L’Union nationale des femmes du Maroc (UNFM) a organisé un congrès international sur le thème «femme rurale partenaire du processus de développement», réunissant les représentants de 63 pays et 20 organismes internationaux. Comment redonner à la femme rurale la place qui lui revient ? C’est la question transversale que l’on retrouvera à travers les allocutions du chef du gouvernement M. Benkirane, de la présidente de la commission scientifique, Mme Bahija Simou et les thèmes traités de «revalorisation de la femme rurale pour un développement intégré», traités par Mme Guermai, qui a présenté l’INDH, par Mme Bassima Hakkaoui, ministre de la Solidarité, de la femme, de la famille et du développement humain, par M. Touijri, directeur général de l’ISESCO, par Michael George Hage, représentant de la FAO, M. Seddiki, secrétaire général du ministère de l’Agriculture et de la pêche maritime, et Mme Leila Rhiwi, représentante d’ONU Femme.Ce congrès, qui a eu le mérite de poser les vraies questions concernant la femme et le développement, a été marqué par l’organisation de plusieurs ateliers.
Ces derniers ont porté sur la «dynamisation des réseaux au profit de la femme rurale», l’«approche genre et bonne gouvernance», l’«autonomisation des femmes rurales», «femmes rurales et OMD» et ont permis aux participants de réfléchir à tous les droits qui restent à faire valoir : droit à la terre, à l’eau, à la formation, au crédit… en un mot le droit à la dignité. Des problématiques suivies avec attention par le chef du gouvernement qui a pu ainsi mesurer l’ampleur des déficits dont souffre la femme rurale, en particulier, et le monde rural, en général. M. Benkirane a, du reste, annoncé les prochaines Assises consacrées au monde rural.
Entretien avec Leila Rhiwi, représentante d’ONU Femmes pour le Maghreb
Faire entendre la «voix des sans voix»
Le Matin : Dans quel contexte inscrivez-vous ce congrès mondial de l’UNFM consacré à «la femme rurale, partenaire du processus de développement» qui a réuni un grand nombre d’ONG, mais aussi d’intellectuels ?
Leila Rhiwi : Ce congrès s’inscrit dans le cadre des préoccupations de la 56e session de la commission du statut de la femme d’ONU Femme portant sur la femme rurale et son autonomisation, qui avait eu lieu en 2012. Depuis, beaucoup d’efforts se font pour essayer de réduire les écarts de genre et la vulnérabilité des femmes qui sont cantonnées dans le travail non rémunéré. Il y a aussi au Maroc la question de l’analphabétisme qui est un frein au progrès social. De ce congrès, nous attendons des recommandations et des analyses comparées de plusieurs pays relatives à l’autonomisation de la femme pour recenser les erreurs et les bonnes pratiques que l’on peut dupliquer.
Malgré tous les discours, les sessions et les rencontres, l’état des lieux révèle un réel très douloureux ?
Oui, malgré des accords historiques comme la Déclaration et le Programme d’action de Beijing ou la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, les inégalités de genre restent profondément ancrées dans toutes les sociétés. Les femmes n’ont pas toujours accès à un travail décent et doivent surmonter la ségrégation dans l’emploi et les écarts de rémunération entre les sexes. On leur refuse trop souvent l’accès à l’éducation et aux soins de base. Partout dans le monde, elles sont également victimes de violences et de discriminations et sont sous-représentées dans les processus décisionnels politiques et économiques. Au panel d’ouverture du Congrès, j’ai lu un extrait du message lancé depuis le Maroc par Michelle Bachelet, directrice exécutive de l’ONU Femmes, le 8 mars dernier, à l’occasion de la Journée internationale de la femme : «C’est dans les zones rurales, dit-elle, que les disparités et les obstacles auxquels sont confrontées les femmes et les filles sont les plus importants. Une personne sur quatre dans le monde est une femme ou une fille rurale. Ces dernières travaillent de longues heures pour des salaires réduits, voire presque rien, et produisent une large part des cultures vivrières, notamment dans le cadre de l’agriculture de subsistance. Elles sont agricultrices, entrepreneuses et dirigeantes, et leurs contributions permettent de soutenir leurs familles, communautés et nations. (…) Le fait d’assurer aux agricultrices un accès égal aux ressources permettrait de réduire de 100 à 150 millions le nombre de personnes souffrant de la faim dans le monde. Le fait d’assurer aux femmes un revenu, les droits à la propriété foncière et des possibilités de crédit permettrait de faire diminuer le nombre d’enfants souffrant de malnutrition. Ouvrir les opportunités économiques aux femmes permettrait d’augmenter la croissance économique et de réduire la pauvreté de manière significative».
«Ces travailleuses de l’ombre»
Vous avez évoqué ces travailleuses de l’ombre, qui n’ont aucune visibilité, mais qui triment du matin au soir dans un contexte très dur : déficit d’infrastructures, de dispensaires, d’écoles, parfois accès à l’eau difficile...
Les femmes rurales sont les «travailleuses de l’ombre», celles qui génèrent l’économie de subsistance, l’économie vivrière, l’économie sociale et solidaire. Et ce réel douloureux dont vous parlez, on le retrouve dans les indicateurs de développement humain (IDH) et dans l’indice de l’inégalité du genre de 0,502. La mortalité maternelle, même si elle a été réduite, a été estimée à 110/100 000, et la mortalité infantile à 36/10 00. Et ce sont 2,5 millions d’enfants, principalement des filles rurales qui ne vont pas aujourd’hui à l’école. Rappelons que 83% des femmes en milieu rural sont toujours analphabètes et sont quasi absentes des activités politiques et associatives.
Quelles ont été les avancées depuis la Moudawana ?
Au Maroc, ces dernières années ont été ponctuées de réformes en faveur de la promotion et de la défense des droits humains des femmes. Mme Bahija Simo les a déclinées au nom de l’UNFM dans son allocution d’ouverture. On peut citer notamment les réformes du Code de la famille, du Code pénal, du Code de la nationalité, et du Code électoral, la création du Fonds d’entraide familiale pour les femmes pauvres divorcées. De même, la nouvelle Constitution consacre la suprématie des instruments juridiques internationaux ratifiés par le Maroc, dont la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, les principes de l’égalité, de la dignité et de la liberté, la prohibition et la lutte contre toutes les formes de discrimination, y compris spatiale. Dans son article 19, la nouvelle Constitution dispose que «l’homme et la femme jouissent, à égalité, des droits et libertés à caractère civil, politique, économique, social, culturel et environnemental». Le ministère des Finances a mis en place un processus de «gendérisation» du budget et d’intégration de la politique genre dans l’élaboration de la loi de Finances et des politiques publiques de santé, d’enseignement. C’est une réponse intéressante, comme l’est la lutte contre la pauvreté en milieu rural de l’INDH, les programmes d’alphabétisation et de formation professionnelle, la reconnaissance par le ministère de l’Intérieur du droit des femmes Soulalyates d’accès à la terre, etc. On se donne les moyens d’identifier les écarts et du changement.
Quels exemples pouvez-vousdonner ?
Le secteur de la santé maternelle où le Maroc a fait des efforts, et on peut faire mieux pour que les femmes ne meurent plus en couches. Dans le monde rural, où le travail des femmes n’est pas reconnu, il y a des efforts qui visent à valoriser travail de celles-ci. ONU Femmes a concentré ses efforts durant ces dernières années, dans le domaine économique, sur l’appui à la réforme budgétaire axée sur les résultats et sensible au genre ; l’appui à la promotion de l’entrepreneuriat féminin ; l’appui aux femmes Soulalyates dans le rétablissement de leur droit de jouissance des terres collectives ; le soutien à la production des données spécifiques sur l’emploi du temps des hommes et des femmes, à travers l’enquête nationale qui permettra de rendre visible la contribution et la participation invisible des femmes au développement et servira d’instrument et de guide pour la revue des politiques et pour le plaidoyer en faveur de l’autonomisation des femmes et l’égalité de sexes.
Questions à : Mourad Wahba, directeur adjoint du bureau arabe du PNUD à New York, ex-représentant du PNUD à Rabat
«Les statistiques gagneraient à être affinées dans une approche nationale et régionale et dans une approche genre»
De New York, suivez-vous les événements de la région ?
De la région, et particulièrement le Maroc, pour des raisons affectives. Je revois le Maroc que j’ai quitté en 2009 avec émotion et je constate un saut qualitatif, surtout avec le renforcement de la société civile qui est remarquable. D’autant plus que nous touchons à la fin de la période 2000-2015 qui correspond aux Objectifs du Millénaire. Nous essayons d’avoir, pour après 2015, des objectifs qui émanent de la société civile, du terrain.
Le congrès d’aujourd’hui portant sur «la femme rurale partenaire du processus de développement» est important par la thématique traitée qui met en lumière des femmes de l’ombre, mais parce qu’il représente une voix de la société civile qui pourrait être prise à l’international pour la définition des nouveaux objectifs.
De nouveaux objectifs qui doivent tenir comptent d’un nouvel environnement et d’un retour du religieux ?
La religion bien comprise dans notre région honore la femme, elle reconnait son rôle essentiel dans la société. Si on arrive à mettre en évidence cet esprit de la religion bien comprise, nous aurons donné quelque chose au monde. Il reste qu’il ne faut pas passer sous silence le fait que la violence gagne du terrain, voyez ce qui se passe en Inde, en Égypte, alors même que la femme est l’espoir de l’Homme.
Comment voyez-vous les évolutions au Maroc ?
Avec les progrès politiques, le Maroc porte des approches possibles qui vont au-delà des idées préconçues. Il peut être un modèle et un laboratoire des possibles dans la région. Il y a des progrès et les statistiques gagneraient à être affinées selon une approche nationale et régionale et selon une approche genre. Ce serait un exercice intéressant à faire qui ouvrirait des horizons pour voir, par exemple, comment lutter contre la pauvreté dans les territoires riches et dans les territoires pauvres, dans le monde rural et dans les villes.
Questions à : Mohammed Bahaji, directeur de la formation au ministère de l’Agriculture et de la pêche maritime, docteur d’État en communication
«La politique genre est intégrée dans le Plan Maroc vert»
Vous avez une formation dans la communication et le management et vous avez rejoint le MAPM depuis mars 2010 avec pour mission la supervision de plusieurs instituts ?
La direction de la formation est une direction centrale qui a des missions transverses en matière d’orientation et de suivi de la politique au ministère de l’Agriculture et en matière de recherche : INRA, établissements supérieurs : IAV (Institut agronomique et vétérinaire), INFI pour la formation forestière. Nous supervisons la formation technique qui concerne 45 établissements qui forment les techniciens et ouvriers qualifiés. Nous avons un autre volet : le conseil agricole et la vulgarisation.
Parmi nos missions, nous avons la promotion de la femme rurale qui fait partie du conseil agricole : formation agricole, transfert de savoir-faire, mise en place de plateforme de démonstration pour les agriculteurs et formation des femmes rurales dans un cadre d’intégration de l’aspect genre dans le développement des filières.
Un mot sur le congrès et le rôle de votre ministère ?
La femme rurale est un acteur principal de l’économie nationale. Notre département est, certes, concerné en premier lieu, mais pour réduire les contraintes que nous connaissons, il faut un travail collectif des pouvoirs publics.
Dans le cadre du Plan Maroc vert, nous nous occupons de la valorisation de la femme rurale, qui jusque-là fournissait un énorme travail non reconnu, comme en témoignent les multiples projets dans différents domaines : oliveraies, arganier, safran...
Pour bien traiter ce problème, nous avons changé d’approche et nous essayons de jauger l’apport de la femme rurale dans chaque domaine et de mesurer sa valeur ajoutée. Dans le cadre des résultats escomptés, nous nous sommes posé la question : que faut-il mettre en termes de moyens et de formation pour améliorer le rôle de la femme rurale, pour qu’elle puisse davantage développer la filière et augmenter ses propres revenus et non ceux des intermédiaires ?
Nous travaillons dans le cadre d’une approche par filières en nous posant la question de la valeur ajoutée par les femmes rurales et ce qu’il faut faire pour améliorer sa condition ? Il y a plusieurs sortes de motivations, d’encouragements, qui peuvent aller jusqu’à des subventions pour réaliser des projets, comme celui de l’irrigation au goutte-à-goutte ou d’autres projets dans le cadre de l’exemplarité.
Au Salon international de l’agriculture de Paris ou au Salon de Berlin, on a pu voir la manière dont le ministère accompagnait certaines coopératives en termes de certification, de formation aux normes sanitaires, d’aide à l’exportation. Pour décliner une bonne politique de genre, nous devons d’abord déterminer l’intérêt que portent les femmes rurales à tel ou tel domaine, pour mieux sérier les besoins et agir en conséquence.
