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L’incivisme sur la voie publique persiste toujours

Les actes inciviques sont devenus une réalité quotidienne au Maroc. Il suffit de faire un petit tour dans la rue pour constater que la façon d’être et de se comporter des Marocains en société est devenue offensante et abusive.

L’incivisme sur la voie publique persiste toujours
66,32% des personnes considèrent que le phénomène de l’incivisme a progressé de façon inquiétante.

Poubelles et déchets déversés sur la voie publique, insultes, crachats et urine dans la rue, non-respect du Code de la route, sièges arrachés dans les gradins des stades… et la liste est longue. Les expressions de l'incivisme dans notre société sont tellement nombreuses et fréquentes qu’on finit par s’y habituer. On dirait que les Marocains ne se supportent plus et que chacun veut vivre dans son propre petit monde et n’hésite pas à asphyxier les gens autour de lui, dans leur espace vital et dans leur liberté. Comment les Marocains sont-ils devenus intolérants, insolents, agressifs…, à ce point-là ? «Les valeurs civiques et de citoyenneté sont en perte de vitesse. Il ne se passe pas un jour sans être confrontés à des actes “honteux” dans la rue. Par exemple, les gens n’hésitent pas à polluer l’espace public en y jetant des ordures, et quand on essaye de les sensibiliser, ils se montrent agressifs et disent que cet espace ne leur appartient pas. Il y a aussi ceux qui grillent le feu rouge ou ceux qui garent leurs voitures en deuxième position, contribuant ainsi à un embouteillage indescriptible… Ce qui est surprenant c’est que ce ne sont pas que les personnes issues de milieux modestes qui se comportent de la sorte, les personnes riches sont aussi concernées. Ça devient insupportable !» confie Salwa, 32 ans.

Pour Mohcine Benzakour, psychosociologue, l’incivisme aujourd’hui va bien au-delà du manque de savoir-vivre, car il véhicule à la fois les émotions et la violence contestataire. «Quelqu’un de “mal élevé”, de “pas éduqué”, comme on dit encore, l’est par ignorance, par manque d’éducation précisément, ce qui n’est pas de son fait, mais celui de ses parents et plus généralement de son milieu social. Tout comme il ne sait pas parler, il ne sait pas se tenir, etc. Mais l’incivisme, tel qu’il est dénoncé de nos jours, n’est pas forcément un manque d’éducation, il est principalement de la provocation, en toute connaissance de cause et non par ignorance. Il s’agit de refuser les valeurs de la société en imposant la loi de la violence, et le savoir-vivre ne peut être le remède à l’incivisme, car l’incivisme n’entend pas être un mal, il se prétend être une loi», explique-t-il. L’Association marocaine pour le civisme et le développement «Afak» avait mené en 2009 un sondage auprès d’environ un millier de personnes dans quatorze villes du Maroc, toutes catégories socioprofessionnelles confondues. D’après les résultats de ce sondage, 66,32% des personnes considèrent que le phénomène de l’incivisme a progressé de façon importante, tandis que 72% sont d’accord pour affirmer que l’environnement connaît une dégradation visible.

Et 53% parmi les sondés affirment que le Maroc vit une progression du fanatisme et de l’intolérance, sans parler du phénomène de l’insécurité dont 61% des personnes interrogées estiment qu’il croît sans cesse. «D’une certaine façon, l’incivisme dénonce précisément le fait que le savoir-vivre, le civisme, soit l’apanage d’une partie de la société, et entend répondre par le comportement qui lui est attribué. Ce serait ainsi l’exclusion qui conduirait à l’incivisme : parce qu’ils sont exclus, ils réagissent en niant et en détruisant les valeurs de ceux qui les excluent. Ce déclin du comportement responsable du citoyen se situe à tous les niveaux de la société, indifféremment de la classe d’âge et du statut social. Cette situation constitue une remise en cause des acquis en matière de droits humains et un danger croissant à la fois pour l’équilibre et le développement de notre société. Cette montée de l’incivisme impose la mobilisation de toutes les énergies en vue de trouver les meilleures stratégies d’actions de promotion du civisme de façon à restaurer les valeurs de tolérance, de paix et à consolider les efforts de développement», souligne Benzakour. Et de conclure : «La civilisation n'est pas un fait, ou une entité, mais un processus. Les “mœurs” évoluent très rapidement vers un refoulement de leur aspect “animal” ou “pulsionnel”. Cette évolution des pratiques s'accompagne d'une évolution de la sensibilité, comme le montrent les sentiments de honte ou de dégoût que nous éprouvons désormais face à des pratiques “non-civilisés”. Presque partout dans nos villes et dans nos rues, c’est cet aspect animal qui refait surface... On assiste, ni plus ni moins, à une animalisation des comportements». 


Avis du spécialiste

Mohcine Benzakour,psychosociologue

«Ces comportements égoïstes mettent à mal l’estime de soi»

Tout d’abord, j’aimerais définir le mot civisme qui selon le dictionnaire politique désigne : le respect, l'attachement et le dévouement du citoyen pour son pays ou pour la collectivité dans laquelle il vit. Cela s'applique en particulier à l'institution qui représente cette collectivité, à ses conventions et à ses lois. Plus généralement, le civisme est le dévouement pour l'intérêt public, pour la «chose publique». Le civisme nécessite une «conscience politique» et implique la connaissance de ses droits en tant que citoyen ainsi que de ses devoirs vis-à-vis de la collectivité. Le civisme, qui est l'état du citoyen respectueux de ses devoirs et des principes collectifs, se distingue :
• de la citoyenneté qui n'est que la condition de citoyen ;
• et de la civilité qui relève du respect des autres dans les rapports privés. L’incivisme implique de fait une méconnaissance des règles fondamentales organisant la collectivité, une méconnaissance par l’individu de sa place dans la collectivité, des difficultés à cerner ses droits et devoirs et le refus d’agir dans ce cadre. Chaque jour, plusieurs fois, notre moi est mis à mal par des mini-vexations déprimantes qui nous font douter de notre valeur d’être humain respectable. Impossible d’en dresser la liste, ces citoyens qui stationnent en deuxième position, en face de la mosquée, et descendent prier, créant ainsi des embouteillages ; ces gens qui pissent et qui crachent dans la rue sans scrupule ; ces automobilistes qui klaxonnent à tout bout de champ sans raison ; ces invectives entre automobilistes… ces petites agressions presque anodines, ces comportements égoïstes et incivils qui mettent à mal l’estime de soi sont en grande partie la conséquence d’une conception résolument individualiste de la liberté, consistant à refuser tout repère extérieur, pour faire tout ce que l’on veut quand on le veut, sans tenir compte d’autrui. Ce manque de respect qui rabaisse l’autre, qui le nie dans ses droits, dans sa liberté. Bien sûr, il peut se produire des conduites irrespectueuses totalement involontaires, mais dans l’ensemble cela procède toujours d’une volonté de toucher, d’atteindre l’autre. À l’inverse, le respect, c’est reconnaître à l’autre la même humanité, la même valeur qu’à soi-même. L’incivisme démontre une absence de contrôle social et un laisser libre cours à des actes mettant à mal la cohésion sociale.

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