sur le territoire national. Cosumar a réalisé depuis 2005 près de 5,5 milliards de DH d’investissements, ce qui lui a permis d’assurer la mise à niveau de son outil de production et d’augmenter ses capacités de raffinage. La majorité de ses entités ont été auditées par l’agence Vigeo et bénéficient du Label de responsabilité sociale de la CGEM qui authentifie la conformité des pratiques de l’entreprise avec la législation sociale, la transparence de sa gouvernance, ses engagements en faveur de la protection de l’environnement, du respect des droits humains (liberté syndicale, négociation collective, non-discrimination) et la valeur ajoutée de son apport à l’agrégation agricole via son partenariat amont avec plusieurs dizaines de milliers de petits agriculteurs.
Par cette opération, SNI achève son retrait du secteur agroalimentaire jugé mature et confirme sa mutation stratégique annoncée en mars 2010. Le groupe a renoncé au contrôle opérationnel multi-métiers de ses participations via l’ex-conglomérat ONA et refondé sa vocation sur un métier d’investisseur et de holding de portefeuille à vocation minoritaire. Cette reconfiguration a donné lieu, avant la cession de Cosumar, à la cession en 2011 de Lesieur Cristal au groupe Sofiproteol, puis de Centrale Laitière à Danone et de Bimo à Kraft en 2012. Trois grands principes semblent se dégager de ces quatre opérations. Le premier consiste à préserver l’avenir industriel des entreprises cédées en adossant chacune d’elle à un géant mondial. Le deuxième principe, qui transparaît désormais dans les opérations SNI, consiste, dès qu’il s’agit de matières stratégiques, comme l’huile ou le sucre, à doter l’entreprise cédée d’un management marocain et d’être partie prenante, soit du bloc de contrôle avec le partenaire étranger, soit de la capacité de désigner le management. Le troisième point de principe, qui avait été annoncé en mars 2010, consiste à céder à la Bourse la part qui reste à SNI dans chacune de ces entreprises. C’est un tournant majeur qui s’achève pour le secteur agroalimentaire marocain désormais internationalisé, animé par des géants mondiaux, originaires d’Europe, d’Amérique du Nord et désormais d’Asie, compétitifs, industriellement crédibles et capables de s’engager à long terme.